Absence de convention individuelle de forfait mensuelle

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 5 octobre 2016

N° de pourvoi : 15-13508

ECLI:FR:CCASS:2016:SO01741

Non publié au bulletin

Cassation

M. Mallard (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

Me Bertrand, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 3121-38 du code du travail dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que, selon ce texte, la durée du travail des cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 devenus L. 3111-2 et L. 3121-39 peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ; qu’il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé, à compter du 15 septembre 1997, par la société Mory LDI (la société) en qualité de comptable-service personnel ; qu’un accord d’entreprise à effet du 1er janvier 2001 a été signé au sein de la société autorisant l’employeur à rémunérer ses salariés cadres sur la base d’une convention de forfait annuel de 217 jours ; que, par courrier du 1er janvier 2001, intitulé avenant, le salarié a acquis la qualité de cadre autonome hors horaires ; que, le 1er février 2012, la société a été placée en liquidation judiciaire et M. Y... désigné en qualité de liquidateur ; que, le 26 avril 2012, le salarié a été licencié pour motif économique ; que, revendiquant l’existence d’heures supplémentaires, l’intéressé a saisi la juridiction prud’homale ;

Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d’heures supplémentaires, l’arrêt retient que s’il est exact que l’employeur n’est pas en mesure de produire l’avenant signé par le salarié, il est en revanche indiscutable que celui-ci a apposé sa signature sur la fiche de poste correspondante et qu’il y a lieu de considérer que le salarié a de manière non équivoque donné son accord au sens de l’article L. 3121-40 du code du travail , étant enfin observé que l’intéressé a perçu sans protestation de sa part le salaire relatif à ses nouvelles fonctions ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune convention individuelle de forfait mensuelle n’avait été passée par écrit entre la société et le salarié, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation encourue sur la deuxième branche du moyen emporte par voie de conséquence la cassation sur le dispositif de l’arrêt ayant débouté le salarié de sa demande d’indemnité de travail dissimulé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 décembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon ;

Condamne M. Y..., ès qualités, et l’AGS CGEA Nord-Est aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X...

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR débouté M. X... de sa demande de condamnation de la société Mory LDI représentée par son mandataire liquidateur, M. Jacques Y..., et le CGEA de l’AGS du Nord-Est à lui payer des heures supplémentaires et les congés payés afférents, ainsi qu’une indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QU’ il est constant que conformément aux dispositions de l’article L.3121-39 du code du travail, un accord d’entreprise signé au sein de la SAS Mory LDI par le délégué syndical CGT et le Président Directeur Général, et par ailleurs régularisé auprès de l’inspection du travail des transports, a autorisé l’employeur à rémunérer ses cadres autonomes en vertu d’une convention de forfait annuel de 217 jours ; qu’était annexé à l’accord la liste des salariés concernés parmi lesquels figurait M. Eric X... ; que pour solliciter un rappel de salaires au titre d’heures supplémentaires effectuées à raison d’une heure par semaine, M. Eric X... prétend néanmoins, malgré les éléments ci-dessus, n’avoir jamais accepté personnellement d’être rémunéré à compter du 1er janvier 2001 selon une telle convention de forfait annuel ; que toutefois, comme l’a également relevé à juste titre le jugement défféré, par courrier du 1er janvier 2001 de la SAS Mory LDI intitulé « avenant au contrat de travail », M. Eric X... a acquis la qualification de cadre autonome hors horaires ; que s’il est exact que l’employeur n’est pas en mesure de produire l’exemplaire de l’avenant signé par M. Eric X..., il est en revanche indiscutable que celui-ci a apposé sa signature sur la fiche de poste correspondante ; qu’il y a lieu de considérer que l’appelant a de manière non équivoque donné son accord au sens de l’article L.3121-40 du code susvisé, étant enfin observé que l’intéressé a d’ailleurs perçu, sans protestation de sa part, le salaire relatif à ses nouvelles fonctions ; qu’ainsi, M. Eric X... relevant bien de la catégorie des cadres autonomes hors horaires, il lui appartenait de rapporter la preuve, pour justifier sa demande de rappels de salaires, de l’existence de jours de travail dépassant le forfait annuel de 217 jours ; que c’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes de Besançon l’a débouté de ses demandes formées tant au titre des heures supplémentaires qu’au titre de l’indemnisation pour travail dissimulé ; qu’eu égard à ces observations, il y a lieu de confirmer le jugement déféré ;

ET AUX MOTIFS adoptés QUE M. Eric X... conteste avoir signé une convention de forfait, et affirme avoir effectué 40H00 de travail par semaine ; que l’application à un salarié d’une clause de forfait annuel en jours est subordonnée à l’existence de dispositions conventionnelles l’autorisant (Code du travail L 3121-39) ; qu’au sein de la SA MORY LDI, cet accord d’entreprise a été signé le 1/1/01 ; que l’application d’un forfait annuel en jours à un salarié nécessite une information voire un accord notamment dans le cadre de la clause de durée du travail en contrat initial, soit dans le cadre d’un avenant ; que M. Eric X..., en poste au service du personnel depuis plus de dix ans en étant le responsable et élu du personnel ne peut arguer qu’il ne serait pas au courant de l’accord entreprise du 1/1/01 ; que cet accord d’entreprise avec ses stipulations de dispositions spécifiques aux cadres -pour les cadres autonomes hors horaires décompte en jours (217 pour l’année 2001)- a été régularisé à l’inspection du travail des transports ; qu’à cet accord était annexé la liste des cadres autonomes sur laquelle figurait le nom de M. Eric X... ; qu’à la même date 1/1/01, l’entreprise dans un document intitulé “avenant au contrat de travail” indiquait à M. Eric X... qu’il relevait de la catégorie “cadre autonome hors horaire” ; qu’était jointe une fiche de poste “responsable du service du personnel” signée par le titulaire M. Eric X... ; que, récapitulativement, l’accord d’entreprise existe et s’applique et que donc la situation de forfait jour existe, que la fiche de poste de M. Eric X... est signée et qu’en conséquence est acceptée ; que M. Eric X... relève donc bien de la catégorie cadre autonome hors horaire ; de ce qui précède, que la modalité d’organisation et de décompte du temps de travail est opposable à M. Eric X..., que ne peut y avoir droit de reconnaissance d’heures supplémentaires, que l’entreprise se trouve exonérée de la plupart des dispositions -dont celle de paiement d’heures supplémentaires- relatives à la durée du travail ; qu’en conséquence, que M. Eric X... sera débouté de sa demande en paiement d’heures supplémentaires portant sur les années 2007 à 2012, ainsi que celle portant sur les congés payés y afférents ; qu’ipso facto, aucun travail non rémunéré n’est reconnu -donc les fiches de paie n’étant pas à même d’en être créditées- aucun délit de travail dissimulé n’est constitué ; qu’en conséquence, M. Eric X... sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour délit de travail dissimulé.

ALORS QU’ est nulle la convention de forfait conclue en application d’un accord collectif dont les stipulations n’assurent pas la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ; que, pour rejeter la demande en paiement d’heures supplémentaires et de congés payés afférents de M. X..., en faisant application d’une convention de forfait en jours sur l’année résultant d’un accord d’entreprise signé au sein de la société Mory LDI par le délégué syndical CGT de l’entreprise et le président directeur général, régularisé auprès de l’inspection du travail des transports sans rechercher si cet accord d’entreprise était de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, de l’article L. 212-15-3 ancien du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l’article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

ALORS encore QUE la durée du travail des cadres peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ; que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit ; que, pour rejeter la demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents de M. X..., la cour d’appel a fondé sa décision sur le fait que M. X... avait apposé sa signature sur sa fiche de poste et perçu sans protestation le salaire relatif à ses nouvelles fonctions ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles L.3121-38, L.3121-39 et L.3121-40 du code du travail ;

ALORS de surcroît QUE la validité d’une convention de forfait suppose que soit assurée au salarié une rémunération au moins égale à ce à quoi il peut prétendre au titre de la rémunération des heures accomplies dans le cadre de l’horaire normal de travail majorée des heures supplémentaires décomptées ; que l’existence d’une convention de forfait n’interdit pas au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies en sus du forfait convenu ; que, pour débouter M. X... de sa demande en paiement d’heures supplémentaires, sans rechercher si la rémunération perçue par M. X... était au moins égale à ce à quoi il pouvait prétendre au titre des heures supplémentaires accomplies en sus du forfait, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 du Code civil, L.3121-22, L.3121-41 et L.3171-4 du Code du travail, ensemble les articles L.8221-5 et L.8223-1 du Code du travail ;

ALORS également QUE la preuve des heures supplémentaires n’incombe à aucune des parties ; que le salarié doit seulement préalablement fournir au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; qu’en faisant reproche à M. X... de n’avoir rapporté la preuve de l’existence de jours de travail dépassant le forfait annuel de 217 jours, la cour d’appel a fait peser sur le salarié la charge de la preuve, et partant a violé l’article L.3171-4 du Code du travail, ensemble les articles L.8221-5 et L.8223-1 du Code du travail ;

ALORS en outre QUE la cassation qui sera prononcée sur l’une des branches qui précède emportera par voie de conséquence la cassation du chef du dispositif de l’arrêt qui a débouté M. X... de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé, en application de l’article 624 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Besançon , du 19 décembre 2014