Marchandage - prêt illicite de salarié

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 25 avril 1989

N° de pourvoi : 87-81212

Publié au bulletin

Rejet

Président :M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction, président

Rapporteur :Mme Guirimand, conseiller apporteur

Avocat général :M. Rabut, avocat général

Avocat :la SCP Delaporte et Briard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET des pourvois formés par Lucas C..., Z... Jean-Marie, contre l’arrêt de la cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 10 février 1987 qui a condamné le premier, du chef de marchandage, à 8 000 francs d’amende, et le second, du chef de complicité de ce délit, à 2 000 francs d’amende, et tous deux à des réparations civiles .

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour A..., et pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 152-3 anciens du Code du travail, 59 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Michel A..., coupable du délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail pour avoir à Rouen de septembre 1979 à juillet 1980 fourni dans un but lucratif de la main-d’oeuvre à la RNUR et du 12 octobre 1978 à juillet 1980 fourni dans un but lucratif de la main-d’oeuvre à la société Lubrizol ;

” aux motifs que A..., Servières et Mme X..., membres de l’entité économique constituée par diverses sociétés de travail intérimaire et de sociétés de sous-traitance dirigées de fait par A... se sont rendus coupables du délit de marchandage, qu’il n’y a eu en effet ni contrat de sous-traitance, ni contrat d’entreprise, mais prêt ou fourniture de main-d’oeuvre, que les ouvriers concernés, Marcel Y..., Francis B... et leurs camarades, ont accompli le même travail, au même poste, soit à la RNUR, soit à Lubrizol, qu’ils étaient sous les ordres des agents de maîtrise de ces deux entreprises, que les opérations de fourniture de main-d’oeuvre ont eu pour conséquence de causer un préjudice aux salariés, que Marcel Y... a déclaré : vu notre statut nous ne bénéficions d’aucun des avantages de la RNUR, notamment lorsqu’il y avait chômage technique nous ne percevions absolument rien alors que le personnel de la RNUR était payé partiellement , que Duchesne a exposé : cela fait 9 ans que je suis chez Renault sans aucun avantage, prime d’ancienneté, treizième mois, comité d’entreprise , que Francis B... s’est plaint d’être lésé en cas de maladie, que Wesel a rencontré des difficultés pour obtenir une indemnité de licenciement ; que plus généralement les salariés concernés étaient privés des garanties légales en matière d’embauche et de licenciement du bénéfice des conventions collectives et avantages sociaux en vigueur conférés par un emploi permanent à la RNUR, et la société Lubrizol ;

” alors, d’une part, que le délit de marchandage prévu et réprimé par l’article L. 125-1 du Code du travail ne saurait être constitué que s’il existe un fait matériel de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif, ayant pour effet de causer un préjudice au salarié en éludant l’application de la loi, d’un règlement, ou d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que dans ses conclusions d’appel A... faisait valoir que la société SOCAM dont l’objet était le montage, l’entretien d’usine et de matériel, la fabrication et la vente de matériel électronique ainsi que toutes prestations de service aux entreprises commerciales ou industrielles avait son personnel permanent et avait conclu des contrats de sous-traitance avec la RNUR et la société Lubrizol, qu’en se bornant à reprendre les déclarations des salariés intéressés pour affirmer qu’il n’y avait eu ni contrat d’entreprise, ni contrat de sous-traitance mais fourniture de main-d’oeuvre, sans analyser les éléments de la cause, et sans relever un seul élément susceptible de corroborer ces déclarations,

la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

” alors, d’autre part, que, le délit de marchandage prévu et réprimé par l’article L. 125-1 du Code du travail ne saurait être constitué que lorsque la fourniture de main-d’oeuvre a pour effet de causer un préjudice au salarié, en éludant l’application de la loi, d’un règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que dans ses conclusions d’appel, A... faisait valoir que les salariés concernés n’avaient subi aucun préjudice résultant de la précarité du statut de travailleur temporaire puisqu’au contraire ils avaient le statut de salarié de droit commun bénéficiant de toutes les garanties légales et conventionnelles car ils étaient soumis à la convention collective de la métallurgie comme l’est le personnel de la RNUR, qu’en se bornant à reprendre les déclarations de salariés intéressés pour affirmer qu’ils étaient privés des garanties légales en matière d’embauche et de licenciement et du bénéfice des conventions collectives et des avantages sociaux conférés par un emploi permanent tant à la RNUR qu’à la société Lubrizol, sans analyser les éléments de la cause, et sans relever un seul élément susceptible de corroborer ces déclarations, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision “ ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Z..., et pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 152-3 anciens du Code du travail, 59 et 60 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Marie Z..., responsable du service entretien à la RNUR, usine de Cléon, coupable de complicité du délit de marchandage prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail par utilisation et rémunération de la main-d’oeuvre illicitement prêtée à Cléon pour la période allant du 12 octobre 1978 au mois de février 1982 ;

” aux motifs que A..., Servières et Mme X..., membres de l’entité économique constituée par diverses sociétés de travail intérimaire et de sociétés de sous-traitance dirigées de fait par A... se sont rendus coupables du délit de marchandage, que Z... s’est rendu complice de ce délit par utilisation et rémunération de la main-d’oeuvre illicitement prêtée, qu’il n’y a eu en effet ni contrat de sous-traitance, ni contrat d’entreprise, mais prêt ou fourniture de main-d’oeuvre, que les ouvriers concernés, Marcel Y..., Francis B... et leurs camarades, ont accompli le même travail, au même poste à la RNUR et étaient sous les ordres des agents de maîtrise de cette entreprise, que les opérations de fourniture de main-d’oeuvre ont eu pour conséquence de causer un préjudice aux salariés, que Marcel Y... a déclaré : vu notre statut nous ne bénéficions d’aucun des avantages de la RNUR, notamment lorsqu’il y avait chômage technique nous ne percevions absolument rien alors que le personnel de la RNUR était payé partiellement , que Duchesne a exposé : cela fait 9 ans que je suis chez Renault sans aucun avantage, prime d’ancienneté, treizième mois, comité d’entreprise , que Wesel a rencontré des difficultés pour obtenir une indemnité de licenciement ; que, plus généralement, les salariés concernés étaient privés des garanties légales en matière d’embauche et de licenciement, du bénéfice des conventions collectives et avantages sociaux en vigueur conférés par

un emploi permanent à la RNUR ;

” alors, d’une part, que le délit de marchandage prévu et réprimé par l’article L. 125-1 du Code du travail ne saurait être constitué que s’il existe un fait matériel de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif, ayant pour effet de causer un préjudice au salarié en éludant l’application de la loi, d’un règlement, ou d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que, dans ses conclusions d’appel, Z... faisait valoir que la société SOCAM constituait une véritable entreprise ayant son personnel permanent, et que conformément à son objet social, elle avait conclu avec la RNUR des contrats de sous-traitance, comprenant des commandes, et un cahier des charges avec obligation de résultat, qu’en se bornant à reprendre les déclarations des salariés intéressés pour affirmer qu’il n’y avait eu ni contrat de sous-traitance, ni contrat d’entreprise mais bien fourniture de main-d’oeuvre sans analyser les éléments de la cause et sans relever un seul élément susceptible de corroborer ces déclarations, la cour d’’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

” alors, d’autre part, que, le délit de marchandage prévu et réprimé par l’article L. 125-1 du Code du travail ne saurait être constitué que lorsque la fourniture de main-d’oeuvre a pour effet de causer un préjudice au salarié, en éludant l’application de la loi, d’un règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; que dans ses conclusions d’appel, Z... faisait valoir que les salariés concernés n’avaient subi aucun préjudice, qu’ils avaient tous un salaire supérieur à celui qu’ils auraient eu s’ils avaient travaillé à la RNUR, qu’ils étaient soumis à la convention collective de la métallurgie comme l’est le personnel de la RNUR et bénéficiaient de toutes les garanties légales, qu’en se bornant à reprendre les déclarations des salariés intéressés pour affirmer qu’ils étaient privés des garanties en matière d’embauche et de licenciement et du bénéfice des conventions collectives et des avantages sociaux conférés par un emploi permanent à la RNUR, sans analyser les éléments de la cause, et sans relever un seul élément susceptible de corroborer ces déclarations, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

” alors enfin que, en toute hypothèse, l’élément moral nécessaire à la constitution de l’acte de complicité est caractérisé par la conscience de participer à la réalisation de l’infraction ; qu’en se bornant en l’espèce à déclarer Z... complice du délit de marchandage, sans constater que celui-ci avait eu conscience de participer à la réalisation de l’infraction incriminée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision “ ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué et du jugement que A..., qui dirigeait plusieurs entreprises de travail temporaire, et notamment les sociétés SAR, AMC, AMECA, Elbeuf-Intérim, a également, jusqu’au 1er juillet 1980, exercé les fonctions de gérant de la société SOCAM-Industrie, dont l’objet était la sous-traitance, et a continué, après cette date, à contrôler cette société ; qu’il a été établi que les entreprises de travail temporaire précitées et SOCAM constituaient en réalité une seule unité économique se trouvant sous l’autorité effective de A... ;

Attendu qu’il est apparu qu’à compter du mois de septembre 1979, quatre salariés mis à la disposition de l’usine Renault de Cléon par Elbeuf-Intérim pour l’entretien des machines servant à l’usinage des pièces moteur, avaient à la suite d’un contrôle de l’inspection du Travail, été transférés à la société SOCAM, et que les salariés avaient poursuivi leurs activités aux mêmes postes de travail jusqu’en février 1982, date à laquelle deux d’entre eux avaient été embauchés par la Régie nationale des usines Renault (RNUR) ;

Attendu qu’il est également apparu que dans le même temps, des salariés précédemment employés par des entreprises de travail temporaire avaient continué, pour le compte de SOCAM, à effectuer les mêmes tâches que celles qu’ils exécutaient auparavant comme intérimaires, au sein du service “ entretien “ de la société Lubrizol ;

Attendu que devant les juges du fond, saisis des poursuites exercées notamment du chef de marchandage contre A..., et de complicité de ce délit par fournitures d’instructions, aide et assistance, contre Z..., chef du département entretien de la RNUR et chargé du recrutement du personnel, les prévenus ont sollicité leur relaxe en invoquant l’existence de contrats de sous-traitance liant la RNUR et la société Lubrizol à SOCAM, lesquels, selon eux imposaient à cette dernière société l’apport de fournitures et l’exécution de travaux nécessaires à l’entretien du matériel de production ; que les prévenus ont en outre fait valoir que le personnel de SOCAM n’avait subi aucun préjudice, bénéficiant des garanties légales et conventionnelles accordées aux salariés “ de droit commun “ ;

Attendu que pour écarter cette argumentation, la cour d’appel, confirmant sur ces points la décision des premiers juges, énonce que les salariés concernés, après leur embauchage par SOCAM, ont été employés dans les mêmes conditions qu’auparavant, tant dans les établissements de la RNUR que dans ceux de la société Lubrizol ; que les salariés en cause, intégrés dans les équipes de travail de ces sociétés, travaillaient sous les ordres des agents de maîtrise de celles-ci et utilisaient leur matériel ; que la cour d’appel ajoute que si les travaux effectués au nom de la société SOCAM étaient rémunérés à l’usine Renault de Cléon sur la base d’un prix global forfaitaire et prévisionnel, en revanche le personnel mis à la disposition de la société Lubrizol était payé selon une base horaire ;

Attendu que de ces éléments, les juges du fond ont déduit que la société SOCAM s’était comportée comme une entreprise de travail temporaire, et que les contrats de sous-traitance invoqués constituaient en fait des opérations de fournitures de main-d’oeuvre à but lucratif ayant eu pour effet, ainsi que l’avaient démontré divers témoignages, de priver les salariés concernés des garanties légales en matière d’embauchage et de licenciement, du bénéfice des conventions collectives et des avantages sociaux conférés aux salariés permanents de la RNUR et de la société Lubrizol ; que les juges ont ajouté qu’en conséquence, le délit prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail était constitué à la charge de A..., et que Z..., cocontractant de A..., puis de Servières qui avait remplacé ce dernier à la direction de la société SOCAM-Industrie, devait être considéré comme complice ;

Attendu que si, à la vérité, les faits retenus par les juges à la charge de Z... caractérisent le délit de marchandage, et non la complicité de cette infraction, ce prévenu ainsi que ses cocontractants ayant concouru à la réalisation d’une opération illicite de fourniture de main-d’oeuvre, l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure de ce chef ; que les peines prononcées et les réparations allouées, en effet, se trouvent justifiées au regard du délit prévu par l’article L. 125-1 du Code du travail, que les juges du fond, par des motifs résultant de leur appréciation souveraine des preuves soumises aux débats contradictoires, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions déposées, ont à bon droit, déclaré établi en l’espèce ;

Qu’il s’ensuit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois

Publication : Bulletin criminel 1989 N° 170 p. 437

Décision attaquée : Cour d’appel de Rouen (chambre correctionnelle), du 10 février 1987

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main-d’oeuvre à but lucratif - Utilisation de la main-d’oeuvre - Coaction Doit être considéré comme coauteur du délit de marchandage, et non comme complice de cette infraction, l’utilisateur de main-d’oeuvre qui, sous le couvert de prétendus contrats de sous-traitance, a, en réalité, pris part à des opérations illicites de fourniture de main-d’oeuvre (1). .

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). A comparer : Chambre criminelle, 1898-02-04 , Bulletin criminel 1898, n° 49, p. 112 (annulation) ; A rapprocher : Chambre criminelle, 1983-03-22 , Bulletin criminel 1983, n° 91, p. 210 (rejet)

Textes appliqués :
* Code du travail L125-1