Association non cultuelle - recherche lien de subordination

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 20 janvier 2010

N° de pourvoi : 08-42207

Publié au bulletin

Cassation

Mme Collomp, président

M. Ludet, conseiller apporteur

M. Allix, avocat général

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 1221-1 du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... est entrée en septembre 1996 à Perpignan dans la communauté de la Croix glorieuse, association privée de fidèles constituée suivant des statuts approuvés par l’évêque de Perpignan ; qu’une association de la loi de 1901 a été créée sous le nom d’association La Croix glorieuse afin de constituer l’entité civile et juridique de la communauté ; qu’en septembre 1997, rejoignant le siège social à Toulouse, Mme X... a pris l’habit religieux et a reçu le nom de soeur Y... ; que le 13 septembre 1998, elle a demandé à s’engager pour trois années en tant que moniale au sein de la communauté ; que le 30 mai 2001, elle a demandé à s’engager définitivement, en tant que moniale apostolique ; que le 15 septembre 2001, elle a déclaré faire pour toujours entre les mains du “ berger de la communauté “ les voeux de pauvreté, chasteté et obéissance dans la condition de moniale de la communauté de la Croix glorieuse, s’engageant à observer fidèlement ses statuts ; que ces trois engagements, constituant des voeux privés au regard du droit canon, ont été contresignés par l’évêque de Perpignan ; que le 18 novembre 2002, Mme X... a quitté la communauté ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale afin qu’il soit jugé qu’elle était dans une relation de travail salariée avec l’association La Croix glorieuse et que cette dernière soit condamnée à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaires ainsi qu’en conséquence de la rupture imputable à l’employeur ;
Attendu que pour dire que Mme X... n’était pas liée par un contrat de travail à l’association La Croix glorieuse et la débouter de ses demandes, l’arrêt retient que les engagements explicites de Mme X... dans la condition de moniale établissent de façon non équivoque que celle-ci s’est intégrée au sein de la communauté ayant, pour l’église catholique, le statut d’une association privée de fidèles, et de l’association de la loi de 1901 La Croix glorieuse, non pas pour y percevoir une rémunération au titre d’un contrat de travail, mais pour y vivre sa foi dans le cadre d’un engagement de nature religieuse, qu’elle s’est dès lors soumise aux règles de la vie communautaire et a exécuté à ce titre les tâches définies par les responsables de la communauté ; que les conditions dans lesquelles ces tâches ont été accomplies sont exclusives de l’existence de tout contrat de travail ;
Attendu cependant, que l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que l’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il résultait de ses constatations que l’association La Croix glorieuse n’était ni une association cultuelle, ni une congrégation légalement établie, et qu’il lui appartenait de rechercher si les critères d’un contrat de travail étaient réunis, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 octobre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;
Condamne l’association La Croix glorieuse aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne l’association La Croix glorieuse à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir dit que Mademoiselle X... n’était pas unie par un contrat de travail à l’association LA CROIX GLORIEUSE et de l’avoir déboutée de ses demandes tendant à obtenir le paiement d’un rappel de salaire et à voir juger qu’elle avait fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE l’enquête des conseillers rapporteurs du Conseil des Prud’hommes a précisé les diverses tâches matérielles accomplies par Mlle X... pendant cette période. Dans cette attestation, M. Z... énonce de façon détaillée que Mlle X... a travaillé-comme membre de la communauté ecclésiale dénommée communauté de la Croix Glorieuse, association privée de fidèles du diocèse de Perpignan,- comme membre de l’association 1901 appelée La Croix Glorieuse, entité civile et juridique de la communauté regroupant cinq filiales correspondant aux cinq implantations de celle-ci,- comme membre de la paroisse de l’Immaculée Conception à Toulouse, dont le statut fiscal et juridique est celui de l’Association diocésaine du diocèse de Toulouse,- et enfin comme membre de l’association Bonnefoy Convivialité créée par la précédente pour la gestion d’activités paroissiales. Le document intitulé « Informations concernant la situation professionnelle » établi le 11 mars 2004, produit par Mlle X..., détaille une série d’activités accomplies par celle-ci et porte dans la colonne employeurs l’association La Croix Glorieuse, la communauté de la Croix Glorieuse et la paroisse Immaculée Conception pour les différentes catégories de tâches réalisées. L’association Paroisse Immaculée Conception n’a cependant pas été appelée en cause par Mlle X... qui n’a présenté aucune demande à son encontre, pas plus que l’association Bonnefoy Convivialité, qui n’est pas autrement mentionnée. En septembre 1997, Mlle X... a pris l’habit religieux et a reçu le nom de soeur Marie Y.... Le 13 septembre 1998, elle a demandé à s’engager pour trois années en tant que moniale au sein de la communauté. Le 30 mai 2001, elle a demandé à s’engager définitivement, en tant que moniale apostolique. Le 15 septembre 2001, elle a déclaré faire pour toujours entre les mains du « berger de la communauté » les voeux de pauvreté, chasteté et obéissance dans la condition de moniale de la communauté de la Croix Glorieuse, s’engageant à observer finalement ses statuts. Ces trois engagements, constituant des voeux privés au regard du droit canon, ont été contresignés par Monseigneur André B..., évêque de Perpignan. Ces engagements explicites établissent de façon non équivoque que Mlle X... s’est intégrée au sein de la communauté et de l’association La Croix Glorieuse non pas pour y percevoir une rémunération au titre d’un contrat de travail, mais pour y vivre sa foi dans le cadre d’un engagement de nature religieuse. Elle s’est dès lors soumise aux règles de la vie communautaire et a exécuté à ce titre les tâches définies par les responsables de la communauté. Les conditions dans lesquelles ces tâches ont été ainsi accomplies sont exclusives de l’existence de tout contrat de travail. L’attestation de M. Jérôme C..., énonçant que Mlle X... « a été salariée non rémunérée en espèces, nourrie et logée à titre gratuit à la paroisse de l’Immaculée Conception de septembre 1997 à novembre 2002 » » est sur ce point inopérante, puisqu’elle émane de l’administrateur de la paroisse Immaculée Conception, entité juridique distincte, qui n’est pas en la cause. II y a lieu de relever d’autre part que dans son courrier du 30 novembre 2002 dans lequel elle rappelle les conditions de son départ, Mlle X... ne fait mention d’aucun contrat de travail, mais évoque seulement des désaccords avec les pratiques suivies au sein de la communauté, puis une « pression invivable » dont elle a fait l’objet après les avoir exprimées. Elle conclut en ces termes : « C’est dans une lucidité douloureuse que je constate qu’il ne m’est plus possible de poursuivre ma vocation de moniale comme membre de la Communauté de la Croix Glorieuse, car ce serait cautionner ce système. En conscience, je ne peux plus vivre les voeux de religion auxquels je me suis engagée l’an dernier, au sein de la communauté. Aujourd’hui, les contradictions m’apparaissent plus clairement, ainsi que des certitudes sur plusieurs impostures. C’est avec déchirement que j’ai donné ma démission il y a quelques jours. Car je ne renierai pas tous les beaux moments passés ensemble. Soyez assurés que je garde chacun de vous dans mon coeur. J’espère et prie pour que la Vérité se fasse de la racine jusqu’à la tête et que notre Mère l’Eglise ne souffre pas trop de toutes ces dérives ». Enfin, Mlle X... n’est pas fondée à faire état de deux sommes qui lui ont été versées par l’association La Croix Glorieuse après son départ, pour conclure à l’existence d’une rémunération dont le principe aurait été accepté par l’association. Les courriers échangés entre les parties, sur un ton d’ailleurs chaleureux, font en effet apparaître que dans un courrier du 27 août 2003, Mlle X..., qui avait demandé un secours de 3 000 € correspondant à l’équivalent d’une bourse universitaire, n’avait reçu que 1 525 € et souhaitait recevoir le complément pour faire face aux frais de scolarité à l’école d’infirmières au sein de laquelle elle venait d’être reçue. Le 25 septembre 2003, le Frère D..., modérateur général de la communauté de la Croix Glorieuse, lui a fait part de l’accord du conseil de la communauté pour compléter la somme et lui a transmis 1 475 €.
ALORS D’UNE PART QUE le statut de salarié est d’ordre public et doit être reconnu dès lors que les critères du contrat de travail sont réunis la seule volonté des parties étant impuissante à soustraire un travailleur au statut social découlant nécessairement de l’accomplissement de son travail ; que peuvent seuls faire exception à cette règle, dans des circonstances déterminées, les ministres du culte, relativement au seul exercice de leur ministère ; que dès lors, les « engagements explicites » de Mademoiselle X..., qui en dépit des « voeux privés » prononcés par elle était demeurée une laïque, au sein de la communauté et de l’association de la CROIX GLORIEUSE et sa soumission aux règles de la vie communautaire ne pouvaient permettre à eux seuls d’exclure l’existence d’un contrat de travail entre les parties ; qu’en décidant néanmoins le contraire, la Cour d’appel a violé l’article L 1221-1 du Code du travail (ex article L 121-1 du Code du travail) ;
ALORS D’AUTRE PART QUE les voeux privés prononcés par Mademoiselle X... et son engagement de nature religieuse ne concernaient que ses rapports avec la communauté LA CROIX GLORIEUSE et non avec l’association du même nom, relevant des dispositions de la loi de 1901, pour laquelle elle accomplissait l’essentiel de ses tâches, telles que cours de solfège ou ménage, cuisine et garde d’enfants dans le cadre de l’aide à domicile ; que dès lors, la Cour d’appel qui constatait que Mademoiselle X... avait accompli les diverses tâches matérielles relevées par les conseilleurs rapporteurs du Conseil de prud’hommes dans leur enquête, ne pouvait s’abstenir de rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les conditions dans lesquelles elle réalisait lesdites tâches pour le compte de l’association LA CROIX GLORIEUSE n’étaient pas révélatrices de l’existence d’un contrat de travail ; qu’en statuant comme elle l’a fait la Cour d’appel a entaché sa décision d’un manque de base légale au regard de l’article L 1221-1 du Code du travail (ex article L 121-1 du Code du travail) ;
ALORS ENFIN QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que dès lors, la Cour d’appel ne pouvait, pour exclure l’existence d’une relation de travail salariée, se borner à relever que l’attestation de Monsieur C..., énonçant que Mademoiselle X... avait été salariée rémunérée en espèces, était inopérante comme émanant de l’administrateur de la paroisse Immaculée Conception, entité juridique distincte qui n’était pas dans la cause, sans examiner les attestations de Madame E..., ancienne économe bénévole de l’association LA CROIX GLORIEUSE, et de Monsieur F..., ancien salarié de cette association, qui tous deux attestaient que ses membres n’étaient rémunérés qu’à partir de 27 ans alors que tous, dont Mademoiselle X..., fournissaient le même volume de travail ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait la Cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
Publication : Bulletin 2010, V, n° 15

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse , du 19 octobre 2007

Titrages et résumés : CONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION - Définition - Lien de subordination - Applications diverses - Communauté religieuse - Personne engagée au sein d’une communauté et y ayant pris l’habit religieux - Condition

L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs, et l’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie.

Une cour d’appel a jugé que la personne s’étant engagée, au sein d’une communauté ayant, pour l’Eglise catholique, le statut d’une association privée de fidèles et y ayant pris l’habit religieux n’était pas liée à elle par un contrat de travail au motif qu’elle s’était intégrée à cette communauté religieuse non pas pour y percevoir une rémunération au titre d’un contrat de travail, mais pour y vivre sa foi dans le cadre d’un engagement de nature religieuse, et que les conditions dans lesquelles elle a exécuté les tâches définies par les responsables de la communauté étaient exclusives de l’existence de tout contrat de travail.

En statuant ainsi alors qu’il résultait de ses constatations que l’association privée de fidèles n’était ni une congrégation, ni une association cultuelle légalement établie, et qu’il lui appartenait de rechercher si les critères d’ un contrat de travail étaient réunis, la cour d’appel a violé l’ article L. 1221-1 du code du travail, et son arrêt doit être cassé

CONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION - Définition - Critères - Conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle

Précédents jurisprudentiels : Sur le principe de l’autonomie de la volonté et la prise en compte des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle, à rapprocher :Ass. plén., 4 mars 1983, pourvois n° 81-11.647 et 81-15.290, Bull. 1983, Ass. plén., n° 3 (cassation) ; Soc., 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-40.572, Bull. 2000, V, n° 437 (cassation), et l’arrêt citéSoc., 3 juin 2009, pourvois n° 08-41.712 et s., Bull. 2009, V, n° 141(1)(cassation partielle. Sur les critères de qualification d’un contrat de travail dans le cadre associatif et religieux, à rapprocher : Ch. mixte, 26 mai 1972, pourvoi n° 69-11.290, Bull. 1972, Ch. mixte, n° 4 (rejet), et les arrêts cités ;Soc., 20 novembre 1986, pourvoi n° 84-43.243, Bull. 1986, V, n° 555 (rejet) ;et l’arrêt cité ;Soc., 29 octobre 2008, pourvoi n° 07-44.766, Bull. 2008, V, n°206 (rejet) , et les arrêts cités

Textes appliqués :
* Cour d’appel de Toulouse, 19 octobre 2007, 06/04470
* article L. 1221-1 du code du travail