Cumul avec la directive détachement

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 18 janvier 2011

N° de pourvoi : 09-43190

Publié au bulletin

Cassation

Mme Collomp (président), président

Me Le Prado, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X..., qui avait été engagé par la société de droit anglais Resource Consulting Ltd, société de travail temporaire (la société) pour effectuer des missions au Royaume Uni et dans des pays européens, a été mis à la disposition de la société Airbus Deutschland, qui l’a affecté sur le site Airbus à Toulouse, par contrat à durée déterminée du 18 octobre 2004, venant à échéance le 18 septembre 2005 ; que la société a mis fin à ce contrat le 15 mars 2005 ; que par jugement du 30 janvier 2008, le conseil de prud’hommes a dit que la loi britannique devait être appliquée au contrat et a débouté Mme X..., ayant droit de M. X... qui est décédé, de toutes ses demandes ;
Sur la première branche du moyen unique :
Attendu que la société fait grief à l’arrêt infirmatif de dire que la loi française est applicable à la rupture du contrat de travail et de la condamner à payer à Mme X... diverses sommes pour irrégularité de la procédure de licenciement et dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat, alors, selon le moyen, que l’article L. 1262-4 du code du travail, qui est la transposition en droit français de l’article 3 de la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, dispose que « les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activités établies en France, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne les matières suivantes : libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, protection de la maternité, congés de maternité et de paternité, congés pour événements familiaux, conditions de mises à dispositions et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire, exercice du droit de grève, durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs, conditions d’assujettissement aux caisses de congés et intempéries, salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires, règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, âge d’admission au travail, emploi des enfants, travail illégal » ; qu’il s’évince des dispositions de l’article L. 1262-4 du code du travail, que les employeurs étrangers ne sont soumis, pendant la durée du détachement de leurs salariés en France, au droit français que pour certaines matières limitativement énumérées ; que le droit du lieu d’établissement de l’employeur étranger s’applique pour les matières qui ne sont pas visées par l’article L. 1262-4 du code du travail ; que la cour d’appel a relevé que la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 avait réservé l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté aux matières énoncées de façon limitative et que les modalités de rupture du contrat de travail ne figuraient pas dans les matières visées par cette directive ; qu’elle aurait dû en déduire que le droit français n’était pas applicable au litige opposant M. X... à la société Resource Consulting Ltd qui a rompu de manière anticipée le contrat de travail en raison de la faute grave commise par le salarié, tirée d’un état d’ébriété manifeste ; qu’en affirmant que la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 ne permettait pas de déterminer la loi applicable à la rupture du contrat de travail litigieux, la cour d’appel a violé l’article 3 de la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 et l’article L. 1262-4 du code du travail ;
Mais attendu que si l’article 3 de la Directive 96/ 71/ CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services désigne les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail dont les travailleurs détachés ne peuvent être privés dans l’Etat membre où la prestation de travail est exécutée, celle-ci n’exclut pas l’application de la loi désignée par la Convention de Rome pour les règles applicables à la rupture du contrat de travail qui ne font pas partie des règles impératives de protection minimale en vigueur dans le pays d’accueil ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur la seconde branche du moyen :
Vu l’article 6, paragraphe 2, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, alors en vigueur ;
Attendu que, selon ce texte, nonobstant les dispositions de l’article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, le contrat de travail est régi :
a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays,
b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ;
Attendu que pour dire que la loi française est applicable à la rupture du contrat de travail, la cour d’appel a retenu que l’article 6 de la convention de Rome doit être appliqué au regard du contrat en cause, conclu à durée déterminée pour une durée d’un an, peu important les missions de même nature accomplies par M. X... pendant des périodes antérieures, qu’il est constant que dans le cadre de ce contrat de travail, il a accompli son travail de façon exclusive en France, sur le site Airbus de Toulouse, et qu’il s’ensuit que par application de l’article 6 § 2 a), le contrat est régi par la loi française ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle avait relevé que M. X... avait été détaché par une entreprise établie en Grande-Bretagne pour être mis temporairement à la disposition d’une société qui exerçait son activité en France, ce dont elle aurait dû déduire qu’il n’y avait pas accompli habituellement son travail, la cour d’appel a violé par fausse application l’article 6 § 2 a) de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 septembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour la société Resource consulting Ltd
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué :
D’AVOIR dit que la loi française était applicable à la rupture du contrat de travail et condamné l’employeur à verser à Madame X..., agissant es qualité d’ayant droit du salarié, les sommes de 1. 000 € à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement et de 31. 680 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée ;
AUX MOTIFS QU’« il apparaît que la directive 97/ 71/ CE du 7 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs ne peut permettre de déterminer la loi applicable à la rupture du contrat de travail. En effet, ce texte réserve l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté aux matières énoncées de façon limitative à l’article 3, à savoir : « a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ; b) la durée minimale des congés annuels payés ; c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ; d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ; e) la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ; f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant accoucher, des enfants et des jeunes, g) l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination ». Dès lors que les modalités de la rupture du contrat de travail ne figurent pas dans les matières ainsi énoncées, la loi de l’État sur le territoire duquel le travail est exécuté ne s’applique pas de plein droit à la résiliation du contrat. Il est constant d’autre part que le règlement CEE n° 1408/ 71 du 14 juin 1971 a pour objet l’application des régimes de sécurité sociale, d’où il suit que le choix de la loi applicable opéré dans le cadre de ce texte ne peut concerner que la mise en oeuvre de ces régimes et n’a pas d’incidence sur la loi applicable au contrat de travail. La détermination de loi applicable à la rupture du contrat de travail doit en conséquence s’effectuer par application de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Les articles 3 et 4 de la convention rappellent successivement la règle de la liberté laissée aux parties pour le choix de la loi applicable au contrat, puis le principe selon lequel, en l’absence de choix, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. L’article 6 de la convention relative au contrat individuel de travail dispose en son paragraphe 2 : « nonobstant les dispositions de l’article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, le contrat de travail est régi : a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays ou, b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ». Ce texte doit être appliqué au regard du contrat en cause, conclu à durée déterminée pour une durée d’un an, peu important les autres missions de même nature accomplies par Monsieur X... pendant des périodes antérieures. Il est constant, que dans le cadre de ce contrat de travail, Monsieur X... a accompli son travail de façon exclusive en France, sur le site Airbus de Toulouse. Il s’ensuit que, par application de l’article 6 § 2 a) ci-dessus, le contrat de travail est régi par la loi française. La rupture anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée du fait de l’employeur ne peut intervenir que pour faute grave ou force majeure, après mise en oeuvre de la procédure disciplinaire qui implique la convocation à un entretien préalable au licenciement et l’envoi d’une lettre de licenciement énonçant les motifs de la rupture. La rupture du contrat de travail de Monsieur X..., intervenue sous la forme d’un message laissé sur la boîte vocale du téléphone du salarié, sans énonciation de motifs dans une lettre de licenciement et sans procédure préalable, est nécessairement irrégulière et abusive. L’absence de procédure de licenciement a causé à Monsieur X... un préjudice qui, au regard des éléments suffisants dont la Cour dispose, sera indemnisé par une somme de 1. 000 €. Lorsque la rupture d’un contrat à durée déterminée du fait de l’employeur a un caractère abusif, l’indemnité due au salarié est au moins égale aux rémunérations que celui-ci aurait perçues jusqu’au terme de son contrat, par application des dispositions de l’article L. 1243-4 du Code du travail. En l’espèce, Monsieur X..., dont le contrat à durée déterminée prenait fin le 30 septembre 2005, a été licencié le 15 mars 2005. Il aurait dû percevoir jusqu’à la fin de son contrat six mois et demi de rémunération, soit sur la base d’une somme mensuelle de 7. 895 € au titre de son salaire et de ses avantages, une somme totale de 51. 317 €. Madame X... ne présente cependant une demande de dommages-intérêts qu’à hauteur de 31. 680 €. La Cour ne pouvant allouer une somme supérieure à celle demandée, cette somme sera mise à la charge de la société RESOURCE CONSULTING LTD » ;
ALORS QUE l’article L. 1262-4 du Code du travail, qui est la transposition en droit français de l’article 3 de la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, dispose que « les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activités établies en France, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne les matières suivantes : libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, protection de la maternité, congés de maternité et de paternité, congés pour événements familiaux, conditions de mises à dispositions et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire, exercice du droit de grève, durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs, conditions d’assujettissement aux caisses de congés et intempéries, salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires, règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, âge d’admission au travail, emploi des enfants, travail illégal » ; qu’il s’évince des dispositions de l’article L. 1262-4 du Code du travail, que les employeurs étrangers ne sont soumis, pendant la durée du détachement de leurs salariés en France, au droit français que pour certaines matières limitativement énumérées ; que le droit du lieu d’établissement de l’employeur étranger s’applique pour les matières qui ne sont pas visées par l’article L. 1262-4 du Code du travail ; que la Cour d’appel a relevé que la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 avait réservé l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté aux matières énoncées de façon limitative et que les modalités de rupture du contrat de travail ne figuraient pas dans les matières visées par cette directive ; qu’elle aurait dû en déduire que le droit français n’était pas applicable au litige opposant Monsieur X... à la société Resource Consulting LTD qui a rompu de manière anticipée le contrat de travail en raison de la faute grave commise par le salarié, tirée d’un état d’ébriété manifeste ; qu’en affirmant que la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 ne permettait pas de déterminer la loi applicable à la rupture du contrat de travail litigieux, la Cour d’appel a violé l’article 3 de la directive 96/ 71 CE du 16 décembre 1996 et l’article L. 1262-4 du Code du travail ;
ET ALORS SUBSIDIAIREMENT QU’aux termes de l’article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, alors en vigueur, le contrat est régi par la loi choisie par les parties, et celles-ci peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ; que selon l’article 6 § 1 de la Convention, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du § 2 du présent article ; que selon ce paragraphe, le contrat est régi, à défaut de choix des parties : a) par la loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire, dans un autre pays, ou b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable ; que pour dire que le contrat de travail litigieux était régi par la loi française, la Cour d’appel a affirmé que l’article 6 § a) de la Convention de Rome devait être appliqué au regard du contrat en cause, conclu à durée déterminée pour une durée d’un an, aux motifs qu’il était constant, que dans le cadre de ce contrat de travail, le salarié avait accompli son travail de façon exclusive en France, sur le site Airbus de Toulouse, peu important les autres missions de même nature accomplies par le salarié pendant des périodes antérieures ; qu’à supposer que la loi applicable doive être déterminée à l’une de la Convention de Rome du 19 juin 1980, en statuant par des motifs inopérants, impropres à caractériser que le salarié, engagé par un employeur anglais, par contrat de travail rédigé en anglais, soumis au droit fiscal et au droit social anglais, et qui avait effectué plusieurs missions dans l’ensemble des pays européens, accomplissait habituellement son travail en France, où il était, en réalité, temporairement détaché pour une durée de moins d’un an auprès d’une société allemande, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 alors en vigueur.
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse du 4 septembre 2009