Cadre dirigeant - critère direction

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 22 juin 2016

N° de pourvoi : 14-14079

ECLI:FR:CCASS:2016:SO01285

Non publié au bulletin

Rejet

M. Frouin (président), président

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 janvier 2014), que M. X..., engagé par la société Cap Boulanger exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur de l’établissement de La Valette du Var, moyennant un salaire mensuel brut moyen de 9762,28 euros ; que le 7 novembre 2011, il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour non paiement d’heures supplémentaires ; que par lettre du 3 avril 2013, il a été licencié pour motif économique dans le cadre d’un licenciement collectif ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes tant en paiement de sommes à titre d’heures supplémentaires et d’indemnité pour travail dissimulé qu’en résiliation judiciaire du contrat de travail, alors, selon le moyen :

1°/ qu’aux termes de l’article L. 3111-2, alinéa 2, du code du travail sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; qu’en retenant en l’espèce la qualité de cadre dirigeant de l’intéressé après avoir relevé que celui-ci percevait une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise, avait une grande liberté dans l’organisation dans son emploi du temps, devait bénéficier d’une délégation de pouvoir en matière de respect de l’ensemble de la réglementation économique générale et de la réglementation du travail et avait le pouvoir d’embaucher et de licencier du personnel au sein de l’établissement dont il assurait la direction, sans constater, comme l’y invitaient pourtant les conclusions du salarié, qu’il participait effectivement à la direction de l’entreprise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;

2°/ que pour se prononcer sur la qualité de cadre dirigeant d’un salarié, les juges doivent examiner concrètement la fonction que celui-ci occupe réellement au regard de chacun des critères énoncés à l’article L. 3111-2 du code du travail ; qu’en se bornant à constater, en l’espèce, que le salarié devait bénéficier d’une délégation de pouvoir en matière de respect de l’ensemble de la réglementation économique générale et de la réglementation du travail, et en déduire sa qualité de cadre dirigeant, sans aucunement rechercher si l’intéressé exerçait effectivement les prérogatives découlant de cette délégation de pouvoir, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 3111-2 du code du travail ;

3°/ que pour se prononcer sur la qualité de cadre dirigeant d’un salarié, les juges doivent examiner concrètement la fonction que celui-ci occupe réellement au regard de chacun des critères énoncés à l’article L. 3111-2 du code du travail, peu important les stipulations du contrat de travail ; qu’en se fondant, par motifs réputés adoptés du conseil de prud’hommes, sur les stipulations du contrat de travail de l’intéressé et son avenant mentionnant la qualité de cadre dirigeant pour reconnaître celle-ci au salarié, sans procéder à aucun examen de la fonction concrètement exercée par ce dernier, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 3111-2 du code du travail ;

4°/ que la cassation de l’arrêt en ce qu’il a retenu la qualité de cadre dirigeant du salarié et l’a, par suite, débouté de sa demande en paiement d’heures supplémentaires entraînera par voie de conséquence, en application de l’article 624 du code de procédure civile, l’annulation de la décision qui l’a débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur fondée sur un défaut de paiement des heures supplémentaires ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui a constaté, par motifs propres, que le salarié percevait la rémunération la plus élevée de l’établissement dont il avait la direction et, par motifs adoptés, qu’il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et qu’il était indépendant dans l’organisation de son emploi du temps a, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, fait ressortir qu’il participait à la direction de l’entreprise ; que le moyen, dont la quatrième branche est privée de portée par le rejet des trois premières, n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de dire son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes relatives à cette rupture, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en présence d’un groupe de société, une réorganisation de l’entreprise ne peut constituer un motif économique que si elle est nécessaire à la sauvegarde du secteur d’activité de ce groupe ; qu’en l’espèce, après avoir constaté que l’employeur appartient à un groupe de société, la cour d’appel s’est bornée à relever l’existence de pertes financières subies par celui-ci pour dire nécessaire la réorganisation de l’entreprise et, partant, débouter le salarié de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu’en se prononçant de la sorte, sans expliquer en quoi était caractérisée l’existence, au niveau du secteur d’activité du groupe auquel l’employeur appartient, de difficultés économiques ou d’une menace pesant sur la compétitivité de ce secteur, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 1233-3 du code du travail ;

2°/ qu’en jugeant le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, en raison de la nécessité de la sauvegarde de l’entreprise conduisant à la cessation d’activité de l’établissement au sein duquel était employé le salarié, sans expliquer en quoi l’existence de difficultés économiques, à les supposer établies au niveau du secteur d’activité du groupe auquel l’employeur appartient, justifiait la restructuration de l’entreprise constituée par la fermeture de l’établissement en cause, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 1233-3 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant constaté que la société Cap Boulanger et la société holding HTM group connaissaient de très importantes difficultés financières, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence de menaces sur la compétitivité au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartenait l’entreprise, impliquant la fermeture du magasin de Toulon, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. X... de ses demandes en paiement d’heures supplémentaires et d’indemnité pour travail dissimulé et de sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société CAP BOULANGER ;

Aux motifs propres que « M. X... soutient que son contrat de travail doit être résilié aux torts de la société CAP BOULANGER pour manquement de l’employeur à son obligation de lui payer les heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées habituellement et pour un montant qu’il évalue à 152.546,09 € ;

Il est constaté liminairement qu’avant la saisine de la juridiction prud’homale, sa demande n’a été précédée d’aucune mise en demeure faite à la société CAP BOULANGER, ni même d’un échange de correspondance entre les parties ;

En application de l’article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions légales en matière de durée du travail, repos et congés ;

Selon ces mêmes dispositions légales, sont considérées comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiés des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ;

En l’espèce, il est établi que M. X... percevait une rémunération importante, la plus élevée de l’établissement dont il avait la direction, et aussi – selon ses propres dires – « en 20ème position » (sic ses conclusions page 16) parmi les rémunérations les plus élevées de l’ensemble du personnel salarié de l’entreprise, laquelle dispose d’un effectif du personnel voisin de 8.000 salariés répartis en 133 magasin ;

Il ressort par ailleurs des stipulations de son contrat de travail que M. X... était cadre position IV, soit aux termes de la convention collective applicable « un emploi nécessitant les pouvoirs les plus larges, non seulement sur le plan administratif ou commercial ou technique, mais également sur le plan de la gestion, de l’organisation, de la direction de l’entreprise. Il comporte la mise en oeuvre, sous l’autorité du chef d’entreprise, de la gestion et des politiques financières et commerciales de celles-ci » ;

Selon l’article 13 de son contrat de travail, M. X... devait effectivement recevoir une délégation de pouvoir en matière de respect de l’ensemble de la règlementation économique générale et de la règlementation du travail ;

Le fait par l’intéressé d’avoir ensuite omis de ratifier l’acte distinct de délégation qui lui a été soumis par l’employeur daté du 1er juin 2009, n’est pas de nature à modifier l’appréciation de l’étendue de ses pouvoirs, dès lors que cette abstention unilatérale du salarié contrevient à son engagement contractuel initial ;

Ainsi, il est établi par les nombreuses pièces produites qu’au sein de l’établissement dont il assurait la direction, M. X... a effectivement usé du pouvoir qui lui était donné d’embaucher et de licencier.

Dans ces conditions, l’article 8 du contrat de travail de l’intéressé stipulant qu’en raison de « l’importance des responsabilités inhérentes à sa fonction qui impliquent une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps (…), d’autre part de son niveau élevé de rémunération, M. X... n’est pas soumis à la réglementation sur la durée du travail » apparaît légitime, contractuellement et en fait ;

Ces constations sont suffisantes pour en conséquence dire M. X... mal fondé en ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et accessoires, à l’instar par suite de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;

Sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur doit dès lors être elle-même rejetée comme étant dénuée de tout fondement, et de ce chef le jugement entrepris confirmé » ;

Et aux motifs éventuellement adoptés que « la société CAP BOULANGER a respecté les termes de l’avenant au contrat de travail de M. X... du 2 juin 2009 qui stipulent que « le salarié aura la qualité de cadre dirigeant et ne sera donc pas soumis à la règlementation sur la durée du travail ». Cette dérogation à la durée du travail était déjà mentionnée sur les contrats de travail des 15 septembre 2008 et 8 décembre 2008.

M. X... est donc particulièrement mal fondé à prétendre aujourd’hui qu’il n’aurait pas le statut de cadre dirigeant alors même que tous les documents contractuels le liant à la société CAP BOULANGER (et avant la société MEDIA SATURN FRANCE) le mentionnent expressément et que ce statut se justifie par son autonomie et ses responsabilités » ;

1/ Alors qu’aux termes de l’article L.3111-2, alinéa 2 du code du travail sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; qu’en retenant en l’espèce la qualité de cadre dirigeant de l’intéressé après avoir relevé que celui-ci percevait une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise, avait une grande liberté dans l’organisation dans son emploi du temps, devait bénéficier d’une délégation de pouvoir en matière de respect de l’ensemble de la réglementation économique générale et de la réglementation du travail et avait le pouvoir d’embaucher et de licencier du personnel au sein de l’établissement dont il assurait la direction, sans constater, comme l’y invitaient pourtant les conclusions du salarié, qu’il participait effectivement à la direction de l’entreprise, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;

2/ Alors, en outre, que pour se prononcer sur la qualité de cadre dirigeant d’un salarié, les juges doivent examiner concrètement la fonction que celui-ci occupe réellement au regard de chacun des critères énoncés à l’article L.3111-2 du code du travail ; qu’en se bornant à constater, en l’espèce, que le salarié devait bénéficier d’une délégation de pouvoir en matière de respect de l’ensemble de la réglementation économique générale et de la réglementation du travail, et en déduire sa qualité de cadre dirigeant, sans aucunement rechercher si l’intéressé exerçait effectivement les prérogatives découlant de cette délégation de pouvoir, la Cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L.3111-2 du code du travail ;

3/ Alors, en tout état de cause, que pour se prononcer sur la qualité de cadre dirigeant d’un salarié, les juges doivent examiner concrètement la fonction que celui-ci occupe réellement au regard de chacun des critères énoncés à l’article L.3111-2 du code du travail, peu important les stipulations du contrat de travail ; qu’en se fondant, par motifs réputés adoptés du Conseil de prud’hommes, sur les stipulations du contrat de travail de l’intéressé et son avenant mentionnant la qualité de cadre dirigeant pour reconnaître celle-ci au salarié, sans procéder à aucun examen de la fonction concrètement exercée par ce dernier, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.3111-2 du code du travail ;

4/ Alors, enfin, que la cassation de l’arrêt en ce qu’il a retenu la qualité de cadre dirigeant du salarié et l’a, par suite, débouté de sa demande en paiement d’heures supplémentaires entraînera par voie de conséquence, en application de l’article 624 du code de procédure civile, l’annulation de la décision qui l’a débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur fondée sur un défaut de paiement des heures supplémentaires.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir décidé que le licenciement M. X... est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l’avoir en conséquence débouté de toutes ses demandes fondées sur une rupture injustifiée de son contrat de travail ;

Aux motifs que « Il est produit aux débats la décision du 11 juin 2011 de l’Autorité de concurrence visée dans la lettre de licenciement de M. X... relative aux conséquences du rachat de l’enseigne SATURN par la société HTM GROUP, holding dont la société CAP BOULANGER est la principale filiale, le plan de sauvegarde de l’emploi soumis le 10 février 2012 par la société CAP BOULANGER à son comité central d’entreprise, y compris le dossier économique (65 pages) analysant les effets de l’intégration des magasins SATURN dans le réseau BOULANGER, l’offre de reclassement interne faite à M. X..., par lettre RAR du 8 mars 2013 et que celui-ci a déclinée telle qu’elle sera exactement décrite dans la lettre de congédiement ultérieure de l’intéressé ;

Sur le plan économique, il ressort notamment de ces éléments au 30 juin 2012 un résultat consolidé de HTM GROUP se traduisant par une perte de 52,7 millions d’euros, dont 43,1 millions d’euros imputables à CAP BOULANGER, étant précisé que le chiffre d’affaires de l’établissement de Toulon était en baisse de 52 % en 2012 par rapport à l’année précédente ;

Dans ce contexte, la nécessité de la sauvegarde de l’entreprise conduisant à la cessation d’activité du magasin de Toulon est avérée ;

Il est également établi que conformément à l’article L.1233-4 du code du travail, la société CAP BOULANGER a loyalement respecté son obligation de recherche de reclassement de M. X..., les offres faites à l’intéressé concernant des emplois à des fonctions analogues avec maintien du montant de sa rémunération de base ;

Ainsi le licenciement de M. X... apparaît fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’intéressé doit être débouté de ses demandes indemnitaires » ;

Alors qu’en présence d’un groupe de société, une réorganisation de l’entreprise ne peut constituer un motif économique que si elle est nécessaire à la sauvegarde du secteur d’activité de ce groupe ; qu’en l’espèce, après avoir constaté que l’employeur appartient à un groupe de société, la Cour d’appel s’est bornée à relever l’existence de pertes financières subies par celui-ci pour dire nécessaire la réorganisation de l’entreprise et, partant, débouter le salarié de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu’en se prononçant de la sorte, sans expliquer en quoi était caractérisée l’existence, au niveau du secteur d’activité du groupe auquel l’employeur appartient, de difficultés économiques ou d’une menace pesant sur la compétitivité de ce secteur, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L.1233-3 du code du travail ;

Alors, en outre et en tout état de cause, qu’en jugeant le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, en raison de la nécessité de la sauvegarde de l’entreprise conduisant à la cessation d’activité de l’établissement au sein duquel était employé le salarié, sans expliquer en quoi l’existence de difficultés économiques, à les supposer établies au niveau du secteur d’activité du groupe auquel l’employeur appartient, justifiait la restructuration de l’entreprise constituée par la fermeture de l’établissement en cause, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L.1233-3 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 16 janvier 2014