Fraude transnationale à l’emploi d’un salarié en France

Emploi sur le territoire français d’un salarié dont l’employeur n’a pas d’établissement en France : travail dissimulé par dissimulation d’activité et par dissimulation d’emploi salarié constitué et constitution de partie civile du salarié recevable

Arrêt de la Cour de cassation n° 17-80744 du 12 mars 2019 Banque Syz et Co

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Présentation
Une entreprise suisse relevant du secteur de la finance, qui ne possédait pas d’établissement en France, avait fait travailler majoritairement sur le territoire français, basé à Paris, deux salariés, qui y étaient domiciliés, pendant près de cinq ans, en procédant aux déclarations sociales exclusivement en Suisse, s’abstenant d’effectuer en France la déclaration préalable à l’embauche (DPAE) et les déclarations sociales afférentes à ces emplois.
Privés de la législation sociale française, les salariés, après leur licenciement, avaient déposé plainte pour travail dissimulé, avec constitution de partie civile assortie de demandes de dommages et intérêts conséquents.
Simultanément, les salariés avaient engagé une action prud’homale.

Saisie d’un pourvoi par l’entreprise suisse condamnée par la cour d’appel, d’une part pour travail dissimulé par dissimulation d’activité et d’emploi salarié, et d’autre part à verser des dommages et intérêts aux salariés parties civiles, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte les précisions suivantes :
.- la dissimulation d’emploi salarié par défaut de déclaration préalable à l’embauche et par défaut de déclarations aux organismes de protection sociales en France est avérée, quand bien même l’entreprise se serait acquittée d’obligations sociales équivalentes en Suisse. En effet, les salariés travaillaient majoritairement en France et y résidaient.
.- l’infraction de dissimulation d’emploi salarié est une infraction continue, et non pas une infraction instantanée, tant que le salarié est employé dans ce cadre. La computation du délai de prescription de ce délit s’apprécie en conséquence.
.- la modification, au cours de la procédure, de la rédaction de l’article L.8221-5 du code du travail par l’ajout de l’incrimination de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié par défaut de déclarations sociales, n’affecte pas la validité de la citation à comparaître sur le fondement de cette disposition du code du travail, alors qu’initialement l’information judiciaire était ouverte sur l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité par défaut de déclaration sociale, dès lors que les faits objet de l’information judiciaire et de la poursuite restent les mêmes, c’est-à-dire le défaut de déclarations sociales en France.
.- le défaut de déclarations sociales à effectuer lors de l’emploi d’un salarié constitue à la fois de la dissimulation d’activité et de la dissimulation d’emploi salarié.
.- la constitution de partie civile du salarié et l’obtention de dommages intérêts dans le cadre d’un procès pénal pour dissimulation d’emploi salarié est compatible avec la concomitance d’une instance prud’homale en cours, dès lors que le juge pénal retient l’existence d’un préjudice, de nature différente de celui invoqué devant le conseil de prud’hommes. En l’espèce, les salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes concernant des demandes consécutives au licenciement, alors que les dommages et intérêts réclamés au titre de la constitution de partie civile visaient l’absence, en France, de déclaration des salaires et la perte de leurs droits sociaux pendant leur période d’activité professionnelle pour le compte de l’entreprise suisse.

Commentaire
.1) Il n’est pas fréquent que des salariés victimes de pratiques de travail illégal déposent plainte et se constituent parties civiles. Dans ce cas, les demandes de réparation devant le juge pénal doivent être précisément ciblées, soit pour ne pas relever de la compétence du conseil de prud’hommes, juge du contrat de travail (voir la décision), soit pour ne pas faire double emploi avec les demandes de l’action prud’homale, si celle-ci est par ailleurs engagée. Il est à noter que dans cette affaire, le juge prud’homal avait sursis à statuer dans l’attente du procès pénal, ce qui repousse et retarde l’épilogue du contentieux porté devant ce juge.

.2) Sur le fond, la validation par la Cour de cassation de l’analyse de la cour d’appel sur les quatre éléments discutés (délai de prescription, régularité des incriminations retenues, double qualification et recevabilité de la constitution de la partie civile) qui a conduit à la condamnation de l’entreprise contribue à consolider le dispositif juridique de lutte contre le travail dissimulé.

.3) D’un point de vue factuel, on notera que cette condamnation, notamment pour défaut de déclarations sociales, est intervenue sans que soit fait état par l’entreprise suisse d’une situation de détachement des salariés, ni de l’existence de certificats de détachement, alors même que l’entreprise affirmait avoir procédé en Suisse aux déclarations sociales relatives à l’emploi de ces deux salariés. La lecture de l’arrêt ne permet pas de savoir si les salariés possédaient ce formulaire.
Cette affaire illustre par ailleurs la variété des montages transfrontaliers, sous couvert d’une prétendue mobilité internationale, échafaudés pour s’affranchir de la loi française, alors que le salarié travaille exclusivement ou majoritairement en France. Le montant conséquent des dommages intérêts obtenus par les salariés atteste des enjeux financiers de cette fraude à l’emploi du salarié.