Quantification a priori - paiement des heures complémentaires dû oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 22 septembre 2011

N° de pourvoi : 10-10928

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Blatman (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé à compter du 13 novembre 2006 en qualité de distributeur à temps partiel par la société Adrexo ; que le 5 novembre 2007, le salarié a informé son employeur qu’il refusait de réaliser les distributions, en invoquant le danger grave et imminent que présentait une peinture utilisée par la société Adrexo pour marquer les tranches des documents distribués, et a cessé son activité en réitérant son droit de retrait chaque semaine ; que le 5 décembre 2007, M. X... a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à ce qu’il soit ordonné à la société Adrexo de ne plus utiliser les bombes “Julien” dans le marquage des publicités, ou tout autre produit de même toxicité, et à la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes notamment à titre d’heures complémentaires ; que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 3 octobre 2008 ; qu’en procédure d’appel il a formé des demandes indemnitaires à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la cour d’appel a jugé que le salarié était fondé à exercer son droit de retrait ;

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 3171-4 du code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement au titre des heures complémentaires, l’arrêt retient que le décompte manuscrit de M. X..., intégrant des temps de préparation et un nombre d’heures invérifiables, et faisant apparaître une partie réglée et une partie non réglée, a été discuté de manière circonstanciée et étayée par l’employeur, qui s’est référé pour ce faire à la convention collective nationale de distribution directe de 2004 ; que le salarié ne caractérise pas en quoi le calcul opéré suivant une durée théorique évaluée ne serait pas conforme au temps nécessaire pour assurer les distributions qui lui ont été confiées ; que dès lors la demande n’apparaît pas suffisamment étayée ;

Attendu cependant que la quantification préalable de l’ensemble des missions confiées et accomplies par le distributeur, dans le cadre de l’exécution de son métier, en fonction des critères associés à un référencement horaire du temps de travail prévue par l’article 2.2.1.2 du chapitre IV de la convention collective nationale de la distribution directe, ne saurait à elle seule satisfaire aux exigences de l’article L. 3171-4 du code du travail ;

Qu’en statuant comme elle a fait, d’une part en retenant à tort que la demande en paiement au titre des heures complémentaires n’était pas étayée, alors que le salarié produisait un décompte des heures prétendument réalisées auquel l’employeur pouvait répondre, d’autre part en prenant en compte uniquement la quantification préalable du temps de travail prévue par la convention collective nationale de la distribution directe, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Sur le second moyen :

Vu les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1232-1 du code du travail ;

Attendu que pour dire que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission, l’arrêt retient que dans sa lettre de prise d’acte du 3 octobre 2008, M. X... invoque un différend relatif au paiement des heures de travail en faisant état de ses contestations multiples sur les modalités appliquées et sur la non prise en compte des temps de préparation ; qu’il y affirme également que la société Adrexo ne respecte pas le minimum légal en matière de SMIC ; que le salarié n’a pas fourni d’exemple probant relatif à une violation des dispositions conventionnelles ou à une méconnaissance de la rémunération prévue par son contrat de travail ; qu’il n’a donc pas établi l’existence de manquements graves de l’employeur à ses obligations ;

Qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas examiné le grief invoqué devant elle tiré de l’emploi par la société Adrexo, pour le marquage des documents à distribuer, de produits présentant un danger grave pour la santé du salarié et ayant légitimé l’exercice par lui de son droit de retrait, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. X... de sa demande en paiement au titre des heures complémentaires, dit que la prise d’acte du contrat de travail de M. X... produit les effets d’une démission et rejette les demandes indemnitaires du salarié à ce titre, l’arrêt rendu le 12 novembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;

Condamne la société Adrexo aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Adrexo à payer à M. X... la somme de 2 200 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Monsieur X... de sa demande en paiement d’heures complémentaires, d’avoir dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d’une démission et en conséquence, d’avoir débouté Monsieur X... de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur X... met en compte une somme supplémentaire de 1.372,45 €, qui résulte d’un décompte manuscrit fait de sa main, intégrant des temps de préparation et un nombre d’heures invérifiable, faisant apparaître une partie réglée et une partie non réglée ; que ce décompte a été discuté de manière circonstanciée et étayée par l’employeur, qui s’est référé pour ce faire au mode de calcul des temps de travail définis par une convention d’entreprise de 1993 prévoyant une rémunération à la tâche et par la Convention collective nationale de la distribution directe de 2004 ; que le salarié ne caractérise pas en quoi le calcul opéré suivant une durée théorique évaluée ne serait pas conforme au temps nécessaire pour assurer les distributions qui lui avaient été confiées ; que dès lors, la demande n’apparaît pas suffisamment étayée sur ce point ;

ET AUX MOTIFS QUE Monsieur X... a signé les feuilles de route et n’a précédemment pas contesté les heures imposées par la société ; que la durée de travail dépend de la seule quantification prédéterminée par la convention collective de l’ensemble des tâches accomplies par les distributeurs ; qu’ainsi sa rémunération découle de la convention collective qui est ainsi correctement appliquée ;

1°. ALORS QUE la preuve des heures de travail n’incombe spécialement à aucune des parties et que le juge ne peut, pour rejeter une demande d’heures complémentaires, se fonder sur l’insuffisance de preuve apportée par le salarié ; que le juge doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et que l’employeur est tenu de lui fournir ; qu’en déboutant le salarié de sa demande, aux motifs que le décompte par lui fourni n’établissait pas suffisamment que la durée réelle de son temps de travail était supérieure à sa durée théorique résultant de la quantification préalable du nombre d’heures nécessaires à l’accomplissement de son travail, la Cour d’appel a violé l’article L.3171-4 du Code du travail ;

2°. ALORS QUE l’employeur a l’obligation de procéder au décompte quotidien et hebdomadaire de la durée du travail réellement effectuée par les salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif ; qu’en s’en tenant à la quantification du temps de travail préalablement déterminée par la Convention collective nationale de la distribution directe, qui constitue une durée du travail théorique impropre à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié, la Cour d’appel a violé les articles L.3171-2, L.3171-4 et D.3171-8 du Code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d’une démission et en conséquence, d’avoir débouté Monsieur X... de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur X... a exercé son droit de retrait au mois de novembre 2007 en invoquant l’utilisation des peintures ; c’est en vain que la société Adrexo conteste la nocivité de ce produit, la réalité des conséquences de cet usage pour Monsieur X... est attesté par le médecin du travail (…) suivant trois avis successifs des 30 août 2007, 4 février 2008 et 24 juillet 2008. De plus des certificats médicaux ont confirmé les atteintes subies par le salarié ; dans ces conditions il n’était ni anormal ni illégitime pour Monsieur X... d’avoir exercé son droit de retrait (arrêt p. 3 et 4) ;

Et AUX MOTIFS QU’il est constant que par une lettre du 3 octobre 2008, Monsieur X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail ; que dans cette lettre, il invoque au soutien de sa décision un différend concernant le paiement des heures de travail, en faisant état de ses contestations multiples sur les modalités appliquées et sur la non prise en compte des temps de préparation et en précisant « nous n’avons pas la même lecture de la convention collective nationale du 16 juin 2004 » ; qu’il y affirme également que la société Adrexo ne respecte pas le minimum légal en matière de SMIC ; qu’à cette lettre, la société Adrexo a répondu le 27 octobre 2008 et a développé dans des conclusions soutenues à l’audience de la Cour que les modalités de calcul qu’elle détaillait sont conformes aux minimum légaux et à la convention collective nationale applicable ; que le salarié n’a pas fourni d’exemple probant concernant une violation des minimums légaux de ces dispositions conventionnelles ni d’une méconnaissance de la rémunération prévue par son contrat de travail ; que de plus, il n’indique pas si des sanctions pénales ont été prononcées pour infractions à la réglementation légale des salaires ; qu’il n’a donc pas été établi par le salarié un manquement grave de son employeur à ses obligations ; qu’en conséquence, la rupture du contrat de travail par le salarié équivaut dans ses effets à une démission et non à un licenciement ;

1°. ALORS QUE le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat justifie la prise d’acte de la rupture du contrat de travail à ses torts ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a constaté que l’utilisation de bombes aérosols de peinture présentait un danger pour la santé du salarié et que l’employeur n’avait pas pris en compte les mesures d’aménagement du poste de travail du salarié préconisées à plusieurs reprises par le médecin du travail, ce dont il résulte qu’il avait manqué à son obligation de sécurité ; qu’en décidant néanmoins que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d’une démission, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L.1231-1, L.1232-1, L.4121-1 et L.4624-1 du Code du travail ;

2°. ALORS QU’ en retenant que dans la lettre de prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, le salarié n’invoquait qu’un différend concernant le paiement des heures de travail et le respect du Smic, quand dans cette lettre, le salarié reprochait également à son employeur l’emploi, malgré les recommandations contraires du médecin de travail, de bombes aérosols de peinture représentant un danger grave pour sa santé, la Cour d’appel a dénaturé par omission cet écrit, et violé l’article 1134 du Code civil ;

3°. ALORS QUE le juge doit examiner tous les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié à l’appui de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail ; qu’en l’espèce, le salarié a fait valoir dans ses conclusions d’appel que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail se justifiait notamment par le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ; qu’en n’examinant pas ce grief, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1231-1 et L.1232-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar , du 12 novembre 2009