Question préjudicielle CJUE - certificat de détachement

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 10 janvier 2018

N° de pourvoi : 16-16713

ECLI:FR:CCASS:2018:SO00043

Publié au bulletin

Renvoi devant la cour de justice de l’u.e.

M. Frouin, président

SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le deuxième moyen et la demande de renvoi préjudiciel :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé par la société Vueling Airlines en qualité de copilote à compter du 21 avril 2007 par contrat rédigé en langue anglaise et de droit espagnol et détaché, par avenant de détachement du 14 juin 2007, à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ; que par lettre du 30 mai 2008, le salarié a démissionné puis s’est rétracté par courriel du 2 juin 2008 ; qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 juin 2008 ; que sollicitant la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution, de la rupture du contrat de travail et du travail dissimulé ;

Attendu que par un arrêt du 11 mars 2014 (Crim., 11 mars 2014, n° 12-81.461, Bull. n° 75), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Vueling Airlines contre un arrêt du 31 janvier 2012 de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris ayant condamné la société Vueling Airlines pour travail dissimulé à une amende délictuelle de 100 000 euros et à verser à onze salariés, parmi lesquels M. Y..., diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que par arrêt du 4 mars 2016, la cour d’appel de Paris, saisie de l’appel du jugement prud’homal, a condamné l’employeur à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de la régularisation de ses salaires d’avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés y afférents, des dommages-intérêts pour compenser les congés payés et des dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France alors, selon le moyen :

1°/ que le délit de travail dissimulé n’est constitué que si l’entreprise ou l’entrepreneur n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; qu’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre ; que, selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E101 (devenu formulaire A1) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d’affiliation ; que le juge français, saisi d’une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l’affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d’un autre Etat, qui a délivré à l’entreprise ou l’entrepreneur un tel certificat ; que l’autorité de la chose jugée d’une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu’en l’espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E101) délivré par l’administration espagnole pour M. Y... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d’activité en raison d’un défaut d’affiliation en France ; qu’elle a soutenu en conséquence que le principe de l’autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu’en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu’en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l’administration espagnole à M. Y... d’un certificat E101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n’excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 11, § 1er, du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

3°/ que la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu’en l’espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012, la cour d’appel de Paris s’est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu’une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d’apprécier la portée de la délivrance par l’autorité espagnole de sécurité sociale à M. Y... d’un certificat E101, et en conséquence de la faculté d’écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

Attendu que la société Vueling Airlines demande, en outre, que soit transmise à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :

”Une entreprise peut-elle être privée de la possibilité de détacher des salariés en application de l’article 14, § 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 1), au seul motif qu’elle appartient au secteur du transport aérien, ce qui aurait pour conséquence de soumettre cette entreprise aux seules dispositions figurant aux points a i) et a h) [ii)] de l’article 14, § 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 ?” ;

Attendu que, selon l’article 13, § 2, a), du règlement n° 1408/71/CEE du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leurs familles qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre Etat membre ;

Attendu que l’article 14 dispose, quant à lui, dans sa rédaction applicable au litige :

”La règle énoncée à l’article 13, § 2, point a), est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes :

1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement ;

b) si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder douze mois, la législation du premier Etat membre demeure applicable jusqu’à l’achèvement de ce travail, à condition que l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel l’intéressé est détaché ou l’organisme désigné par cette autorité ait donné son accord ; cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de douze mois. Toutefois, cet accord ne peut être donné pour une période excédant douze mois ;

2) La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation déterminée comme suit :

a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un Etat membre, est soumise à la législation de ce dernier Etat. Toutefois :

i) la personne occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel cette succursale ou représentation permanente se trouve ;

ii) la personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’Etat membre où elle réside est soumise à la législation de cet Etat, même si l’entreprise qui l’occupe n’a ni siège, ni succursale, ni représentation permanente sur ce territoire ;” ;

Attendu qu’il résulte des constatations de l’arrêt de la cour d’appel que la société Vueling Airlines dispose d’une base d’exploitation en France à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle , c’est-à-dire d’une succursale au sens de l’article 14, § 2, a), i), du règlement n° 1408/71/CEE ; qu’il résulte par ailleurs des constatations de la chambre des appels correctionnels dans son arrêt du 31 janvier 2012 et des pièces de la procédure que le certificat E101 délivré par les autorités espagnoles et produit par les parties devant la Cour de cassation que celui-ci, délivré à la société Vueling Airlines sur le seul fondement de l’article 14, § 1, a), mentionne comme lieu d’activité du salarié détaché l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle et que ces seuls éléments étaient de nature à révéler en eux-mêmes que le certificat E101 avait été obtenu de façon frauduleuse ;

Attendu que, selon l’article 11, § 1er, du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre dont la législation reste applicable délivre, à la demande du travailleur salarié ou de son employeur dans les cas visés à l’article 14, § 1er, du règlement n° 1408/71, un certificat (dit certificat E101) attestant que le travailleur salarié demeure soumis à celle-ci et indiquant jusqu’à quelle date ;

Attendu que, selon l’article 12 bis, paragraphe 1 bis, du règlement n° 574/72, si, conformément aux dispositions de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, une personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel se trouve, selon le cas, soit le siège ou le domicile de l’entreprise, soit la succursale ou la représentation permanente qui l’occupe, soit le lieu où elle réside et est occupée de manière prépondérante, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre concerné lui remet un certificat attestant qu’elle est soumise à sa législation ;

Attendu, par ailleurs, que, selon l’article L. 342-4 du code du travail issu de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 (actuel article L. 1263-3 du code du travail), “un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire national ou lorsqu’elle est réalisée dans les locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquelles elle est exercée de façon habituelle, stable et continue. Il ne peut notamment se prévaloir de ces dispositions lorsque son activité comporte la recherche et la prospection d’une clientèle ou le recrutement de salariés sur ce territoire. Dans les situations visées au premier alinéa, l’employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire français.” ;

Que l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile dispose que “L’article L. 342-4 du code du travail est applicable aux entreprises de transport aérien au titre de leurs bases d’exploitation situées sur le territoire français. Une base d’exploitation est un ensemble de locaux ou d’infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre effectif de leur activité professionnelle. Au sens des dispositions qui précèdent, le centre de l’activité professionnelle d’un salarié est le lieu où, de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission.” ;

Attendu que, selon l’article L. 324-10 du code du travail, devenu L. 8221-3 du code du travail, “est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne physique ou morale qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations :

a) N’a pas requis son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;

b) Ou n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait, pour tout employeur, de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de l’une des formalités prévues aux articles L. 143-3 et L. 320. (...)” ;

Attendu qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que les décisions de la juridiction pénale ont au civil l’autorité de chose jugée à l’égard de tous et qu’il n’est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif. (Cass. 2e Civ., 15 septembre 2011, n° 10-23.226 ; Cass. 2e Civ., 5 mars 2015, n° 13-18.134 ; Cass. 2e Civ., 21 mai 2015, n° 14-18.339 ; Cass. 2e Civ., 7 janvier 2016, n° 13-24.255 ; Cass. Soc., 18 février 2016, n° 14-23.468) ;

Attendu enfin que la Cour de justice de l’Union européenne (A Rosa B..., 27 avril 2017, C-620/15), saisie par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. Plén., 6 novembre 2015, n° 13-25.467, Bull. 2015, Ass. plén., n° 9) d’une question préjudicielle a dit pour droit que “l’article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, doit être interprété en ce sens qu’un certificat E101 délivré par l’institution désignée par l’autorité compétente d’un Etat membre, au titre de l’article 14, § 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet Etat membre, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71” ; que la Cour de justice ne s’est pas prononcée sur l’article 14, § 1, du règlement n° 1408/71 précité ;

Que se pose dès lors la question de savoir, d’abord, si l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt A Rosa B..., C-620/15 précité, à l’article 14, § 2, a), du règlement n° 1408/71/CEE, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 s’applique à un litige relatif à l’infraction de travail dissimulé, dans lequel les certificats E101 ont été délivrés au titre de l’article 14, § 1, a), en application de l’article 11, § 1er, du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, alors que la situation relevait de l’article 14, § 2, a), i), pour des salariés exerçant leur activité sur le territoire de l’Etat membre dont ils sont ressortissants et sur lequel l’entreprise de transport aérien établie dans un autre Etat membre dispose d’une succursale, et que la seule lecture du certificat E101 qui mentionne un aéroport comme lieu d’activité du salarié et une entreprise aérienne comme employeur permettait d’en déduire qu’il avait été obtenu de façon frauduleuse ;

Que, dans l’affirmative, se pose la seconde question de savoir si le principe de la primauté du droit de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, tenue en application de son droit interne par l’autorité de la chose jugée par une juridiction pénale sur la juridiction civile, tire les conséquences d’une décision d’une juridiction pénale rendue de façon incompatible avec les règles du droit de l’Union européenne en condamnant civilement un employeur à des dommages-intérêts envers un salarié du seul fait de la condamnation pénale de cet employeur pour travail dissimulé ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne les questions suivantes :

1°) l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt A Rosa B..., C-620/15 précité, à l’article 14, § 2, a), du règlement n° 1408/71/CEE, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, s’applique-t-elle à un litige relatif à l’infraction de travail dissimulé dans lequel les certificats E101 ont été délivrés au titre de l’article 14, § 1, a), en application de l’article 11, § 1er, du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, alors que la situation relevait de l’article 14, § 2, a), i), pour des salariés exerçant leur activité sur le territoire de l’Etat membre dont ils sont ressortissants et sur lequel l’entreprise de transport aérien établie dans un autre Etat membre dispose d’une succursale et que la seule lecture du certificat E101 qui mentionne un aéroport comme lieu d’activité du salarié et une entreprise aérienne comme employeur permettait d’en déduire qu’il avait été obtenu de façon frauduleuse ?

2°) dans l’affirmative, le principe de la primauté du droit de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, tenue en application de son droit interne par l’autorité de la chose jugée par une juridiction pénale sur la juridiction civile, tire les conséquences d’une décision d’une juridiction pénale rendue de façon incompatible avec les règles du droit de l’Union européenne en condamnant civilement un employeur à des dommages-intérêts envers un salarié du seul fait de la condamnation pénale de cet employeur pour travail dissimulé ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu’à ce que la Cour de justice se soit prononcée ;

Réserve les dépens ;

Dit qu’une expédition du présent arrêt, ainsi qu’un dossier comprenant, notamment, le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier en chef de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Vueling Airlines

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR déclaré irrecevable les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle formées par la société VUELING AIRLINES ;

AUX MOTIFS QUE « la société VUELING AIRLINES demande à la cour de : « PRONONCER le sursis à statuer de la présente instance et saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne en vertu de l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne de la question préjudicielle suivante : « Une entreprise peut-elle être privée de la possibilité de détacher des salariés en application de l’article 14 paragraphe 1 sous a) du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) nº 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) nº 64 7/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 1), au seul motif qu’elle appartient au secteur du transport aérien, ce qui aurait pour conséquence de soumettre cette entreprise aux seules dispositions figurant aux points a i) et a ii) de l’article 14 paragraphe 2 du règlement (CEE) nº 1408/71 » M. Y... demande en défense à la cour de : « Sur la demande de sursis à statuer au motif de la question préjudicielle soulevée par la compagnie Société VUELING AIRLINES SA dans ses conclusions d’appel pour l’audience du 1er décembre 2015 à 9h00. Vu l’arrêt du 11 mars 2014 de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, ayant expressément constaté qu’il n’y avait pas matière à poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Vu l’autorité de la chose jugée, conformément aux dispositions de l’article 1351 du code Civil. Vu l’autorité de la chose jugée au pénal au civil. Voir déclarer irrecevable la question préjudicielle soulevée par la SA VUELING AIRLINES et sa demande de sursis à statuer, en application des dispositions de l’article 1351 du code Civil » ; A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour déclare irrecevables les demandes de ce chef formulées par la société VUELING AIRLINES au motif que la question préjudicielle précitée a déjà été posée dans le cadre du procès pénal, comme la société VUELING AIRLINES l’a confirmé oralement devant la cour (cf. la note d’audience) et que la Cour de cassation l’a rejetée par une décision ayant l’autorité de la chose jugée » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif ; que seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité à l’égard de tous ; que pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle formulées par la société VUELING AIRLINES, la cour d’appel s’est fondée sur l’autorité de la chose jugée qui serait résultée de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 (n° T 12-81.461) par lequel cette dernière avait refusé de transmettre à la Cour de justice de l’Union Européenne une question préjudicielle similaire ; qu’en statuant ainsi, cependant que le refus de transmission d’une question préjudicielle par la chambre criminelle de la Cour de cassation n’avait pas autorité de la chose jugée à l’égard du juge civil, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil n’est attachée qu’à ce qui a été jugé au pénal stricto sensu, à l’exclusion des décisions du juge répressif à caractère civil ; qu’en matière civile, pour que l’autorité de la chose jugée puisse être opposée, il faut que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu’aussi en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l’autorité de la chose jugée qui serait résultée de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 qui a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, cependant que cette décision de la Cour de cassation ne portait pas sur les mêmes demandes et n’avait pas le même objet, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité à l’égard de tous ; que le juge ne statue pas au fond lorsqu’il refuse de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne ; que dès lors en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 2014 par lequel la Cour de cassation a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, la cour d’appel a derechef violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... les sommes de 26.422 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de 2.787,05 € au titre de la régularisation de ses salaires d’avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, outre 278,50 € au titre des congés payés y afférents, de 4.370 € à titre de dommages et intérêts pour compenser les congés payés, et de 3.600 € à titre de dommages et intérêts pour absence de cotisations sociales en France ;

AUX MOTIFS QUE « sur l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé M. Y... demande la somme de 26.422 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et fait valoir, à l’appui de cette demande que la société VUELING AIRLINES a été condamnée pour travail dissimulé par arrêt du 31 janvier 2012 de la cour d’appel de Paris ; cette décision est devenue définitive après le rejet du pourvoi en cassation formée contre elle par arrêt du 11 mars 2014. La société VUELING AIRLINES s’y oppose et fait valoir, à l’appui de sa contestation les arguments développés de la page 12 à la page 35 de ses conclusions d’appel selon lesquels : - les juridictions nationales ne sont pas habilitées à vérifier la validité des formulaires E 101, - la Direction Départementale de Gestion Décentralisée de la Direction Départementale de la Trésorerie Générale de la Sécurité Sociale de Barcelone a, le 15 décembre 2014, confirmé la validité des formulaires E 101 litigieux, - le travail dissimulé litigieux ne peut donc pas être retenu ; - la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 2014 constitue donc une violation manifeste du droit communautaire et de ses principes directeurs, en l’occurrence, le principe de primauté absolue du droit communautaire, primaire ou dérivé, sur les droits internes des États membres et l’effet direct du droit communautaire, - en sorte que c’est en vain que l’appelant fonde sa prétention sur l’autorité de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 2014 ayant confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 31 janvier 2012. A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d’éléments suffisants pour retenir que la société VUELING AIRLINES a été condamnée par une décision ayant force de chose jugée pour travail dissimulé pour des faits relatifs notamment à l’emploi de M. Y... ; l’arrêt de condamnation du 31 janvier 2012 de la cour d’appel de Paris est devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation formé contre elle par arrêt du 11 mars 2014 et les moyens contraires de la société VUELING AIRLINES sont mal fondés. Le montant de l’indemnité forfaitaire doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des 6 mois précédant la rupture du contrat de travail. Il convient donc de faire droit à la demande de M. Y... à hauteur de 26.422 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de l’article L. 8223-1 du code du travail. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. Y... de sa demande formée au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... la somme de 26.422 € au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé » ;

ET AUX MOTIFS QU’ « à l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d’éléments suffisants pour retenir que, - pendant toute la période de détachement en France, de juin 2007 à mai 2008, et alors que M. Y... aurait dû bénéficier du droit français, les cotisations sociales ont été versées en Espagne ; - M. Y... n’a donc pas cotisé pendant ce temps à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (CRPN) ; - il ressort de la simulation réalisée par le salarié que cette absence de cotisations le prive d’une majoration de sa pension de retraite de 300 € par mois, soit 3.600 € pour la période de 12 mois de la durée d’exécution en France de son contrat de travail » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE le délit de travail dissimulé n’est constitué que si l’entreprise ou l’entrepreneur n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; qu’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d’affiliation ; que le juge français, saisi d’une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l’affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d’un autre Etat, qui a délivré à l’entreprise ou l’entrepreneur un tel certificat ; que l’autorité de la chose jugée d’une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu’en l’espèce, la société VUELING AIRLINES a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l’administration espagnole pour M. Y... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d’activité en raison d’un défaut d’affiliation en France ; qu’elle a soutenu en conséquence que le principe de l’autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu’en se fondant néanmoins, pour condamner la société VUELING AIRLINES pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART ET POUR LA MEME RAISON, QU’en se fondant, pour condamner la société VUELING AIRLINES pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l’administration espagnole à M. Y... d’un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n’excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société VUELING AIRLINES pour dissimulation d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu’en l’espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d’appel de Paris s’est bornée à considérer que les salariés de la société VUELING AIRLINES intervenant sur le site de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu’une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d’apprécier la portée de la délivrance par l’autorité espagnole de sécurité sociale à M. Y... d’un certificat E101, et en conséquence de la faculté d’écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit que la rupture du contrat de travail de M. Y... était imputable à la société VUELING AIRLINES et qu’elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’AVOIR en conséquence condamné la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... les sommes de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 13.210,77 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.321 € au titre de congés payés y afférents, et de 5.019 € au titre de l’indemnité de licenciement, et d’AVOIR débouté la société VUELING AIRLINES de sa demande de condamnation de M. Y... à lui verser la somme de 9.000 € à titre de dommages-intérêts pour non exécution du préavis ;

AUX MOTIFS QUE « lorsqu’un salarié démissionne en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture constitue une prise d’acte et produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont justifiés, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Ainsi une démission provoquée par le comportement de l’employeur doit être requalifiée en prise d’acte et les griefs invoqués par le salarié doivent être analysés par les juges du fond. Si le salarié mentionne dans sa lettre de rupture qu’il démissionne sans autre précision mais qu’ensuite, au cours de la procédure, il fait état de manquement de l’employeur les juges doivent rechercher si la démission sans réserve, qui revêt a priori tous les aspects d’une démission sans équivoque, n’a pas été donnée en raison de circonstances antérieures ou contemporaines à la démission. Il entre dans l’office du juge, dans le contentieux de la prise d’acte de la rupture, de rechercher si les faits invoqués justifient ou non la rupture du contrat et de décider par la suite si cette dernière produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’une démission. Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur qu’en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail. Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur. En l’espèce, au vu des éléments de l’espèce et notamment du fait que M. Y... a démissionné par lettre notifiée le 30 mai 2008, puis s’est rétracté par courriel du 2 juin 2008 en invoquant les menaces subies et l’illégalité de sa situation contractuelle au regard du droit français (pièce 23), puis a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur par lettre du 9 juin 2008 (pièce 53) en invoquant à nouveau cette illégalité et le non paiement de ses salaires, la cour retient que la démission de M. Y... provoquée par le comportement de l’employeur doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture. Et c’est en vain que la société VUELING AIRLINES soutient que la démission de M. Y... n’est pas équivoque, peu important les termes de la lettre de démission du 30 mai 2008 qui a été quasiment aussitôt rétractée le 2 juin 2008. Par suite les griefs invoqués par le salarié doivent être analysés par les juges du fond. A l’appui de sa demande de prise d’acte aux torts de l’employeur, M. Y... soutient que la société VUELING AIRLINES a commis les manquements suivants : - il a subi des menaces de la part de son employeur relativement à un jour d’absence de sa part le lundi 26 mai 2008 (pièces 50, 51 et 52) ; - il n’a pas été payé de ses salaires de mai et juin 2008 (pièces 50 à 53) sa situation contractuelle est illégale au regard du droit français (pièces 13 à 18). La société VUELING AIRLINES s’oppose à ces moyens en soutenant en substance, comme cela a déjà été rappelé à propos de la question du travail dissimulé, que la situation contractuelle de M. Y... est légale. Il résulte cependant de l’examen des pièces versées aux débats que M. Y... apporte suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la situation contractuelle de M. Y... est illégale au regard du droit français comme cela ressort des faits suivants : - avoir passé une très brève période d’un mois et demi en Espagne, M. Y... a toujours travaillé en France, rattaché à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle , son adresse personnelle restant fixée près de Nice en France bien que l’employeur, dans son contrat de travail du 21 avril 2007 et l’avenant détachement du 14 juin 2007, l’ait fictivement domicilié Barcelone à son siège social, lui délivrant des bulletins de salaire avec une fausse adresse personnelle à Barcelone ; - lors de son enquête, l’inspection du travail relevait l’existence d’un établissement fixe au terminal 1 de l’aéroport Charles-de Gaulle, et l’emploi de personnels y ayant le centre effectif de leur activité professionnelle, c’est-à-dire l’endroit où ces salariés travaillent de façon habituelle ou celui où ils prennent leurs services et retournent après l’accomplissement de leur mission ; - l’inspection du travail constatait que seul le personnel au sol était déclaré auprès de l’URSSAF, le personnel navigant relevant du régime social espagnol et étant détaché en France, alors que l’ensemble des salariés devait être affilié au régime social français, quel que soit leur statut. - sur le plan pénal, un procès-verbal a donc été dressé le 28 mai 2008 pour travail dissimulé et la cour d’appel de Paris par arrêt du 31 janvier 2012 condamnait la société VUELING AIRLINES pour travail dissimulé à une amende délictuelle de 100.000 €, - la société VUELING AIRLINES a ensuite fait l’objet de redressements importants de mai 2007 à fin août 2008 au titre de l’URSSAF et de l’assurance-chômage. Il est en outre suffisamment établi par les pièces du dossier et par les débats que ces manquements relatifs à l’illégalité de la situation contractuelle de M. Y... sont d’une gravité telle qu’ils font obstacle à la poursuite du contrat de travail. La cour retient donc que la société VUELING AIRLINES a manqué gravement à ses obligations d’employeur à l’égard de M. Y.... En conséquence, la cour juge que la demande de prise d’acte aux torts de l’employeur de M. Y... est bien fondée, et que la rupture du contrat de travail de M. Y..., imputable à la société VUELING AIRLINES, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a jugé que la rupture du contrat de travail de M. Y... n’est pas imputable à faute à la société VUELING AIRLINES et qu’elle produit les effets d’une démission, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que la rupture du contrat de travail de M. Y..., imputable à la société VUELING AIRLINES, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. M. Y... demande la somme de 22.020 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; la société VUELING AIRLINES s’y oppose. Il est constant qu’à la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. Y... n’avait pas au moins deux ans d’ancienneté ; il y a donc lieu à l’application de l’article L. 1235-5 du code du travail dont il ressort que le juge octroie une indemnité au salarié égale au préjudice subi. Il résulte de l’examen des pièces versées aux débats, compte tenu de l’âge de M. Y..., de son ancienneté, de la durée de son chômage, de la perte des avantages en nature, des difficultés financières générées par son licenciement abusif, du dommage moral qui a été nécessairement subi par M. Y... à la suite de la perte de son emploi dans des conditions injustes, que l’indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 10.000 €. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. Y... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur l’indemnité compensatrice de préavis. M. Y... demande la somme de 13.210,77 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1.321 € au titre de congés payés y afférents ; la société VUELING AIRLINES s’y oppose. En application de articles R. 423-1 du code de l’aviation civile, le salarié a droit à un préavis d’au moins 3 mois sauf faute grave ; par suite la société VUELING AIRLINES doit être condamnée à payer à M. Y... la somme de 13.210,77 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1.321 € au titre de congés payés y afférents. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. Y... de sa demande formée au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... la somme de 13.210,77 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1.321 € au titre de congés payés y afférents. Sur l’indemnité de licenciement M. Y... demande la somme de 5.019 € au titre de l’indemnité de licenciement ; la société VUELING AIRLINES s’y oppose. En application des articles R. 423-1 du code de l’aviation civile, le salarié a droit à une indemnité de licenciement. Il résulte de l’examen des pièces versées aux débats, que le salaire de référence de M. Y... s’élève à 4.705 € par mois et que l’indemnité de licenciement doit être fixée à la somme de 5.019 €. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. Y... de sa demande formée au titre de l’indemnité de licenciement, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société VUELING AIRLINES à payer à M. Y... la somme de 5.019 € au titre de l’indemnité de licenciement » ;

ET AUX MOTIFS QUE « le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne les dispositions prises en application de l’article 700 du code de procédure civile et la disposition ayant fait droit à la demande reconventionnelle formée par la société VUELING AIRLINES à hauteur de 9.000 € à titre de dommages et intérêts pour non exécution du préavis » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la cassation entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que par application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant la société exposante pour travail dissimulé et considérant que le salarié avait été rattaché de manière illégale à la législation espagnole entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif qui, pour ce motif, a jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a accordé à ce titre au salarié des rappels de salaire, des indemnités de rupture, ainsi que des dommages-intérêts, et a débouté la société de sa demande de dommages et intérêts pour non exécution du préavis ;

ALORS, D’AUTRE PART ET A TITRE SUBSIDIAIRE, QUE la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que la rétractation d’une démission ne produit aucun effet dès lors que la volonté de démissionner a été clairement établie et que l’employeur a déjà reçu la lettre de démission ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge ne peut l’analyser en une prise d’acte que s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque ; que par une lettre du 30 mai 2008, M. Y... a fait part à la société de son intention de démissionner, indiquant à cet égard à l’employeur « les raisons de ma démission sont personnelles et je souhaite m’excuser pour les inconvénients que cela peut causer » ; qu’en se bornant à constater, pour refuser de tenir compte de cette démission claire et dépourvue d’ambigüité, que le salarié s’était rétracté de cette démission deux jours plus tard puis avait entendu prendre acte de la rupture de son contrat de travail dix jours plus tard, sans constater que la démission du 30 mai 2008 présentait un caractère équivoque au jour où elle a été donnée par le salarié, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1237-2 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

ALORS, ENFIN ET A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE, QUE les juges du fond ne peuvent déduire le caractère équivoque de la démission de la seule rétractation du salarié dans un bref délai ; qu’à supposer que la cour d’appel ait implicitement déduit le caractère équivoque de la démission du courrier de rétractation adressé par M. Y... à la société VUELING AIRLINES deux jours après la lettre de démission du 30 mai 2008, en statuant ainsi elle a violé les articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1237-2 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 4 mars 2016