Accident du travail - salarié oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 janvier 2003

N° de pourvoi : 01-87300

Publié au bulletin

Action publique éteinte et Cassation partielle

M. Cotte, président

M. Desportes, conseiller apporteur

M. L. Davenas, avocat général

M. Blondel., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze janvier deux mille trois, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE ROUEN,

contre l’arrêt de ladite cour d’appel, chambre correctionnelle, en date du 17 septembre 2001, qui a relaxé Michel X..., notamment des chefs d’infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs et de contraventions au Code du travail ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu que les contraventions au Code du travail, commises avant le 17 mai 2002, entrent dans les prévisions des articles 1er et 2 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie ; qu’ainsi, l’action publique est éteinte de ce chef à l’égard du prévenu ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 230-2, R. 233-1, alinéas 1er, 2 et 3, R. 233-16, R. 233-17, L. 213-3-1, R. 231-38, L. 263-2 et L. 263-6 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale ;

Vu lesdits articles, ensemble l’article L. 231-1 du Code du travail ;

Attendu qu’aux termes de ce texte, sont soumis aux dispositions du Code du travail relatives à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, les établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laïques ou religieux, même s’ils ont un caractère coopératif, d’enseignement professionnel ou de bienfaisance ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé, que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’un membre de la communauté religieuse du Béthel a eu deux doigts de la main sectionnés par la lame d’une presse cisaille sur laquelle il était occupé à découper une bande de métal ; que l’accident s’est produit dans un établissement exploité par l’association “Les Témoins de Jéhovah”, alors présidée par Michel X..., ayant pour objet “d’apporter son concours à l’entretien et à l’exercice du culte des Témoins de Jéhovah”, en assurant “l’édition, l’impression et la diffusion de ses enseignements” ; que cet établissement abritait, d’une part, un atelier d’imprimerie équipé d’une rotative, de deux presses et d’une encarteuse-piqueuse, et, d’autre part, plusieurs autres ateliers, une buanderie industrielle, des entrepôts destinés au stockage et au conditionnement des documents fabriqués par l’imprimerie, et un service de transport auquel étaient affectés plus d’une dizaine de chauffeurs et de nombreux camions afin de permettre la livraison des produits à 1800 “églises locales” ; que le fonctionnement de ces installations était assuré, notamment, par les membres permanents de la communauté dont le statut était régi par une “Charte ecclésiale” en application de laquelle ils s’engageaient à “se consacrer à n’importe quelle tâche” leur étant confiée par “un frère responsable”, recevaient logement et nourriture ainsi qu’un pécule, bénéficiaient d’une autorisation d’absence de deux à trois semaines par an et devaient respecter une sorte de préavis en cas de départ ;

Que, sur la base, notamment, de procès-verbaux établis par un fonctionnaire de l’inspection du travail, Michel X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef, notamment, d’infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs pour n’avoir pas assuré une formation adaptée à la sécurité et n’avoir pas équipé la presse à l’origine des blessures d’un dispositif de protection destiné à éviter que les opérateurs n’atteignent la zone dangereuse ;

Attendu que, pour relaxer le prévenu de ce chef, la cour d’appel retient que les dispositions du Code du travail ne sont pas applicables, “la situation des membres permanents au sein de l’association relevant, non pas du salariat, mais de la fonction ecclésiale et du bénévolat religieux” ; que les juges énoncent que l’association revêt un caractère cultuel au sens de la loi du 9 décembre 1905, dès lors que, quel que soit leur mode d’organisation, ses activités se rattachent “à l’exercice du culte des Témoins de Jéhovah” dont elles sont l’accessoire ;

que les juges ajoutent que, par leur soumission à des voeux religieux, les membres permanents de l’association, “placés sous une autorité religieuse, se sont soumis volontairement aux règles de vie communautaire” supposant la participation à un travail “destiné à assurer la mission de prosélytisme” de l’association et exclusif, quelle que soit l’ampleur du travail fourni, de tout lien de subordination juridique et donc d’un contrat de travail ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, relatifs au caractère prétendument cultuel de l’association et à son objet religieux, et alors que, d’une part, il résultait de ses propres constatations que les membres permanents de celle-ci travaillaient dans un établissement présentant un caractère industriel, au sein d’un service organisé dont les conditions d’exécution n’étaient pas déterminées par eux, et que, d’autre part, quelle qu’ait été l’intention des parties, il ne pouvait être dérogé par elles à la réglementation, d’ordre public, relative à la sécurité des travailleurs, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le premier moyen de cassation,

I - Sur l’action publique du chef des contraventions au Code du travail ;

La DECLARE ETEINTE ;

II - Sur le surplus de la prévention ;

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Rouen, en date du 17 septembre 2001, mais uniquement en ce qu’il a relaxé Michel X... du chef d’infractions à la réglementation relative à la sécurité du travail, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Rouen, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, Mazars, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Ponsot, Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Davenas ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication : Bulletin criminel 2003 N° 8 p. 30

Décision attaquée : Cour d’appel de Rouen, (chambre correctionnelle) du 17 septembre 2001

Titrages et résumés : TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Réglementation - Domaine d’application. Aux termes de l’article L. 231-1 du Code du travail, sont soumis aux dispositions du Code du travail relatives à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, les établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laïques ou religieux, même s’ils ont un caractère coopératif, d’enseignement professionnel ou de bienfaisance.

Par ailleurs, le travail au sein d’un service organisé dont l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution révèle l’existence d’un lien de subordination, caractérisant l’existence d’un contrat de travail.

Enfin, l’intention des parties est impuissante à soustraire les travailleurs au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail.

Encourt, en conséquence, la censure l’arrêt qui, après avoir constaté que les membres d’une association travaillaient au sein d’un établissement industriel ayant notamment pour objet des activités d’impression et que les conditions d’exécution de leur travail n’étaient pas déterminées par eux, écarte néanmoins la qualification de contrat de travail et, par suite, l’application de la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs, au motif inopérant que l’association revêtait un caractère cultuel et que, par leur soumission à des voeux religieux, ses membres s’étaient placés sous une autorité religieuse pour accomplir un travail qui, destiné à assurer une mission de prosélytisme, était, de ce fait exclusif, quelle que soit son ampleur, de tout lien de subordination (1).

TRAVAIL - Contrat de travail - Définition - Lien de subordination - Applications diverses - Membres d’une association à caractère cultuel assurant une mission de prosélytisme par le travail TRAVAIL - Contrat de travail - Définition - Critères - Conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1989-09-27, Bulletin crim 1989, n° 332, p. 807 (rejet) ; Chambre sociale, 1996-11-13, Bulletin 1996, V, n° 386, p. 275 (cassation sans renvoi). CONFER : (1°). (1) A comparer : Assemblée plénière, 1993-01-08, Bulletin 1993, Ass. Plén, n° 1, p. 1 (rejet).

Textes appliqués :
* Code du travail L231-1