Journaliste pigiste non - journaliste professionnel oui - collaboration régulière et permanente

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 23 janvier 2019

N° de pourvoi : 16-19880

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00108

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Goasguen (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP L. Poulet-Odent, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 mai 2016), que M. Y... a travaillé comme reporter photographe au profit de l’Agence France presse (l’AFP) depuis le 1er juillet 2000 ; qu’il a été rémunéré à la pige, ses bulletins de paie mentionnant la convention collective des journalistes ; qu’il a été successivement recruté en contrat à durée déterminée, le 24 septembre 2007 pour assurer le remplacement d’un journaliste en congé maladie, puis le 4 septembre 2010 et le 28 mai 2010 au même emploi dans l’attente de l’entrée en fonction du journaliste titulaire du poste ; qu’entre ces contrats à durée déterminée et postérieurement, il a été de nouveau rémunéré à la pige ; que le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir requalifier son contrat de travail en contrat de journaliste permanent, d’obtenir l’application des conventions et accords collectifs applicables à ce titre et, notamment, la condamnation de l’employeur au paiement de certaines sommes à titre de rappel de salaire et des dommages-intérêts ;

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de faire droit à ses demandes et de le condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire, alors, selon le moyen :

1°/ que dans la catégorie générale des contrats de « journalistes professionnels », le contrat de journaliste « permanent » se distingue spécifiquement de celui de journaliste « pigiste », les conditions d’activité de l’un étant exclusives de celles de l’autre ; que le principe d’égalité de traitement a pour objet d’assurer une égalité de rémunération entre des salariés exerçant la même activité, en vertu d’un contrat de travail et selon des conditions d’exécution similaires ; que son application présupposant ainsi cette activité similaire, il n’est pas applicable entre des activités qui sont par nature des activités dissemblables, impliquant en particulier des conditions de rémunération spécifiquement différentes ; qu’en soumettant dès lors les demandes de M. Y..., journaliste pigiste en vertu du contrat de travail conclu avec l’AFP, au principe de l’égalité de traitement afin de rechercher s’il avait la qualité de journaliste permanent, quand les activités de pigiste et de permanent sont spécifiquement distinctes, déterminées par des contrats spécifiquement distincts, la cour a violé ce principe par fausse application ;

2°/ que le journaliste permanent a droit, en contrepartie de son activité, à une rémunération fixe, forfaitaire ; que tel n’est pas le cas du pigiste, rémunéré à la tâche en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis ; que, pour justifier que M. Y... ait le statut de journaliste permanent, et non celui de pigiste correspondant à son contrat de travail, la cour a retenu que sa rémunération était d’un « montant relativement stable », avec des « écarts faibles observés sur certaines années », qu’il percevait une rémunération forfaitaire chaque mois ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges dès lors que, même en l’absence de piges, il bénéficiait d’un treizième mois, de primes d’ancienneté et de primes exceptionnelle et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges ; qu’elle en a conclu que ces éléments traduisaient « à tout le moins un commencement d’alignement au sein de l’AFP du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents, que les rémunérations perçues (

) n’étaient pas véritablement variables » ; qu’en se déterminant ainsi, quand la relative stabilité et les écarts de la rémunération établissaient que cette dernière n’était pas forfaitaire et que le « commencement d’alignement (

) du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents » impliquait, nécessairement, que ces statuts demeuraient distincts, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

3°/ que le contrat de travail d’un journaliste pigiste peut comporter une rémunération minimale garantie, et même des modalités de dédommagement pendant une certaine période en cas de baisse importante de la rémunération, sans que cela affecte l’absence de caractère forfaitaire de sa rémunération ou modifie son statut de pigiste ; qu’en retenant dès lors, pour justifier que M. Y... ait le statut de journaliste permanent, exclusif de celui de pigiste, qu’il bénéficiait de primes exceptionnelles et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

4°/ que le journaliste permanent, lié à l’employeur par un lien de subordination, est astreint à un temps de travail déterminé, partiel ou plein, soumis à la fourniture d’un travail et à un minimum de production, pour lesquels il est rémunéré forfaitairement ; que tel n’est aucunement le cas du pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; qu’en l’espèce, pour juger que M. Y... avait la qualité de journaliste permanent, en dépit de son contrat de travail de pigiste, la cour a retenu qu’il avait travaillé « de manière permanente exclusivement avec l’AFP » ; qu’en se déterminant ainsi, après avoir pourtant constaté que ses revenus « sont tirés essentiellement de son activité au sein de l’AFP » et que ses revenus déclarés ne comportent pas la déduction de l’allocation pour frais d’emploi dont il bénéficie en tant que pigiste, ce dont il s’évinçait qu’il ne travaillait pas « exclusivement » pour l’AFP, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

5°/ que pour retenir que M. Y..., en dépit du contrat de pigiste conclu avec l’AFP, avait la qualité de journaliste permanent, la cour a retenu qu’il « n’avait jamais refusé une tâche », qu’il avait fait preuve d’une « constante disponibilité », qu’il n’avait pas le choix de ses reportages, qu’il lui était passé commandes de reportages à réaliser selon diverses consignes à suivre, à défaut de quoi il n’était pas rémunéré ; qu’en se déterminant ainsi, quand tous les éléments ainsi relevés correspondent à la description d’une activité de journaliste pigiste, lequel se met à la disposition d’une entreprise de presse pour accomplir les missions qu’elle lui confie et qu’elle détermine, à défaut de quoi il n’est pas rémunéré, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

6°/ que le journaliste permanent, à la différence du journaliste pigiste, est un salarié de droit commun, soumis comme tel à son employeur par un lien de subordination ; que celui-ci se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives et les horaires, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en décidant dès lors que M. Y..., lié à l’AFP par un contrat de journaliste pigiste, avait le statut d’un journaliste permanent, c’est-à-dire d’un salarié de droit commun, sans avoir relevé aucun élément de nature à établir que l’AFP ait un quelconque pouvoir pour déterminer ses horaires, les contrôler ou, d’une manière générale, pour sanctionner ses manquements éventuels, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7112-1 et L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

7°/ que le journaliste permanent est assujetti à une obligation de non-concurrence, à la différence du journaliste pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; que pour justifier de l’absence de statut de journaliste permanent, l’AFP avait notamment fait valoir que M. Y... n’était astreint à aucune obligation contractuelle de mobilité similaire à celle d’un permanent, ni à aucune obligation de non-concurrence et qu’il était d’ailleurs titulaire d’une carte professionnelle de pigiste attestant de cette qualité ; que pour retenir la qualité de journaliste permanent de M. Y..., la cour s’est bornée à considérer qu’elle n’était pas liée par les mentions de la carte de presse et que l’AFP ne pouvait se prévaloir de ce qu’elle n’avait pas imposé au salarié une clause de mobilité et d’interdiction de concurrence pour conclure à l’existence du statut de pigiste dès lors que les conditions d’exercice de son travail sont similaires à celle d’un reporter permanent justifiant l’application de ce statut ; que, cependant, l’existence avérée d’une activité libre de concurrence caractérise le statut de journaliste pigiste, un journaliste permanent ne pouvant l’exercer sans une autorisation explicite de l’employeur ; qu’en se déterminant dès lors comme elle l’a fait, quand le seul constat de l’exercice par M. Y... d’une activité libre de concurrence devait la conduire à conclure qu’il avait bien le statut de journaliste pigiste, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

8°/ que pour juger que M. Y... avait le statut d’un journaliste permanent, la cour a retenu que, mobile et disponible, il avait postulé par trois fois pour un emploi de journaliste permanent, à Toulouse, Bordeaux et Montpellier, candidatures qui ont été rejetées ; qu’en se déterminant ainsi, quand ces circonstances établissaient au contraire qu’il n’avait pas le statut de journaliste permanent qu’il cherchait lui-même à obtenir, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

9°/ que le statut de journaliste permanent et le statut de journaliste pigiste sont spécifiquement distincts ; que le simple remplacement provisoire d’un salarié permanent absent, effectué par un salarié pigiste, ne modifie pas le statut de pigiste dès lors que celui-ci échappe aux conditions d’une activité répondant aux exigences de l’activité d’un salarié permanent ; que la circonstance que trois remplacements temporaires aient été effectués dans le cadre de contrats à durée déterminée de journaliste permanent n’a d’incidence que sur l’activité exercée dans ce cadre ; qu’elle ne modifie pas le statut de pigiste du journaliste remplaçant, dont l’activité est par ailleurs habituellement exercée librement, sans lien de subordination ; qu’en décidant dès lors que M. Y... avait le statut de journaliste permanent depuis son embauche parce que l’AFP l’a intégré un temps, comme journaliste permanent, par un contrat à durée déterminée, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé que le journaliste collaborait de manière régulière et permanente avec l’AFP et percevait une rémunération forfaitaire d’un montant relativement stable et ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges effectuées chaque mois, la cour d’appel, qui a constaté que l’intéressé n’avait pas le choix de ses reportages et devait les réaliser en se conformant aux consignes qui lui étaient données, a pu en déduire qu’il devait se voir reconnaître la qualité de journaliste permanent ; qu’elle a, sans encourir les griefs du moyen, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l’Agence France presse aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. Y... la somme de 1 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour l’Agence France presse.

Le pourvoi fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR dit que la relation contractuelle ayant existé entre M. Y... et l’AFP constituait un contrat à durée indéterminée depuis le 1er juillet 2000 et, statuant à nouveau, ordonné à l’AFP de titulariser et intégrer M. Y... en qualité de journaliste permanent à l’emploi conventionnel de “reporter photographe” 3e échelon, coefficient 200, de lui appliquer les conventions collectives et accords collectifs dont il relève en qualité de journaliste permanent et les accords d’entreprise régissant les plans de carrière et rémunérations minimales conventionnelles « barème des salaires mensuels » des journalistes permanents, condamné l’AFP à payer à M. Y... les sommes de 138 823 € à titre de rappel de salaires [outre 13 882,30 € à titre de congés payés afférents] ; 11 568 € à titre de rappel de 13e mois ; 4 000 € à titre de dommages et intérêts pour la violation des obligations légales et conventionnelles en matière de santé et de repos ; 6 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation conventionnelle et légale de formation, dit recevable et bien fondée l’intervention volontaire du syndicat national des journalistes CGT et condamné l’AFP à lui payer la somme de 2 000 € au titre du préjudice porté à l’intérêt collectif des journalistes ;

AUX MOTIFS QUE si la pige a été effectivement retenue par les parties, il ne peut s’en déduire nécessairement que le salarié n’est pas salarié permanent ; qu’il convient, relativement au principe d’égalité de traitement, de vérifier si les conditions d’exercice effectives et concrètes de ses fonctions étaient celles d’un salarié permanent, de sorte qu’il puisse bénéficier des mêmes avantages conventionnels que le salarié permanent ; qu’il résulte du principe “à travail égal, salaire égal”, dont s’inspirent les articles L. 1242-14, L. 1242-15, L. 2261-22.9, L. 2271-1.8° et L. 3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ; que sont considérés comme ayant une valeur égale par l’article L. 3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ; qu’en application de l’article 1315 du code civil, le salarié qui invoque une atteinte à ce principe doit soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et l’employer doit apporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence ; que la seule différence de catégorie professionnelle ne suffit pas à justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge contrôle la réalité ; qu’en l’espèce, les rémunérations versées pendant toute la durée de la collaboration sont d’un montant relativement stable, peu important les quelques écarts faibles observés sur certaines années ; qu’il résulte des bulletins de paie que le salarié reçoit une rémunération forfaitaire chaque mois ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges dès lors que même en l’absence de piges, il bénéficie de primes de 13e mois, d’ancienneté et de prime exceptionnelle et depuis 2011 un montant minimal garanti est versé même en l’absence de piges ; qu’il se déduit de ces éléments qui traduisent à tout le moins un commencement de rapprochement d’alignement au sein de l’AFP du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents que les rémunérations perçues par le salarié n’étaient pas véritablement variables ; que le salarié justifie également avoir travaillé exclusivement pour l’AFP : la comparaison de ses bulletins de salaire annuel et de ses avis d’imposition sur la période 2010 à 2013 montrent que ses revenus sont tirés essentiellement de son activité au sein de l’AFP ; que ses autres revenus provenant de droits d’auteur exclusifs provenant de son activité individuelle de photographie, activité non salariée ; que, certes, les revenus déclarés par le salarié ne comportent pas la déduction de l’allocation pour frais d’emploi dont il bénéficie comme pigiste ; que les tableaux produits par l’AFP récapitulant les sommes qu’elle a versées au salarié montrent que la rémunération versée constitue un taux avoisinant les 90 % de rémunérations déclarées par le salarié voire plus certaines années et 85 % sur l’année 2011, ce dont il se déduit que le salarié a travaillé de manière permanente exclusivement avec l’AFP ; qu’à cet égard les pièces produites par l’employeur relatives à des collaborations avec d’autres agences (société Sud-Ouest, Charente Libre) sont contredites par les photos produites par le salarié parues dans diverses publications qui proviennent de l’AFP ; que l’attestation fiscale d’une société extérieure produite par l’employeur n’est pas davantage probante car elle ne concerne pas le salarié ; que, s’agissant de l’organisation du travail du salarié, celui-ci justifie n’avoir jamais refusé une tâche confiée par son employeur et fait preuve d’une constante disponibilité ; que, contrairement à ce qu’indique l’AFP, le salarié n’avait pas le choix de ses reportages, qu’il lui était passé des commandes, qu’il devait réaliser les reportages selon diverses consignes qu’il devait suivre, et qu’à défaut il ne pouvait recevoir de rémunération ; que le courriel adressé le 1er juillet 2011 par le rédacteur en chef à tous les photographes de l’agence, quel que soit leur statut, montre que les pigistes étaient également mis à contribution pour assurer un minimum de photos dans le cadre d’une commande particulière ; que l’employeur ne peut opposer au salarié qu’il n’était astreint à aucune obligation contractuelle de mobilité similaire à celle des permanents, ni interdiction de concurrence et qu’il est titulaire d’une carte de journaliste mention pigiste délivrée après examen par la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels statuant sur pièces attestant de sa qualité de pigiste ; qu’en effet, d’une part, la cour n’est pas liée par la mention portée sur la carte de journaliste délivrée ; d’autre part, l’employeur ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas imposé à son salarié de clause de mobilité et d’interdiction de concurrence pour conclure à l’existence du seul statut de pigiste, sa carence ne pouvant porter préjudice au salarié dont les conditions d’exercice effectif du travail sont en fait similaires à celles d’un reporter permanent justifiant l’application de ce statut ; que le salarié, même non lié par une clause de mobilité, s’est montré particulièrement mobile et disponible ainsi que le montrent ses différentes candidatures à des postes permanents sur Toulouse, Bordeaux et Montpellier auxquels il n’a pas été fait droit ; qu’au demeurant, l’AFP n’a pas hésité à intégrer le salarié comme reporter photographe permanent par trois contrats à durée déterminée l’un en 2007 et deux en 2010 non rémunérés à la pige pour remplacer un salarié absent et avec le matériel de l’entreprise ; que ces intégrations même temporaires pour effectuer la même activité que celle réalisée en tant que pigiste conforte le moyen du salarié qui indique avoir en réalité exercé sa même activité de reporter photographe comme un journaliste permanent depuis son embauche par l’AFP, peu important les mentions de pigiste portées sur les bulletins de paie et sa carte de journaliste ; qu’il résulte de ces éléments que le salarié a exercé son activité de journaliste photographe dans un lien de subordination à l’égard de l’AFP dans des conditions identiques à celles d’un reporter photographe permanent et que l’employeur ne justifie pas des raisons objectives de l’application du statut de pigiste au lieu de celui de permanent ; qu’il sera fait droit à la demande de requalification du contrat de travail en contrat de journaliste permanent à durée indéterminée depuis le 1er janvier 2000 ; qu’en conséquence, il est ordonné à l’AFP de titulariser et intégrer le salarié comme journaliste permanent et de lui appliquer les accords d’entreprise régissant les plans de carrière et les rémunérations conventionnelles “barème des salaires mensuels” des journalistes permanents ;

1° ALORS QUE dans la catégorie générale des contrats de “journalistes professionnels”, le contrat de journaliste “permanent” se distingue spécifiquement de celui de journaliste “pigiste”, les conditions d’activité de l’un étant exclusives de celles de l’autre ; que le principe d’égalité de traitement a pour objet d’assurer une égalité de rémunération entre des salariés exerçant la même activité, en vertu d’un contrat de travail et selon des conditions d’exécution similaires ; que son application présupposant ainsi cette activité similaire, il n’est pas applicable entre des activités qui sont par nature des activités dissemblables, impliquant en particulier des conditions de rémunération spécifiquement différentes ; qu’en soumettant dès lors les demandes de M. Y..., journaliste pigiste en vertu du contrat de travail conclu avec l’AFP, au principe de l’égalité de traitement afin de rechercher s’il avait la qualité de journaliste permanent, quand les activités de pigiste et de permanent sont spécifiquement distinctes, déterminées par des contrats spécifiquement distincts, la cour a violé ce principe par fausse application ;

2° ALORS QUE le journaliste permanent a droit, en contrepartie de son activité, à une rémunération fixe, forfaitaire ; que tel n’est pas le cas du pigiste, rémunéré à la tâche en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis ; que, pour justifier que M. Y... ait le statut de journaliste permanent, et non celui de pigiste correspondant à son contrat de travail, la cour a retenu que sa rémunération était d’un « montant relativement stable », avec des « écarts faibles observés sur certaines années », qu’il percevait une rémunération forfaitaire chaque mois ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges dès lors que, même en l’absence de piges, il bénéficiait d’un treizième mois, de primes d’ancienneté et de primes exceptionnelle et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges ; qu’elle en a conclu que ces éléments traduisaient « à tout le moins un commencement d’alignement au sein de l’AFP du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents, que les rémunérations perçues (

) n’étaient pas véritablement variables » ; qu’en se déterminant ainsi, quand la relative stabilité et les écarts de la rémunération établissaient que cette dernière n’était pas forfaitaire et que le « commencement d’alignement (

) du statut des pigistes sur celui des journalistes permanents » impliquait, nécessairement, que ces statuts demeuraient distincts, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

3° ALORS QUE le contrat de travail d’un journaliste pigiste peut comporter une rémunération minimale garantie, et même des modalités de dédommagement pendant une certaine période en cas de baisse importante de la rémunération, sans que cela affecte l’absence de caractère forfaitaire de sa rémunération ou modifie son statut de pigiste ; qu’en retenant dès lors, pour justifier que M. Y... ait le statut de journaliste permanent, exclusif de celui de pigiste, qu’il bénéficiait de primes exceptionnelles et d’un montant minimum garanti depuis 2011 même en l’absence de piges, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

4° ALORS QUE le journaliste permanent, lié à l’employeur par un lien de subordination, est astreint à un temps de travail déterminé, partiel ou plein, soumis à la fourniture d’un travail et à un minimum de production, pour lesquels il est rémunéré forfaitairement ; que tel n’est aucunement le cas du pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; qu’en l’espèce, pour juger que M. Y... avait la qualité de journaliste permanent, en dépit de son contrat de travail de pigiste, la cour a retenu qu’il avait travaillé « de manière permanente exclusivement avec l’AFP » ; qu’en se déterminant ainsi, après avoir pourtant constaté que ses revenus « sont tirés essentiellement de son activité au sein de l’AFP » et que ses revenus déclarés ne comportent pas la déduction de l’allocation pour frais d’emploi dont il bénéficie en tant que pigiste, ce dont il s’évinçait qu’il ne travaillait pas « exclusivement » pour l’AFP, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

5° ALORS QUE pour retenir que M. Y..., en dépit du contrat de pigiste conclu avec l’AFP, avait la qualité de journaliste permanent, la cour a retenu qu’il « n’avait jamais refusé une tâche », qu’il avait fait preuve d’une « constante disponibilité », qu’il n’avait pas le choix de ses reportages, qu’il lui était passé commandes de reportages à réaliser selon diverses consignes à suivre, à défaut de quoi il n’était pas rémunéré ; qu’en se déterminant ainsi, quand tous les éléments ainsi relevés correspondent à la description d’une activité de journaliste pigiste, lequel se met à la disposition d’une entreprise de presse pour accomplir les missions qu’elle lui confie et qu’elle détermine, à défaut de quoi il n’est pas rémunéré, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

6° ALORS QUE le journaliste permanent, à la différence du journaliste pigiste, est un salarié de droit commun, soumis comme tel à son employeur par un lien de subordination ; que celui-ci se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives et les horaires, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en décidant dès lors que M. Y..., lié à l’AFP par un contrat de journaliste pigiste, avait le statut d’un journaliste permanent, c’est-à-dire d’un salarié de droit commun, sans avoir relevé aucun élément de nature à établir que l’AFP ait un quelconque pouvoir pour déterminer ses horaires, les contrôler ou, d’une manière générale, pour sanctionner ses manquements éventuels, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7112-1 et L. 1121-1 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

7° ALORS QUE le journaliste permanent est assujetti à une obligation de non-concurrence, à la différence du journaliste pigiste, qu’il soit occasionnel ou régulier ; que pour justifier de l’absence de statut de journaliste permanent, l’AFP avait notamment fait valoir que M. Y... n’était astreint à aucune obligation contractuelle de mobilité similaire à celle d’un permanent, ni à aucune obligation de non-concurrence et qu’il était d’ailleurs titulaire d’une carte professionnelle de pigiste attestant de cette qualité ; que pour retenir la qualité de journaliste permanent de M. Y..., la cour s’est bornée à considérer qu’elle n’était pas liée par les mentions de la carte de presse et que l’AFP ne pouvait se prévaloir de ce qu’elle n’avait pas imposé au salarié une clause de mobilité et d’interdiction de concurrence pour conclure à l’existence du statut de pigiste dès lors que les conditions d’exercice de son travail sont similaires à celle d’un reporter permanent justifiant l’application de ce statut ; que, cependant, l’existence avérée d’une activité libre de concurrence caractérise le statut de journaliste pigiste, un journaliste permanent ne pouvant l’exercer sans une autorisation explicite de l’employeur ; qu’en se déterminant dès lors comme elle l’a fait, quand le seul constat de l’exercice par M. Y... d’une activité libre de concurrence devait la conduire à conclure qu’il avait bien le statut de journaliste pigiste, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

8° ALORS QUE pour juger que M. Y... avait le statut d’un journaliste permanent, la cour a retenu que, mobile et disponible, il avait postulé par trois fois pour un emploi de journaliste permanent, à Toulouse, Bordeaux et Montpellier, candidatures qui ont été rejetées ; qu’en se déterminant ainsi, quand ces circonstances établissaient au contraire qu’il n’avait pas le statut de journaliste permanent qu’il cherchait lui-même à obtenir, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

9° ALORS QUE le statut de journaliste permanent et le statut de journaliste pigiste sont spécifiquement distincts ; que le simple remplacement provisoire d’un salarié permanent absent, effectué par un salarié pigiste, ne modifie pas le statut de pigiste dès lors que celui-ci échappe aux conditions d’une activité répondant aux exigences de l’activité d’un salarié permanent ; que la circonstance que trois remplacements temporaires aient été effectués dans le cadre de contrats à durée déterminée de journaliste permanent n’a d’incidence que sur l’activité exercée dans ce cadre ; qu’elle ne modifie pas le statut de pigiste du journaliste remplaçant, dont l’activité est par ailleurs habituellement exercée librement, sans lien de subordination ; qu’en décidant dès lors que M. Y... avait le statut de journaliste permanent depuis son embauche parce que l’AFP l’a intégré un temps, comme journaliste permanent, par un contrat à durée déterminée, la cour a violé les articles L. 7112-1 du code du travail et 1134 du code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 13 mai 2016