Blanchiment oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 8 septembre 2015

N° de pourvoi : 14-80665

ECLI:FR:CCASS:2015:CR03259

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Straehli (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Jean-Philippe Caston, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
 M. Hervé X...,
contre l’arrêt de la cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 17 décembre 2013, qui, pour travail dissimulé et blanchiment, l’a condamné à dix-huit mois d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, a ordonné la confiscation de biens immobiliers, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 juin 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Straehli, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, et conseiller rapporteur, MM. Finidori, Monfort, conseillers de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle JEAN-PHILIPPE CASTON, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général LE DIMNA ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, ainsi que 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé et de blanchiment, l’a condamné à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, assorti d’un sursis d’un an avec mise à l’épreuve pendant deux ans, a ordonné à titre de peine complémentaire la confiscation de parcelles de vigne sises à Villers-Marmery et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que M. X... a, courant janvier 2006, créé avec M. Z... la société de droit polonais Sav Spolka Zoo dont de multiples salariés, jusqu’à plus de 300 par an en 2010, sont venus travailler en Champagne, spécialement à l’occasion des vendanges ; que pour contester l’obligation pour la société Sav Spolka Zoo de s’immatriculer en France et d’y déclarer l’embauche de ses salariés, MM. X... et Z...font valoir que devrait s’appliquer à l’espèce les circulaires du Parlement européen et du Conseil 96/ 71/ CE du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et 2006/ 123/ CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, cette dernière n’ayant au surplus pas fait l’objet d’une transposition régulière en droit interne ; qu’aux termes de l’article 1261-1 du code du travail, « est salarié détaché au sens du présent titre tout salarié d’un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France (¿) » ; que la directive 2006/ 123/ CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dite « directive Bolkenstein », comporte quant à elle des dispositions strictement similaires quant au champ d’application du détachement ; que la directive en cause a, en effet, énoncé en son considérant 37 que « le lieu d’établissement d’un prestataire devait être déterminé conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, selon laquelle le concept d’établissement implique l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée (¿) ; que selon cette définition, qui exige l’exercice effectif d’une activité économique sur le lieu d’établissement du prestataire, une simple boîte aux lettres ne constitue pas un établissement (¿) » ; que l’article 2 de la directive intitulé « champ d’application » a édicté que « la présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un état membre (¿) », l’article 4, « définitions », énonçant quant à lui que « aux fins de la présente directive, on entend par (¿) « établissement », l’exercice effectif d’une activité visée à l’article 34 du traité par le prestataire pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de service est réellement réalisée (¿) » ; qu’en droit interne comme dans le cadre communautaire, le détachement d’un salarié en France n’est donc possible que par un prestataire régulièrement établi sur le territoire d’un état membre y exerçant effectivement une activité au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement réalisée ; que tel n’est aucunement le cas de la société Sav Spolka Zoo, n’exerçant, au vu de l’ensemble des éléments de la procédure, aucune activité effective en Pologne ; que M. X... a, en effet, lui-même admis que la société en cause réalisait près de 100 % de son chiffre d’affaires en France, M. Z...ayant pour sa part déclaré que la société Sav Spolka Zoo avait été créée dans l’unique but de faire réaliser dans la Marne des travaux viticoles par du personnel venu de Pologne où ne s’exerçait pas d’activité ; que l’inspection du travail polonaise a trouvé porte close, aucune réponse n’ayant par ailleurs été donnée aux appels téléphoniques adressés à la société Sav Spolka Zoo ; que l’absence d’activité en Pologne de ladite société résulte encore des auditions de la compagne de M. X... ainsi que des salariés ; que les éléments compatibles recueillis ont permis de constater que la totalité des virements effectués au crédit du compte de la société Sav Spolka Zoo provenait de personnes physiques ou morales établies en France, le bilan de l’année 2008 retrouvé lors de la perquisition ayant établi que 97, 30 % du chiffre d’affaires de l’exercice avait été réalisé dans le cadre des prestations vinicoles effectuées en France ; qu’il apparaît encore que la société Sav Spolka Zoo ne disposait pas en Pologne du matériel nécessaire à la réalisation des prestations, celui-ci étant stocké au domicile de M. X... et remis aux salariés par ce dernier ; que la société Sav Spolka Zoo n’ayant donc eu aucune activité réelle en Pologne et n’ayant satisfait en France à aucune des obligations déclaratives découlant de cette situation, les infractions de travail dissimulé se trouvent établies ;
” 1°) alors que le juge répressif ne peut prononcer de condamnation à l’encontre d’un prévenu, sans avoir caractérisé tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’il réprime ; que le travail au sein d’un service organisé dont l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution révèle l’existence d’un lien de subordination caractérisant l’existence d’un contrat de travail ; qu’en retenant, pour déclarer M. X... coupable de travail dissimulé, que ce dernier avait créé une société de droit polonais, la société Sav Spolka Zoo, dont de multiples salariés étaient venus travailler en Champagne à l’occasion des vendanges et que cette société aurait dû être immatriculée en France, le prévenu étant en outre tenu de déclarer l’embauche de ses salariés, et que la société Sav Spolka Zoo n’exerçait aucune activité effective en Pologne, avait été créée dans l’unique but de faire réaliser dans la Marne des travaux viticoles par du personnel venu de Pologne et ne disposait pas en Pologne de matériel nécessaire à la réalisation de prestations, sans caractériser un lien de subordination entre M. X... et les salariés de la société Sav Spolka Zoo, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
” 2°) alors que le juge est tenu de répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu’au demeurant, M. X... faisait notamment valoir, dans ses écritures d’appel, que la condition selon laquelle une entreprise devait créer un établissement stable ou une filiale dans l’état membre où la prestation était exécutée

allait directement à l’encontre de la libre prestation de services ; qu’en ne répondant par aucun motif à ce moyen tiré de l’atteinte portée au principe de la libre prestation de services et sur la nécessité, pour le juge, de laisser inappliquée une disposition de la loi nationale contraire à la règle communautaire, la cour d’appel a, en toute hypothèse, méconnu les textes susvisés “ ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit de travail dissimulé dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 324-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé et de blanchiment, l’a condamné à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, assorti d’un sursis d’un an avec mise à l’épreuve pendant deux ans, a ordonné à titre de peine complémentaire la confiscation de parcelles de vigne sises à Villers-Marmery et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que des éléments précédemment exposés il résulte que les ressources de la société Sav Spolka Zoo, sans activité réelle en Pologne, ont en quasi-totalité eu pour origine le produit des infractions de travail dissimulé ; que des investigations patrimoniales effectuées, il résulte que M. X... a, entre avril et novembre 2010, reçu de la société Sav Spolka Zoo six virements bancaires d’un montant total de 69 411 euros ; qu’alors que son compte ouvert à la BPLC n’était plus créditeur que de 67, 45 euros, le prévenu a encore, le 24 juin 2011, encaissé sur ledit compte un chèque de 34 000 euros émis par la société Rémi Vincent, cliente de la société Sav Spolka Zoo, puis a, le 28 juin 2011, émis à l’ordre de Me A... un chèque de 33 386 euros ayant financé l’achat des deux parcelles de vigne à Villers-Marmery ; qu’au compromis de vente du 26 janvier 2011, saisi dans le véhicule du prévenu, se trouvait annexé un relevé d’identité bancaire de la société Sav Spolka Zoo ; que de l’ensemble des éléments susvisés, il résulte que l’achat des deux parcelles en cause n’a été possible que par l’emploi de fonds reçus de la société Sav Spolka Zoo ou dont celle-ci était la véritable créancière ; que les acquisitions immobilières en litige ayant donc été financées par le produit direct ou indirect des infractions de travail dissimulé, le jugement dont appel devra également être confirmé en ce qu’il a déclaré M. X... coupable du délit de blanchiment ;
” alors que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir sur le fondement du premier moyen en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de travail dissimulé entraînera, par voie de conséquence, la cassation dudit arrêt en tant qu’il a déclaré le prévenu également coupable de blanchiment, et ce en application des textes susvisés, ces deux chefs étant unis par un lien de dépendance nécessaire “ ;
Attendu que ce moyen, pris du délit de blanchiment du produit du travail dissimulé dont M. X... a été déclaré coupable est devenu sans objet à la suite du rejet du premier moyen proposé ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé et de blanchiment, l’a condamné à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, assorti d’un sursis d’un an avec mise à l’épreuve pendant deux ans, a ordonné à titre de peine complémentaire la confiscation de parcelles de vigne sises à Villers-Marmery et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que les faits commis par M. X... se sont poursuivis pendant plusieurs années alors que le mis en cause, s’étant trouvé en possession de la circulaire DGT 2008/ 17 du 5 octobre 2008 relative au détachement transnational de travailleurs en France retrouvée dans son véhicule, avait dès juin 2006 été avisé par l’inspection du travail qui avait par la suite réitéré ses avertissements, des conditions légales du détachement ; que l’intéressé a donc en toute connaissance de cause poursuivi ses agissements délictueux sur une très longue période de temps ; que des pièces de la procédure et en particulier de l’audition de M. Z..., il résulte que le prévenu a créé la société Sav Spolka Zoo et poursuivi l’activité de celle-ci dans la Marne dans le but exclusif de ne plus payer en France les charges sociales des vendangeurs ; qu’outre le préjudice causé aux caisses françaises, le prévenu a ainsi créé au détriment des opérateurs respectant la loi une situation anormale de distorsion économique ; que le mis en cause a encore trompé ses cocontractants en attestant sur l’honneur avoir rempli en France les obligations fiscales et sociales de la société Sav Spolka Zoo ; qu’une peine d’emprisonnement pour partie sans sursis apparaissant, dès lors, seule adéquate en l’espèce, le jugement dont appel sera confirmé quant à la peine prononcée à l’égard de M. X..., y compris s’agissant de la confiscation des deux parcelles de vigne de Villers-Marmery ;
” alors qu’en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcée en application de l’article 132-19-1 du code pénal, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal ; qu’en condamnant M. X... à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, assorti d’un sursis d’un an avec mise à l’épreuve pendant deux ans, sans rechercher si la personnalité et la situation du condamné permettaient d’aménager la peine d’emprisonnement sans sursis ni justifier d’une impossibilité matérielle empêchant cet aménagement, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés “ ;
Vu l’article 132-24 du code pénal, dans sa rédaction alors en vigueur ;
Attendu qu’il résulte de ce texte qu’en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l’article 132-19-1 du code pénal, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et, sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du même code ;
Attendu que, pour condamner M. X..., non comparant mais représenté à l’audience, à la peine de dix-huit mois d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui n’a pas prononcé sur l’aménagement de la peine d’emprisonnement sans sursis, a méconnu le texte susvisé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l’encontre de M. X..., l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Reims, en date du 17 décembre 2013, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, et le cas échéant, à l’article 132-19 du code pénal, dans sa rédaction applicable à partir du 1er octobre 2014,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Reims, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Reims , du 17 décembre 2013