Loi Avenir professionnel - dispositions relatives aux entreprises étrangères

Entreprises étrangères et détachement de salarié en France
Les nouvelles modifications apportées par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Articles 89 à 99 et articles 101 et 102 de la loi

Voir la la loi

La loi du 5 septembre 2018, dite Avenir professionnel, contient de nouvelles dispositions relatives aux entreprises étrangères qui détachent des salariés sur le territoire français.
Ces dispositions, qui sont sans relation avec l’objet de la loi, sont passées quasiment inaperçues, sauf pour une partie de la presse spécialisée. Il s’agit de la quatrième modification législative en quatre ans intervenant sur ce sujet, ce qui interroge sur la maîtrise de cette forme d’activité économique sur le territoire français. Il suffit en effet de se rappeler de la récente loi Savary du 10 juillet 2014, qui avait été présentée comme l’arme absolue pour lutter contre le travail illégal et le dumping social du fait des entreprises étrangères et de leurs donneurs d’ordre.
Les modifications apportées au code du travail par la loi Avenir professionnel pour le contrôle des entreprises étrangères ne visent pas à faciliter la lutte contre le travail illégal et le dumping social parce qu’elles suppriment et remettent en cause deux outils de contrôle essentiels des entreprises étrangères dont disposaient depuis 1994 les agents de l’Etat : la déclaration de détachement et la désignation du représentant en France de l’entreprise étrangère.
Ces suppressions d’obligations déclaratives, voulues et proposées par le ministère du travail, décrédibilisent l’action de l’Etat et conduisent à démobiliser les services de contrôle ; elles relativisent de façon significative les autre mesures contenues dans la loi et, de façon générale, celles déjà inscrites dans le code du travail.

.1) La suppression et l’aménagement de la déclaration de détachement et de la désignation du représentant en France de l’entreprise étrangère
Présentation

Les articles 89 et 90 de la loi suppriment l’obligation d’effectuer une déclarative nominative pour chaque détachement de salarié sur le territoire français et l’obligation de désigner un représentant en France de l’entreprise étrangère pour chaque intervention dans les trois cas suivants :
.- pour des prestations de courte durée ou dans le cadre d’événements ponctuels, lorsque le salarié détaché exerce l’une des activités dont la liste sera fixée par un arrêté du ministre du travail ; il s’agit d’une suppression de plein droit de ces deux obligations déclaratives.
.- pour l’employeur qui détache en France des salariés de façon récurrente, soit dans le cadre de prestations de services internationales, soit dans le cadre de la mobilité internationale intragroupe ; l’employeur concerné et intéressé sollicite l’autorité administrative compétente, sans doute le Direccte ou le Dieccte, qui, par une décision individuelle et personnalisée, va consentir à cet employeur des aménagements aux modalités d’accomplissement de ces obligations déclaratives, qui ne seront plus systématiques. Il s’agit d’une dispense administrative, accordée de façon discrétionnaire, pour une durée d’un an, renouvelable. L’employeur principalement visé est l’entreprise frontalière, mais la rédaction de la loi permet d’accorder la dispense administrative à d’autres catégories d’employeurs non établis en France.
.- pour l’entreprise qui détache en France un salarié à l’occasion d’une prestation pour son propre compte, sans destinataire sur le territoire français ; il s’agit d’une suppression de plein droit.
Un décret va préciser les conditions de mise en œuvre de ces mesures.
Commentaire
La suppression de ces deux obligations déclaratives réduit les prérogatives dont disposent les services de l’Etat pour contrôler le respect de la législation sociale par les entreprises étrangères et leurs donneurs d’ordre.
L’objectif de la déclaration de détachement est de signaler la présence de ces entreprises et de leurs salariés en France ; ce signalement est important car cette présence est temporaire et éphémère. L’objectif de la désignation du représentant en France est de garantir la présence d’un interlocuteur officiel et effectif pour les services de l’Etat, en vue de faciliter leur contrôle.
Par ailleurs, la suppression de ces obligations déclaratives va intervenir dans des secteurs fraudogènes, tels que les spectacles, les manifestations sportives, les foires et salons et l’événementiel, voire à l’occasion de la mobilité internationale intragroupe qui est souvent dévoyée.
De surcroît, admettre que des détachements récurrents de salariés sur le territoire français relèvent de la prestation de services, et en aménager le cadre juridique, conduit à légaliser la fraude à l’établissement sur le territoire français, puisque ces détachements sont justifiés par une activité stable et continue sur le territoire français. La légalisation de cette fraude par le Direccte ou le Dieccte va empêcher d’autres services ou le juge de mettre en cause l’entreprise étrangère et son donneur d’ordre pour travail dissimulé.

.2) L’allègement des documents à présenter à l’inspection du travail
Présentation

Les articles 89 et 90 de la loi prévoient la possibilité d’alléger et d’assouplir l’obligation qui pèse sur l’entreprise étrangère de tenir et de présenter à l’inspection du travail des documents traduits en français qui permettent de s’assurer que cette entreprise respecte la législation sociale.
La nature et les modalités de ces allègements ne sont pas prévues par la loi ; elles seront précisées par décret ou dans la décision administrative du Direccte ou du Dieccte qui accordera la dérogation individuelle à l’obligation d’effectuer une déclaration de détachement systématique et à l’obligation de désigner un représentant en France pour chaque intervention.
Commentaire
Ces allègements constituent une réduction du droit de communication de l’inspection du travail, difficilement compatible avec un contrôle efficace des entreprises étrangères.
Par ailleurs, ces dispositions de la loi sont en contradiction, et donc également incompatibles, avec son article 103 qui étend sensiblement le droit de communication des agents de l’inspection du travail. L’article 103 de la loi insère un article L.8113-5-1 et un article L.8113-5-2 dans le code du travail qui les autorisent à obtenir tout document propre à faciliter l’accomplissement de leur mission.
Outre une rupture d’égalité de traitement entre entreprises étrangères et avec les entreprises françaises, la loi Avenir professionnel rend moins performant le contrôle des agents de l’inspection du travail en direction de ces opérateurs économiques établis à l’étranger.

.3) La suppression de la contribution forfaitaire déclarative
Présentation

L’article 92 de la loi supprime la contribution forfaitaire de 40 euros due par l’entreprise étrangère qui utilise la base SIPSI pour procéder à la déclaration de détachement dématérialisée de son salarié ; à cet effet, l’article 92 abroge l’article L.1262-4-6 du code du travail.
L’abrogation de cette mesure était déjà intervenue par le décret du 9 février 2018, qui avait lui-même abrogé le décret du 3 mai 2017, pris en application de l’article 106 de la loi du 8 août 2016 qui avait créée cette contribution forfaitaire.
L’abrogation est expliquée dans l’exposé des motifs de la loi par les contraintes techniques fortes tenant au recouvrement de cette somme ; la mesure n’a jamais été mise en œuvre.
Commentaire
La création de cette contribution forfaitaire risquait d’être considérée par la Commission européenne comme une entrave à la libre prestation de services.
Par ailleurs, si des contraintes techniques fortes de recouvrement justifient, sans doute à juste titre, la renonciation à cette mesure inopportune, qu’en est-t-il alors du recouvrement des amendes administratives dues par les entreprises étrangères qui ont quitté la France ?

.4) La transposition accélérée de la directive du 28 juin 2018 sur le détachement de salarié
Présentation

L’article 93 de la loi prévoit une transposition accélérée de la nouvelle directive sur le détachement du 28 juin 2018 qui impose cette transposition pour le 31 juillet 2020 au plus tard.
L’article 93 précise que le processus de transposition est engagé dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi.
Commentaire
La directive du 28 juin 2018 n’apporte pas d’amélioration à la législation du travail applicable à l’entreprise étrangère qui détache un salarié en France (voir la présentation et le commentaire de la directive du 28 juin 2018).

.5) La clarification de la définition du salarié détaché en France
Présentation

L’article 94 de la loi complète la définition du salarié en France mentionnée à l’article L.1261-3 du code du travail en ajoutant que le salarié détaché travaille hors de France, avant son détachement en France.
Commentaire
Cette précision est sans utilité juridique ou opérationnelle et relève de la coquetterie rédactionnelle.

.6) L’augmentation des montants des amendes administratives
Présentation

L’article 95 de la loi augmente les montants des amendes administratives, ainsi que le délai de réitération de la commission de ces manquements.
En première commission du manquement, le montant maximum possible passe de 2 000 euros à 4 000 euros ; en réitération du manquement, le montant maximum possible passe de 4 000 à 8 000 euros. Le délai de réitération du manquement d’un an est étendu à deux ans.
Les amendes administratives, qui sont notifiées par le Direccte ou le Dieccte, sont appliquées pour une dizaine de manquements commis par l’entreprise étrangère et qui sont visés aux articles L.1264-3 et L.8115-3 du code du travail.
Commentaire
L’augmentation significative des amendes administratives prévue par la loi Avenir professionnel est considérablement atténuée par l’article 18 de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance.
L’article 18, en modifiant le premier alinéa de l’article L.8115-1 du code du travail, permet désormais au Direccte ou au Dieccte d’adresser à l’entreprise étrangère un simple avertissement au lieu de lui notifier une amende administrative. La cohérence entre les deux mesures est peu compréhensible.

.7) L’extension de l’obligation de vigilance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage
Présentation

L’article 96 I de la loi étend, en complétant l’article L.1262-4-1 du code du travail, le périmètre de l’obligation de vigilance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage à la vérification par celui-ci que l’entreprise étrangère à qui il recourt en sous-traitance sur le territoire français n’est pas redevable du paiement d’une amende administrative due à l’occasion d’une précédente intervention sur le territoire français.
La loi ne précise pas comment s’opère cette vérification ; elle n’envisage pas non plus de sanction contre le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui ne procède pas à cette vérification et qui n’en tient pas compte.
Commentaire
Outre la persistance tenace de la confusion entre la qualité de donneur d’ordre et la qualité de maître d’ouvrage, cette nouvelle obligation de vigilance est de pure forme.
Cette obligation sera sans doute satisfaite par la remise au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage d’une simple déclaration sur l’honneur établie par l’entreprise étrangère. Par ailleurs, aucune sanction n’est prévue, notamment si le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage recourt à une entreprise étrangère qui n’a pas payé son amende administrative en France.

.8) L’interdiction préventive de prester en France pour défaut de paiement d’une amende administrative
Présentation

L’article 96 III de la loi autorise l’autorité administrative (sans doute le Direccte ou le Dieccte), saisie par l’inspection du travail, à interdire l’intervention d’une entreprise étrangère sur le territoire français qui n’a pas payé une amende administrative due à l’occasion d’une précédente intervention en France. L’interdiction est prononcée pour une durée de deux mois, renouvelable. L’entreprise étrangère ne peut intervenir tant qu’elle n’a pas régularisé le paiement de l’amende.
Si elle est passe outre cette interdiction, elle est passible d’une autre amende administrative d’un montant maximum de 10 000 euros par salarié détaché en violation de cette interdiction.
Le non paiement de cette seconde amende administrative permet au Direccte ou au Dieccte de suspendre son activité en France.
Commentaire
L’interdiction préventive d’une intervention d’une entreprise étrangère en France n’est pas réalisable car il n’existe pas à ce jour de fichier national, de base ou de traitement centralisé des amendes notifiées et (non) payées par les entreprises étrangères. Ce fichier est donc à constituer, si tel est le souhait des pouvoirs publics.
Par ailleurs, le délai entre l’envoi de la déclaration de détachement à l’inspection du travail, ce qui lui permet de connaître l’intervention de l’entreprise étrangère, et l’arrivée de l’entreprise en France est, en règle générale, très court. Ce bref délai ne permet pas à l’administration d’engager et de solder en temps utile la procédure contradictoire de notification de l’interdiction de prester.
Enfin, cette interdiction préventive ne s’applique pas, par nature, aux entreprises étrangères qui sont désormais dispensées d’effectuer la déclaration de détachement (voir supra .1) ; or beaucoup de ces entreprises interviennent dans des secteurs fraudogènes, perméables aux amendes administratives.

.9) L’effet non suspensif du recours contre la notification d’une amende administrative
Présentation

L’article 97 de la loi modifie et complète quatre articles du code du travail, précisant que le recours contentieux, par voie d’opposition à exécution, introduit par une entreprise étrangère contre une décision du Direccte ou du Dieccte, lui notifiant une amende administrative, n’a pas pour effet de suspendre son obligation de payer l’amende.
Commentaire
Cette mesure judicieuse devrait permettre d’obtenir un meilleur taux de recouvrement des amendes administratives, taux qui n’est pas rendu public par le ministère du travail. Cette mesure mériterait d’être étendue au paiement de la contribution spéciale et au paiement de la contribution forfaitaire pour l’emploi d’un salarié étranger sans titre de travail et/ou de séjour.

.10) L’extension du périmètre de la fermeture administrative préfectorale pour travail illégal
Présentation

L’article 98 de la loi rectifie et complète la rédaction de l’article L.8272-2 du code du travail pour étendre la fermeture administrative préfectorale d’un établissement ou d’un chantier à tout lieu autre que le siège ou l’un des établissements de l’entreprise qui pratique du travail illégal.
Cette périphrase permet d’inclure dans le périmètre de la fermeture administrative le lieu d’intervention d’une entreprise étrangère qui n’est pas, par nature ni son siège, ni l’un de ses établissements, et qui n’est pas non plus nécessairement un chantier au sens usuel de ce terme.
Commentaire
La rectification attendue de l’article L.8272-2 du code du travail met un terme à l’insécurité juridique qui existait dès l’introduction de cette mesure dans le code du travail par la loi du 16 juin 2011. En effet, la lecture de l’article L.8272-2 du code du travail faisait apparaître que cet outil de lutte contre le travail illégal n’avait pas été pensé pour s’appliquer aux entreprises étrangères intervenant sur le territoire français.

.11) L’extension du périmètre de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité économique
Présentation

L’article 99 ajoute dans le code du travail un cas d’incrimination supplémentaire au titre de l’infraction de travail dissimulé. L’article 99, en complétant l’article L.8221-3 du code du travail, précise que constitue du travail dissimulé par dissimulation d’activité économiquela personne qui s’est prévalue des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque l’employeur de ces derniers exerce dans l’Etat sur le territoire duquel il est établi des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue.
Cette incrimination vise ce qui est usuellement appelée la fraude à l’établissement.
Commentaire
Cet ajout dans le code du travail est inutile et sans aucune valeur ajoutée, voire perturbant. La fraude à l’établissement est déjà sanctionnée, sans aucune incertitude juridique, par le juge en faisant application des 1° et 2° de l’article L.8221-3 du code du travail, qui se suffisent à eux-mêmes.
Par ailleurs, cette rédaction mélange les obligations relevant du droit du travail (fraude au détachement d’un salarié) et les obligations commerciales, fiscales et sociales auxquelles est tenu un opérateur économique (fraude à l’établissement). Enfin, en utilisant deux mots différents « personne » et « employeur » pour désigner le même sujet pénalement responsable, les éléments constitutifs de cette incrimination sont peu lisibles.

.12) La création d’une amende administrative pour la non déclaration d’un chantier forestier ou sylvicole
Présentation

L’article 101 de la loi modifie la nature de la sanction applicable à celui qui ne procède pas à la déclaration d’un chantier forestier ou sylvicole auprès de l’inspection du travail. Ce manquement, qui pouvait faire l’objet auparavant de l’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, est désormais punissable, en application de l’article L.719-10-1 du code rural et de la pêche maritime, d’une amende administrative d’un montant maximal de 5 000 euros par chantier non déclaré ; cette amende est prononcée par l’autorité administrative (le Direccte ou le Dieccte), sur un rapport de l’inspection du travail.
Commentaire
Cette mesure ne s’applique pas de façon spécifique à l’entreprise étrangère qui ouvre un chantier forestier ou sylvicole sur le territoire français, mais à toute entreprise, établie en France ou non. La requalification de la nature de la sanction a pour effet d’augmenter sensiblement son montant qui passe de 1 500 euros à 5 000 euros.
Cependant, cette requalification prive désormais la gendarmerie, très présente en milieu rural, de la possibilité de relever ce manquement par procès-verbal puisqu’il n’est plus considéré comme une infraction à la loi. Est-ce que cette perte de compétence et de matière a été vue lors de la préparation du projet de loi Avenir professionnel ? C’est l’un des effets collatéraux de la transformation de la sanction pénale en amende administrative.

.13) La reconfiguration du contenu de la liste noire des entreprises condamnées pour des faits de travail dissimulé
Présentation

L’article 102 de la loi modifie les conditions et les modalités de la diffusion sur le site du ministère du travail des condamnations pénales prononcées pour des faits de travail dissimulé. La diffusion sur un site internet du ministère du travail de la condamnation pour des faits de travail dissimulé est prévue depuis la loi Savary du 10 juillet 2014 par les articles L.8224-3 et L.8224-5 du code du travail. Cette mesure, appelée encore liste noire, n’a pas eu l’effet et le succès escomptés, puisque seulement quatre condamnations ont fait l’objet de cette diffusion.
Pour redynamiser et revaloriser cette mesure, le législateur a souhaité réserver cette diffusion aux condamnations prononcées pour travail dissimulé commis en bande organisée. L’article 102 prévoit que, dans cette hypothèse, la diffusion de la condamnation sur le site internet du ministère est obligatoire de droit, sauf le juge en dispose autrement.
Commentaire
Cette mesure de publicité ne s’applique pas de façon spécifique à l’entreprise étrangère, mais à toute entreprise, établie en France ou non.
L’article 102 de la loi est très symbolique car les condamnations pour travail dissimulé en bande organisée sont exceptionnelles. De ce fait, sont exclues de nombreuses condamnations de gravité avérée, notamment en matière de fausse sous-traitance, d’emploi de faux stagiaire, d’emploi de salarié étranger sans titre de travail, d’abus de vulnérabilité ou d’esclavage moderne, qui justifieraient également une publication sur le site internet du ministère du travail. On est bien loin d’une liste noire exhaustive et socialement utile.