Proposition de création d’une Autorité européene du travail (AET)

Proposition communautaire de création d’une Autorité européenne du travail (AET)

Voir la proposition du 13 mars 2018 de règlement de la Commission européenne
Voir la proposition amendée par le Conseil de l’Union européenne
Voir le communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne

Présentation
Lors de son discours le 13 septembre 2017 sur l’état de l’Union européenne, Jean Claude Juncker, le président de la Commission, avait souhaité la création dès 2019 d’une institution communautaire, alors appelée Agence, pour veiller à une meilleure application de la législation du travail dans les Etats de l’Union européenne. Cette institution, ainsi dénommée Autorité européenne du travail (AET), ou European Labour Authority (ELA), porterait un intérêt tout particulier aux conditions d’emploi et de travail des salariés en mobilité transnationale : salariés détachés, salariés frontaliers et salariés des transports aériens, ferroviaires, fluviaux et routiers.
Les déclarations du président Juncker se sont traduites par une proposition de règlement de la Commission datée du 13 mars 2018. Cette proposition a été adoptée, moyennant des précisions et des évolutions, le 6 décembre 2018 par le Conseil de l’Union européenne. Elle a également été votée par le Parlement européen lors de sa session des 28 et 29 novembre 2018.
En l’état actuel des discussions relatives à la création de cette nouvelle institution européenne, l’AET aurait vocation à fonctionner dans le cadre suivant.

Son objet social se fixerait quatre missions :
.- faciliter l’accès des salariés, des employeurs et des administrations nationales aux informations relatives aux droits et obligations dans les cas de mobilité transnationale,
.- soutenir la coordination entre les Etats en ce qui concerne le droit applicable en cas de mobilité du salarié,
.- assurer une médiation volontaire et non contraignante entre les autorités des Etats afin de régler leurs différends transfrontières,
.- faciliter la recherche de solutions en cas de perturbation du marché du travail.
Le périmètre des missions de l’AET serait l’application de la législation du travail, les événements ayant un impact sur le marché du travail et la coordination des systèmes de sécurité sociale.
S’agissant de l’application de la législation du travail, la proposition de règlement envisage des contrôles et des inspections communes et des inspections concertées. Ces inspections concerneraient les agents des inspections du travail des Etats membres.
L’AET pourrait employer près de 140 personnes.
Le trilogue va s’engager entre la Commission, le Conseil et le Parlement pour parvenir à un texte de compromis de ce règlement.

Commentaire
Quid de l’impact de la création de l’AET sur une amélioration de la lutte contre le travail illégal et le dumping social sur le territoire français ?
A ce stade de l’élaboration de la proposition de règlement, et sous réserve d’un premier bilan de cette institution lorsqu’elle aura été créée, il est possible d’émettre les quelques remarques qui suivent au regard de cette politique publique prioritaire en France :
.1)- la coopération administrative entre Etats membres en matière d’utilisation loyale de la libre prestation de services et du respect du droit de détachement est prévue par l’article 4 de la directive du 16 décembre 1996, soit depuis vingt deux ans. Cette coopération fonctionne de façon erratique, aléatoire et hétérogène selon les Etats à qui les autorités françaises s’adressent pour traiter des affaires de travail illégal. Ce qui est souhaité et attendu, c’est une coopération concrète, effective et non dilatoire ; compte tenu des intérêts divergents des Etats à bas coût, qui exportent du dumping social et les autres Etats qui accueillent ces prestations moins disantes, il n’est pas acquis que l’adoption du règlement AET améliore sensiblement cette coopération qui aurait dû être spontanément de qualité et fructueuse dès 1996.

.2)- la coopération administrative actuelle est fortement entravée pour traiter l’une des causes majeures du travail illégal et du dumping qu’est l’usage frauduleux en France du certificat de détachement, pour ne pas y payer de cotisations sociales ; cet usage frauduleux du certificat de détachement prive également le prétendu salarié détaché de la protection sociale française. Cette entrave a pour origine une robuste jurisprudence de la CJUE (voir notamment affaire A-Rosa et affaire Altun) qui a pour effet d’interdire aux autorités françaises et au juge français d’écarter d’initiative et d’office un certificat de détachement frauduleux. Pis, la CJUE reconnaît à l’Etat d’émission du certificat utilisé frauduleusement en France toute liberté pour retirer ou maintenir ce formulaire, puisque les conclusions de la Commission administrative de coordination des systèmes de sécurité sociale n’ont pas de portée contraignante à son égard (voir affaire Alpenrind).
Le projet de règlement AET va se heurter à cette jurisprudence incontournable. Or, la quasi-totalité des fraudes significatives constatées en France depuis 1986 (fraude à l’établissement, fausse sous-traitance, faux travail indépendant, non respect des présomptions de salariat, dévoiement de la mobilité internationale intragroupe, non respect de la législation sur le travail temporaire ou les agences de mannequins, trafics de main d’œuvre…) se structurent autour de l’usage frauduleux du certificat de détachement qui rend moins cher le coût des prestations réalisées avec le concours de salariés abusivement détachés.

.3)- la coopération administrative envisagée par le projet de règlement AET devra s’articuler avec les demandes d’entraide judiciaire, qui sont d’une autre nature. Cette articulation n’est pas évoquée.

.4)- l’intérêt des contrôles conjoints ou coordonnés reste réellement à démontrer, alors même que ce type de contrôles, outre la question linguistique qui n’est pas anodine, son coût financier et sa lourdeur, suscite de nombreuses interrogations juridiques procédurales, de nature à fragiliser le traitement d’un dossier. Par ailleurs, ces contrôles ne concernent que les agents de l’inspection du travail du ministère du travail, alors que de très nombreux autres agents d’autres administrations, notamment des organismes de recouvrement fiscal ou social, sont compétents en France pour traiter les affaires de travail illégal générées par l’abus de prestation de services ou de détachement de salarié. Ces autres agents ne pourront pas participer à des contrôles conjoints ou coordonnés.
Une vraie coopération administrative loyale et efficace, suppléée, le cas échéant, par l’entraide judiciaire, est suffisante. Par exemple, si l’Etat d’envoi ou d’origine fait savoir rapidement à l’Etat d’accueil et d’emploi qu’une entreprise n’a pas d’activité significative sur son territoire, cette information se suffit à elle seule, sans provoquer un contrôle conjoint ou coordonné (il est possible de multiplier à l’envi les illustrations de ce type).

.5)- la création d’un lieu officiel, complet et à jour de ressources d’informations sur le droit applicable (droit social, droit fiscal et droit commercial), en lien avec la prestation de services et le détachement, dans chaque Etat de l’Union européenne, est attendue depuis fort longtemps ; à titre d’exemple, il n’existe en effet à ce jour aucun lieu ressources d’information sur la législation relative au travail temporaire, sur les agences de mannequins, sur les congés payés et les caisses de congés payés, sur les différents modèles de bulletin de paie… de chaque Etat de l’Union européenne. La constitution d’une telle base de données pourrait ainsi enfin voir très utilement le jour.

Le fait d’élaborer une norme juridique aussi contraignante qu’un règlement, vingt deux ans après la première directive sur le détachement, atteste de l’échec de la coopération administrative intracommunautaire pour lutter contre les fraudes à la prestation de services et au détachement de salarié.
Et dès lors que ce projet de règlement AET ne permet pas de s’affranchir de la jurisprudence communautaire contraignante sur le certificat de détachement, l’initiative des institutions communautaires perd l’essentiel de son intérêt. Le reste des manquements et des fraudes en matière de prestation de services et de détachement, exceptés le niveau insuffisant de rémunération versée au salarié et le non paiement des cotisations aux caisses de congés payés en France, n’est pas déterminant en matière de lutte contre le dumping social.