Entraide familiale non

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 avril 2018

N° de pourvoi : 17-82894

ECLI:FR:CCASS:2018:CR00573

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" M. C... Z... ,

"-" La société Chen,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 13 mars 2017, qui, pour travail dissimulé et emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, a condamné, le premier à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 1 000 euros d’amende, la seconde à 3 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 27 février 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 et 6-3 a) et e) de la Convention européenne des droits de l’homme, 2 et 4 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, préliminaire, 385, 485, 591, 593, 802, 803-5, D 594-1 et suivants du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a refusé d’annuler les procès-verbaux base des poursuites ;

”aux motifs qu’il ressort de la procédure que ni M. C... Z... , ni les différentes personnes entendues comme témoins n’ont été assistées d’un interprète pendant leurs auditions par les services de police ; que la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 a transposé en son article 4 la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction au cours des procédures pénales ; que désormais, l’article préliminaire du code de procédure pénale énonce que « si la personne ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète » ; que, concernant M. Z..., le seul fait qu’il ait sollicité l’assistance d’un interprète à l’audience devant les premiers juges et devant la cour ne présume en rien l’absence de compréhension de la langue française ; que dans son procès-verbal d’audition libre par la police aux frontières en date du 9 juillet 2014 à 16 heures, M. Z... a déclaré : « je consens à m’exprimer en langue française que je comprends et que je sais lire et écrire » ; que devant la cour, il a fait exactement les mêmes déclarations que celles actées sur son procès-verbal d’audition par les services de police, ce qui démontre qu’il avait parfaitement compris les questions posées par les policiers, et que des réponses avaient été bien retranscrites ; qu’il y a lieu de souligner que M. Z..., bien que de nationalité chinoise, réside sur le territoire français depuis plus de dix ans, comme en atteste la condamnation figurant à son casier judiciaire pour des faits commis en France en 2005 ; qu’il exerce la profession de gérant d’un restaurant asiatique ; qu’il a trois enfants scolarisés en France ; que l’ensemble de ces éléments permet de conclure que M. Z... comprend suffisamment la langue française ;

”1°) alors qu’il résulte des textes susvisés que le droit de toute personne suspectée ou poursuivie, qui ne comprend pas suffisamment la langue française, à un interprète et à la traduction des pièces de la procédure à tous les stades de la procédure pénale est un droit fondamental dont la méconnaissance porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne poursuivie et qui doit être sanctionnée par la nullité de la procédure ; qu’il est constant, ainsi que l’ont constaté tant le tribunal que la cour d’appel, que M. Z... ne parlait pas suffisamment la langue française et qu’en refusant de tirer les conséquences qui s’imposaient de cette constatation et d’annuler les procès-verbaux, base des poursuites d’où il ressortait que M. Z... n’avait à aucun moment bénéficié du droit à l’assistance d’un interprète et à la traduction des actes de la procédure, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;

”2°) alors que le droit pour toute personne poursuivie d’être informée dans le plus court délai dans une langue qu’elle comprend et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle suppose pour être effectif que dès lors que la personne poursuivie n’a qu’une connaissance approximative de la langue utilisée dans la procédure, elle bénéficie, dès qu’elle est auditionnée, de l’assistance d’un interprète et de la traduction des actes de la procédure” ;

Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité pris de ce que C... Z... , de même que les témoins de nationalité chinoise n’ont pas été assistés par un interprète à l’occasion de leurs auditions par les enquêteurs, de sorte que, ne comprenant ni ne lisant la langue française, leur droit à l’interprétation et à la traduction au cours des procédures pénales tel qu’édicté par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 n’aurait pas été respecté, l’arrêt relève que le fait, pour M. Z... d’avoir sollicité l’assistance d’un interprète à l’audience devant les premiers juges et devant la cour d’appel ne présume en rien l’absence de compréhension de la langue française par ce dernier ; que les juges soulignent que l’intéressé a déclaré, lors de son audition par le service de police, consentir à s’exprimer en langue française, langue qu’il a indiqué comprendre, lire et écrire ; qu’ils ajoutent que le prévenu, d’une part, a fourni devant eux les mêmes explications que celles qui avaient été enregistrées au cours de l’enquête, ce qui démontre qu’il avait parfaitement compris les questions posées par les policiers et que ses réponses avaient été bien retranscrites, d’autre part, réside sur le territoire français depuis plus de dix ans, ayant d’ailleurs déjà été condamné pour des faits commis en France en 2005, y exerce la profession de gérant d’un restaurant et y a trois enfants scolarisés ; qu’ils déduisent de ces constatations que M. Z... comprend suffisamment la langue française ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-2 du code pénal, L. 1221-10, L. 8221-1 et suivants, L. 8222-5, L. 8224-1, L. 8256-2, L. 8256-7 et R. 1227-1 du code du travail, 429, 591 et 593, du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Z... et la société Chen coupables de travail dissimulé, embauche de salariés sans déclaration préalable conforme à l’organisme de protection sociale et d’emploi en France d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié ;

”aux motifs que trois infractions sont reprochées à M. Z..., en tant que personne physique, et ès qualités de représentant légal de la société Chen :- travail dissimulé par défaut de déclaration préalable à l’embauche en tant qu’employeur de MM. D... B... et A... Z..., - emploi de M. B... et de M. Z..., étrangers non munis d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France, - embauche de MM. B... et Z... sans déclaration préalable à un organisme de protection sociale ; que l’article L. 8221-1 du code du travail interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé ; que L’article L. 1822-5 du même code précise qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche ; que l’article L. 1221-10 du code du travail énonce que l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après déclaration nominative accomplie par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet ; que M. Z... est le gérant de la société Chen laquelle exploite un restaurant asiatique à [...] sous l’enseigne Paradis Wok ; que lors d’un contrôle dans le restaurant le 9 juillet 2014, avant le service du déjeuner, les agents du service de lutte contre le travail illégal ont constaté la présence de MM. B... et Z..., ressortissants chinois, en situation de travail : M. B... était occupé à découper du saumon en cuisine et M. Z... préparait les tables en salle ; que les vérifications ont montré que ni l’un ni l’autre n’avaient fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche ni de déclaration nominative auprès des organismes de protection sociale ; qu’ils étaient en outre démunis d’un titre de séjour français ; qu’entendus par les services de police, MM. B... et Z... ont reconnu qu’ils travaillaient au moment du contrôle ; que la version de M. Z... selon laquelle le premier préparait son repas et la seconde traversait la salle car elle sortait des toilettes, ne saurait être considérée comme crédible ; que M. Z... affirme qu’il s’agit de membres de sa famille venus passer quelques jours en France ; que le lien de parenté a varié selon ses déclarations, puisqu’initialement M. Z... a déclaré qu’ils étaient « cousins du côté de sa mère » alors que devant la cour il indique qu’ils sont cousins de son épouse ; qu’aucun élément n’est en outre produit par M. Z... pour attester de ce lien de parenté ; que les constatations in situ du service de lutte contre le travail illégal et l’enquête de la police aux frontières démontrent que MM. B... et Z... ont fourni une prestation de travail dissimulée, dans un lien de subordination avec leur employeur ; que si l’entraide familiale peut être tolérée dans une entreprise en nom propre, se limitant aux ascendants et aux descendants, elle n’est par contre pas admise pour une entreprise commerciale laquelle doit pourvoir les postes nécessaires à la réalisation de son objet social par l’embauche de salariés ; qu’il est en effet de jurisprudence constante qu’il n’est pas possible d’« aider une personne morale », et que le caractère occasionnel d’emploi irrégulier de salariés importe peu ; que les infractions sont par conséquent caractérisées en leurs éléments matériels ; que M. Z... n’ignorait pas la législation en vigueur relative aux conditions d’embauche d’un salarié, pour avoir procédé auparavant à ces formalités pour plus d’une vingtaine d’employés permanents du restaurant ; que l’élément intentionnel est donc parfaitement établi ; que l’article 121-2 alinéa 1 du code pénal dispose que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte et par leurs organes ou représentants ; qu’en ayant recours à deux employés non déclarés pour oeuvrer en cuisine et en salle dans son restaurant, M. Z... a agi en qualité de gérant de la société Chen et pour le compte de celle-ci ;

”1°) alors qu’il est interdit aux juges de statuer par des motifs généraux et qu’en énonçant, par un motif qui sert de soutien nécessaire à sa décision, qu’une entreprise commerciale doit pourvoir les postes nécessaires à la réalisation de son objet social par l’embauche de salariés, la cour d’appel a méconnu le principe susvisé et privé ce faisant sa décision de base légale ;

”2°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article 429 du code de procédure pénale qu’un procès-verbal ou un rapport n’a de valeur probante que s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu’il a vu, entendu ou constaté personnellement ; que la qualification juridique des faits dans un procès-verbal est insuffisante à elle seule à établir la régularité de ce procès-verbal s’il ne s’y joint des constatations matérielles qui en constituent le support et qu’en ne précisant pas dès lors dans sa décision quelles constatations in situ du service contre le travail illégal impliquaient l’existence d’un lien de subordination entre M. Z... et la société Chen d’une part et MM. B... et Z... d’autre part, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé” ;

Attendu que, pour déclarer la société Chen et M. Z... coupables de travail dissimulé par défaut de déclaration préalable à l’embauche, d’emploi d’étrangers non munis d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France et d’embauche de salarié sans déclaration préalable à un organisme de protection sociale, en leur qualité, la première, d’employeur de M. B... et de Mme A... Z..., le second de gérant de ladite société exploitant un restaurant, l’arrêt énonce qu’à l’occasion d’un contrôle de cet établissement, réalisé avant le service du déjeuner, les agents du service de lutte contre le travail illégal ont constaté la présence de M. B... et de Mme Z..., ressortissants chinois, en situation de travail, le premier en cuisine, la seconde en salle ; que les vérifications ont montré que ces employés, démunis d’un titre de séjour en France, n’avaient fait l’objet ni de déclaration préalable à l’embauche, ni de déclaration nominative auprès d’un organisme de protection sociale ; que les juges relèvent que, d’une part, le rapport de l’inspection du travail, base des poursuites, a constaté le travail effectif de M. B... et Mme Z... au moment du contrôle, d’autre part, les explications du prévenu quant aux activités des deux personnes en cause dans le restaurant et au lien de parenté qu’il aurait avec eux ne sauraient être considérées comme crédibles dès lors qu’elles sont empreintes de contradictions ; qu’ils ajoutent que les constatations du service de lutte contre le travail illégal et l’enquête consécutive à ces dernières démontrent que les employés précités ont fourni une prestation de travail dissimulé, dans un lien de subordination avec leur employeur, d’où ils déduisent la culpabilité des prévenus, dès lors que, d’une part, M. Z... n’ignorait pas la législation en vigueur relative aux conditions d’embauche d’un salarié, pour l’avoir déjà mise en application au profit de plus de vingt employés, d’autre part, en ayant recours à deux employés non déclarés pour oeuvrer en cuisine et en salle, M. Z... a agi en qualité de gérant de la société Chen et pour le compte de celle-ci ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, d’où il résulte que les prévenus n’ont pas justifié avoir rempli les obligations qui s’imposaient à eux de procéder tant aux déclarations nominatives préalables à l’embauche, qu’à celles auprès d’un organisme de protection sociale pour les deux employés en cause, lesquels étaient, en outre, dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France, abstraction faite des motifs surabondants relatifs à l’entraide familiale au sein d’une entreprise commerciale, justement critiqués par la première branche du moyen, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 132-1 et 132-20 du code pénal, 591 et 593, du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que la cour d’appel a prononcé à l’encontre de M. Z... une peine d’amende de 1 000 euros sans tenir compte de ses charges en violation des dispositions impératives de l’article 132-20 du code pénal” ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 132-20 du code pénal, 591 et 593, du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que la cour d’appel a prononcé à l’encontre de la société Chen une peine d’amende de 3 000 euros sans tenir compte des ressources et des charges de cette personne morale en violation des dispositions impératives de l’article 132-20 du code pénal” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que pour porter à 3 000 et 1 000 euros les montants des amendes prononcées respectivement contre la société Chen et M. Z..., l’arrêt relève que ce dernier a déjà été condamné du chef de travail dissimulé, que les revenus de l’intéressé sont de l’ordre de 1 600 euros par mois et que le chiffre d’affaire mensuel du restaurant est de 60 000 euros ; que les juges énoncent également que l’épouse de M. Z... travaille avec ce dernier dans l’établissement dont il est le gérant ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte qu’ont été prises en considération les circonstances des infractions, la personnalité et la situation personnelle de leurs auteurs, en tenant compte de leurs ressources et de leurs charges, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix avril deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Douai , du 13 mars 2017