Co emploi non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 13 février 2019

N° de pourvoi : 17-15903

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00208

Non publié au bulletin

Rejet

M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 8 février 2017), que M. V..., engagé le 4 mai 2010 par la société Imprimerie Ferréol en qualité de fabricant-deviseur, a été licencié pour motif économique le 18 septembre 2013 ; que la société a été placée en redressement judiciaire le 5 novembre 2013, puis en liquidation judiciaire le 4 mars 2014, M. Q... étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement en ce qu’il avait dit que les sociétés Imprimerie Ferréol et Carré d’As étaient ses co-employeurs alors, selon le moyen :

1°/ qu’une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les salariés de la société Carré d’As et de la société Imprimerie Ferréol, filiale détenue en totalité par la première, accomplissaient « les mêmes tâches pour les mêmes clients », qu’elles partageaient « les mêmes dirigeants » et que la société Carré d’As assurait directement « la gestion administrative du personnel » de la société Ferréol, ce qui caractérisait une confusion d’intérêts, d’activités et de direction ; qu’en retenant néanmoins qu’une telle confusion n’était pas établie, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 1222-1 du code du travail ;

2°/ qu’une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en retenant en l’espèce que le fait que la société Carré d’As et la société Imprimerie Ferréol aient eu les mêmes dirigeants, que les salariés des deux sociétés aient accompli les mêmes tâches pour les mêmes clients et que la gestion administrative du personnel de la société Imprimerie Ferréol ait été assurée par un responsable de la société Carré d’As était insuffisant pour caractériser une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, sans constater que la société Imprimerie Ferréol avait conservé une autonomie dans la gestion de son activité et de son personnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1222-1 du code du travail ;

3°/ qu’une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en retenant en l’espèce que la confusion d’intérêts, d’activités et de direction de la société Carré d’As et de la société Imprimerie Ferréol n’était pas caractérisée, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les salariés des deux sociétés, dont elle avait constaté qu’ils effectuaient « les mêmes tâches pour les mêmes clients », ne travaillaient pas de surcroît, ainsi que le soutenait l’exposant, ensemble, dans les mêmes locaux et en utilisant les mêmes outils d’exploitation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1222-1 du code du travail ;

Mais attendu qu’une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre, hors l’existence d’un lien de subordination, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;

Et attendu que si la cour d’appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve soumis à son examen, a constaté que la société mère et sa filiale avaient les mêmes dirigeants, que le salarié avait pu accomplir les mêmes tâches qu’un salarié de l’autre société et pour les mêmes clients, que la gestion administrative du personnel avait été assurée par un responsable de la société mère qui validait les dates des congés payés, elle a pu décider que ces éléments étaient insuffisants pour caractériser une confusion d’intérêts, d’activité et de direction et qu’en conséquence, la société Carré d’as n’avait pas la qualité de co-employeur ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les deuxième et troisième moyens, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. V... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. V...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait dit que les sociétés Imprimerie Ferréol et Carré d’As étaient coemployeurs de M. V... ;

AUX MOTIFS QUE H... V... ne soutient pas qu’il était placé sous la double subordination de la S.A.S. Imprimerie D... et de la société CARRE D’AS et qu’il exerçait indifféremment son activité professionnelle pour l’une et pour l’autre société ; que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en l’espèce, le fait que la société mère et sa filiale aient eu les mêmes dirigeants, que H... V..., salarié de la S.A.S. Imprimerie D... et Fabrice X..., salarié de la société CARRE D’AS, aient pu accomplir les mêmes tâches pour les mêmes clients et que la gestion administrative du personnel ait été assurée par un responsable de la société mère qui validait les dates des congés payés est insuffisant pour caractériser une confusion d’intérêts, d’activité et de direction faisant de la société CARRE D’AS le coemployeur de H... V... ; qu’en conséquence, le jugement qui a dit que la S.A.S. Imprimerie D... et la société CARRE D’AS étaient coemployeurs de H... V... doit être infirmé ;

1° ALORS QU’une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les salariés de la société Carré d’As et de la société Imprimerie Ferréol, filiale détenue en totalité par la première, accomplissaient « les mêmes tâches pour les mêmes clients », qu’elles partageaient « les mêmes dirigeants » et que la société Carré d’As assurait directement « la gestion administrative du personnel » de la société Ferréol (arrêt, p. 8, al. 4), ce qui caractérisait une confusion d’intérêts, d’activités et de direction ; qu’en retenant néanmoins qu’une telle confusion n’était pas établie, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 1222-1 du code du travail ;

2° ALORS QU’en toute hypothèse, une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en retenant en l’espèce que le fait que la société Carré d’As et la société Imprimerie Ferréol aient eu les mêmes dirigeants, que les salariés des deux sociétés aient accompli les mêmes tâches pour les mêmes clients et que la gestion administrative du personnel de la société Imprimerie Ferréol ait été assurée par un responsable de la société Carré d’As était insuffisant pour caractériser une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, sans constater que la société Imprimerie Ferréol avait conservé une autonomie dans la gestion de son activité et de son personnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1222-1 du code du travail ;

3° ALORS QU’en toute hypothèse, une société faisant partie d’un groupe doit être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’en retenant en l’espèce que la confusion d’intérêts, d’activités et de direction de la société Carré d’As et de la société Imprimerie Ferréol n’était pas caractérisée, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée (conclusions d’appel de l’exposant, p. 11, al. 1 et s.), si les salariés des deux sociétés, dont elle avait constaté qu’ils effectuaient « les mêmes tâches pour les mêmes clients », ne travaillaient pas de surcroît, ainsi que le soutenait l’exposant, ensemble, dans les mêmes locaux et en utilisant les mêmes outils d’exploitation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1222-1 du code du travail.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR écarté la demande de M. V... tendant à ce que son licenciement pour motif économique soit jugé sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR, en conséquence, écarté ses demandes d’indemnités de rupture et de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QU’en application de l’article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ; que le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente ; qu’à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure ; que les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ; qu’en l’espèce, les registres d’entrée et de sortie du personnel des sociétés CARRE D’AS et Imprimerie D... ont été communiqués ; qu’ils n’appellent aucune observation de la part de H... V... en cause d’appel ; que la rupture du contrat de travail intervenue le 23 septembre 2013 a précédé d’un peu plus d’un mois seulement le placement en redressement judiciaire des trois sociétés du groupe ; qu’aucune création de poste ne pouvait donc être envisagée dans ce contexte ; que le jugement qui a débouté H... V... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif sera donc confirmé ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE la société FERREOL et celles constituant le groupe de sociétés ont été mises concomitamment en liquidation judiciaire ; qu’ainsi, aucun reclassement dans une société du groupe n’était possible à la date du licenciement de Monsieur V..., les sociétés du groupe étant toutes dans la même situation économique ;

1° ALORS QU’il appartient à l’employeur qui invoque l’impossibilité de reclasser le salarié licencié de justifier de l’absence de poste disponible, à l’époque du licenciement, dans l’entreprise ou, s’il y a lieu, dans l’ensemble des sociétés du groupe auquel elle appartient ; qu’en se fondant, pour juger que l’employeur de M. V... établissait l’impossibilité de procéder à son reclassement, sur les registres d’entrée et de sortie du personnel de deux seulement des trois sociétés du groupe, les sociétés Imprimerie Ferréol et Carré d’As, sans rechercher si l’employeur établissait également l’absence de poste disponible au sein de la société Diamant Graphic, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail ;

2° ALORS QU’en toute hypothèse, les possibilités de reclassement s’apprécient, au plus tard, à la date du licenciement ; qu’en se fondant, pour juger que l’employeur de M. V... établissait l’impossibilité de procéder à son reclassement, sur le fait que les trois sociétés du groupe avaient postérieurement fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, puis de liquidation, sans constater qu’à la date du licenciement, la société Diamant Graphic ne disposait d’aucun poste disponible, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail ;

3° ALORS QU’en toute hypothèse, seule l’absence de poste disponible dans l’ensemble des sociétés du groupe auquel appartient l’employeur permet d’établir l’impossibilité du reclassement d’un salarié ; qu’en se fondant, pour juger que l’employeur de M. V... établissait l’impossibilité de procéder à son reclassement, sur la « situation économique » des trois sociétés (jugement, p. 5, al. 9), sans constater qu’à la date du licenciement, la société Diamant Graphic ne disposait d’aucun poste disponible, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait fixé la créance de H... V... au passif, in solidum, des liquidations judiciaires des sociétés Imprimerie Ferréol et Carré d’As à la somme de 30 000,00 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et d’AVOIR écarté en conséquence ses demandes d’indemnités pour absence d’information sur le droit à repos compensateur et travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QU’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire ; qu’en l’espèce, H... V... communique les attestations de P... A..., Béatrice O... et Jean-Jacques U... (entré le 2 avril 2012) qui certifient que H... V... était présent à son poste de travail à 7 heures 30 le matin, faisait une pause à la mi-journée et restait ensuite jusqu’après 19 heures ; qu’il faudrait donc supposer que ces salariés aient eu une amplitude de travail excédant la plage de 7 heures 30 à 19 heures pour pouvoir effectuer de telles constatations ; que rien de tel ne ressort de leurs attestations qui se bornent à confirmer dans des termes très proches les horaires allégués par l’appelant ; que celui-ci se fonde encore sur les dates et heures d’édition des devis des années 2011, 2012 et 2013 ; que les intimés font observer à juste titre que rien ne permet de tenir pour acquis que H... V... a édité lui-même ces devis à 19 heures ou 20 heures, étant par ailleurs observé qu’un autre salarié est toujours mentionné comme ayant la charge du suivi ; que les données qui ont permis à H... V... de retenir pour chaque jour un nombre déterminé d’heures travaillées et d’établir les tableaux qui constituent ses pièces 26-1, 27-1 et 28-1 sont invérifiables ; que l’incertitude qui a conduit le Conseil de prud’hommes à allouer une somme forfaitaire à titre de rappel de salaire est bien celle de l’appelant lui-même puisqu’il existe, pour chacune des années couvertes par la demande, un écart entre les totaux annuels mentionnés tant dans les pièces que dans les conclusions, qui est trop systématique pour résulter d’une erreur matérielle et qui révèle la fragilité des bases du calcul du salarié ; que la Cour ne retire pas des pièces et des débats la conviction de ce que H... V... a accompli les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement ; qu’il sera donc débouté de ce chef de demande, le jugement entrepris étant infirmé ; que le salarié sera également débouté, par voie de conséquence, de ses demandes d’indemnités pour absence d’information sur le droit à repos compensateur et travail dissimulé ;

ALORS QU’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur d’y répondre, à charge pour celui-ci de fournir, à son tour, ses propres éléments de preuve ; qu’en se bornant, en l’espèce, à retenir que les éléments produits par M. V... étaient insuffisamment probants pour établir la réalité des heures supplémentaires dont le paiement était réclamé, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l’article L. 3171-4 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon , du 8 février 2017