Liens étroits oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 28 mars 2012

N° de pourvoi : 10-17503

Non publié au bulletin

Rejet

M. Lacabarats (président), président

SCP Le Bret-Desaché, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 mars 2010), que M. X...a été engagé le 1er décembre 2003 en qualité de grutier par l’entreprise EMCP, devenue la société Entreprise monégasque de construction et de promotion (la société) ; qu’il a indiqué, par lettre du 11 janvier 2006 adressée à son employeur, qu’il refusait de travailler faute d’avoir reçu paiement de son salaire ou le versement d’un acompte depuis plus d’un mois ; que la société l’a licencié pour faute lourde le 12 janvier 2006 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de dire la loi française applicable, après avoir déclaré le conseil de prud’hommes compétent, alors, selon le moyen, qu’en droit monégasque, l’accord de volonté des parties de soumettre les clauses du contrat de travail d’origine à la législation monégasque résulte à défaut d’autres preuves de la demande d’autorisation d’embauchage et de permis de travail signés par les cocontractants ainsi que de l’autorisation d’embauchage et du permis de travail délivrés par la direction du travail et des affaires sociales ; qu’en outre, l’employeur faisait valoir que si la prestation de travail était accomplie par le salarié aussi bien à Monaco qu’en France, l’établissement d’embauche était situé à Monaco et que c’est avec cette Principauté que le contrat présentait les liens les plus étroits en raison du lieu de conclusion du contrat, du lieu du versement du salaire, de la prise en charge du salarié par les organismes sociaux de Monaco ; qu’en statuant comme elle l’a fait et en décidant cependant que la loi française était applicable, la cour d’appel a violé l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;

Mais attendu qu’ayant constaté que le salarié accomplissait habituellement son travail en France et retenu que le contrat de travail ne présentait pas de liens plus étroits avec la Principauté de Monaco, la cour d’appel en a exactement déduit que la loi française était applicable au contrat ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à payer diverses indemnités au salarié, alors, selon le moyen, que si le retard dans le paiement du salaire caractérise en principe un manquement de l’employeur à une obligation essentielle du contrat de travail, il en va différemment lorsqu’il s’agit d’un manquement ponctuel de l’employeur à ses obligations contractuelles et que le retard ne lui est pas imputable ; qu’en l’espèce, la société anonyme monégaste EMCP avait rappelé dans ses conclusions d’appel que le retard dans le règlement du salaire était imputable à M. X...qui ne lui avait pas transmis malgré ses demandes un RIB, ce qui aurait permis un paiement plus rapide du salaire ; qu’en décidant cependant qu’eu égard au retard de paiement du salaire par l’employeur, le salarié pouvait à juste titre se considérer comme délié de son obligation de fourniture du travail sans rechercher si un tel retard n’était pas imputable au salarié lui-même, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-2 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’employeur n’apportait aucune précision sur la date habituelle de versement des salaires, non plus que sur l’affectation de la somme de 77 014, 98 euros en date du 11 janvier 2006, apparaissant sur son relevé bancaire professionnel, et retenu, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve, que le salaire de M. X...n’avait pas été versé à la date du 11 janvier 2006, la cour d’appel a pu en déduire qu’en raison de ce retard de paiement, le salarié pouvait se considérer comme délié de son obligation de fourniture du travail et que son licenciement pour refus de travailler était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Entreprise monégasque de construction et de promotion aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils pour la société Entreprise monégasque de construction et de promotion

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

"-" IL EST FAIT GRIEF A l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir dit applicable la loi française après avoir déclaré le Conseil de Prud’hommes compétent.

"-" AU MOTIF QUE la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) soutient que le document intitulé « demande d’autorisation d’embauchage et de permis de travail » signé entre les parties le 3 décembre 2003 vaut contrat de travail écrit, que le salarié était affilié auprès de la Caisse de Compensation des Services Sociaux de la Principauté de Monaco et qu’il y a donc lieu de faire application de la loi monégasque ; Attendu que la « demande d’autorisation d’embauchage et de permis de travail » adressée au service de l’emploi de la Principauté de Monaco par l’employeur est une formalité administrative indispensable afin d’obtenir une autorisation d’embauchage du salarié étranger sur le territoire monégasque et ne constitue aucunement une convention liant la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) à Monsieur Alirio X... ; Attendu que le fait que le salarié, embauché par une société de droit monégasque, soit automatiquement affilié à la Caisse de compensation des Services Sociaux de la Principauté de Monaco ne caractérise pas l’intention des parties de soumettre la totalité du contrat de travail non écrit à la loi monégasque ; Attendu qu’à défaut de choix de la loi applicable par les parties, la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui s’impose aux juges de l’Etat français, prévoit que le contrat de travail est régi soit par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, soit, si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable (article 6 de la Convention de Rome) ; Attendu que Monsieur Alirio X...expose qu’il travaillait habituellement sur le territoire français, ce qui n’est pas réellement contesté par la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) ; Qu’il produit les pages de présentation de la SAM ENTREPRISE MONEGAS QUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) sur le site de ste. proxiland. fr avec le détail de ses « principales références » notamment pour les années 2003 et 2004 :

"-" en 2003 : sur 17 chantiers référencés, 15 sont sur le territoire français,

"-" en 2004 : sur 6 chantiers référencés, 4 sont sur le territoire français ;

Qu’il ressort par ailleurs du certificat d’assujettissement aux caisses sociales de Monaco du 12 octobre 2005, produit par l’employeur, que le salarié exécutait sa prestation de travail sur le chantier des Hauts de Chambrun à Nice depuis le 1er novembre 2005 jusqu’à son licenciement ; Attendu qu’il résulte des éléments produits par les parties que Monsieur Alirio X...accomplissait habituellement son travail sur le territoire français et que le contrat de travail ne présentait pas des liens plus étroits avec Monaco ; Attendu que, dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la loi française était applicable au contrat de travail de Monsieur Alirio X... ;

"-" ALORS QUE en droit monégasque, l’accord de volonté des parties de soumettre les clauses du contrat de travail d’origine à la législation monégasque résulte à défaut d’autres preuves de la demande d’autorisation d’embauchage et de permis de travail signés par les cocontractants ainsi que de l’autorisation d’embauchage et du permis de travail délivrés par la Direction du Travail et des Affaires Sociales ; qu’en outre, l’employeur faisait valoir (cf ses conclusions notamment p 5 3ème attendu et p 6) que si la prestation de travail était accomplie par le salarié aussi bien à Monaco qu’en France, l’établissement d’embauche était situé à Monaco et que c’est avec cette Principauté que le contrat présentait les liens les plus étroits en raison du lieu de conclusion du contrat, du lieu du versement du salaire, de la prise en charge du salarié par les organismes sociaux de Monaco ; qu’en statuant comme elle l’a fait et en décidant cependant que la loi française était applicable, la cour d’appel a violé l’article 6 de la convention de ROME du 19 juin 1980.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

"-" IL EST FAIT GRIEF A l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAM ENTREPRISE à payer diverses sommes à Monsieur X...à titre de dommagesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse valant également réparation du préjudice résultant de l’irrégularité procédurale, à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité compensatrice de congés payés, de congés payés sur préavis et d’indemnité légale de licenciement ;

"-" AU MOTIF QUE la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) produit l’attestation du 14 novembre 2007 de Monsieur Miguel Y..., chef de chantier, qui témoigne que « Monsieur X...Alirio a refusé de travailler le 11 janvier 2006 pour le motif de n’avoir pas touché d’acompte alors qu’étant son supérieur hiérarchique, il ne (lui) en avait jamais demandé. Monsieur X...Alirio se doutait bien qu’il serait licencié sur-le-champ vu le préjudice causé par son refus de procéder au déchargement des toupies de béton, ce qui a bloqué le chantier. (Le témoin) précise qu’il avait déjà fait savoir à certains de ses collègues qu’il avait trouvé un autre emploi » et l’attestation du 14 novembre 2007 de Monsieur Z... José, conducteur de travaux, qui témoigne que « Monsieur X...Alirio grutier sur le chantier Les Hauts de Chambrun à Nice a refusé de travailler et de couler le béton prévu à cette date » ; Attendu que Monsieur Alirio X...avait fait connaître à son employeur le 11 janvier 2006 qu’il refusait de travailler au motif qu’il n’avait pas perçu de salaire ni d’acompte depuis plus d’un mois et qu’il serait prêt à recommencer son travail après avoir touché son salaire ; Attendu que la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) soutient que Monsieur Alirio X...n’avait pas sollicité d’acompte et qu’il n’avait pas transmis à son employeur un RIB de son compte bancaire, qui aurait permis un règlement plus rapide du salaire ; Qu’elle affirme par ailleurs que les salaires de Monsieur Alirio X...des mois de novembre, décembre 2005 et janvier 2006 ont bien été payés ; Attendu que la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) n’apporte aucune précision sur la date habituelle de versement des salaires, étant observé qu’il est mentionné sur les bulletins de paie que le salaire est réglé par chèque ; Qu’elle verse tout au plus un relevé de son compte professionnel à la Société Générale, sur la période du 31 décembre 2005 au 14 janvier 2006, sur lequel apparaît un virement de 77. 014, 98 €, correspondant selon la société appelante au règlement des salaires, à la date du 11 janvier 2006 ; Attendu qu’aucune indication sur le relevé bancaire ne permet de confirmer que le virement de 77. 014, 98 € correspond effectivement au règlement des salaires ; Qu’en tout état de cause, l’employeur reconnaît à travers la production de ce document qu’il n’avait pas versé le salaire de Monsieur Alirio X...à la date du 11 janvier 2006 ; Attendu qu’eu égard au retard de paiement du salaire par l’employeur, le salarié pouvait à juste titre se considérer comme délié de son obligation de fourniture du travail ; Attendu que, dans ces conditions, le licenciement du salarié pour refus de travailler est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; Attendu que, à défaut de toute procédure de licenciement, il y a lieu de réformer le jugement et de dire que le licenciement est irrégulier, étant précisé que le salarié, ayant plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise occupant plus de 10 salariés, ne peut prétendre au versement d’une indemnité pour irrégularité procédurale, laquelle ne se cumule pas avec l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Attendu qu’il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) à verser à Monsieur Alirio X...3058 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 306 € à titre d’indemnité légale de licenciement, dont le calcul des montants n’est pas discuté, ainsi que 306 € au titre des congés payés sur préavis ; Attendu que Monsieur Alirio X...ne verse aucun élément sur l’évolution de sa situation professionnelle et sur son préjudice ; Qu’en considération de son ancienneté supérieure à deux ans au sein de la SAM ENTREPRISE MONEGASQUE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION (EMCP) occupant habituellement plus de 10 salariés, la Cour confirme le jugement en ce qu’il a accordé à Monsieur Alirio X...la somme de 9. 094 € de dommages intérêts réparant le préjudice résultant tant du licenciement sans cause réelle et sérieuse que de l’irrégularité procédurale, correspondant aux salaires des six derniers mois ; Attendu que, le licenciement du salarié étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, Monsieur Alirio X...a droit au paiement des congés payés acquis sur la période de référence du 1er juin 2005 jusqu’à la date de rupture de son contrat de travail ; Qu’il ne peut, en effet, revendiquer le paiement, sur la période antérieure, d’une indemnité compensatrice de congés payés qui ne peut se cumuler avec le versement du salaire ; Attendu qu’il convient de réformer le jugement sur ce point et d’allouer à Monsieur Alirio X...la somme de 1. 019, 33 € d’indemnité compensatrice au titre de 20 jours de congés payés restant dus ;

"-" ALORS QUE si le retard dans le paiement du salaire caractérise en principe un manquement de l’employeur à une obligation essentielle du contrat de travail, il en va différemment lorsqu’il s’agit d’un manquement ponctuel de l’employeur à ses obligations contractuelles et que le retard ne lui est pas imputable ; qu’en l’espèce, la SAM EMCP avait rappelé dans ses conclusions d’appel (p 9 in fine et p 10) que le retard dans le règlement du salaire était imputable à Monsieur X...qui ne lui avait pas transmis malgré ses demandes un RIB, ce qui aurait permis un paiement plus rapide du salaire ; qu’en décidant cependant qu’eu égard au retard de paiement du salaire par l’employeur, le salarié pouvait à juste titre se considérer comme délié de son obligation de fourniture du travail sans rechercher si un tel retard n’était pas imputable au salarié lui-même, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-2 du Code du travail. Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 8 mars 2010