Abus mise en oeuvre

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 11 mai 2005

N° de pourvoi : 03-43040

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. FINANCE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 25 février 2003), que Mme X..., qui avait été engagée par la société Albert Delalonde le 5 janvier 1994 en qualité de vendeuse-caissière et affectée au magasin Texti de Louviers, a été licenciée le 28 septembre 1999 pour faute grave au motif du non-respect de sa clause contractuelle de mobilité après son refus d’être affectée à Elbeuf ;

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné au paiement de diverses indemnités au titre de la rupture jugée sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

1 / qu’est licite la clause de mobilité prévoyant que le salarié pourra, en cas de nécessité du service, être affecté à un magasin situé dans la même zone géographique que celui dans lequel il a été initialement affecté ; qu’en retenant cependant qu’était illicite la clause stipulant la possibilité pour l’employeur, en fonction des nécessités du service, d’affecter le salarié sur un autre lieu de travail, lors même que le changement de lieu était circonscrit à une même zone géographique, la cour d’appel a violé l’article L. 121-1 du Code du travail, ensemble l’article 1129 du Code civil ;

2 / que le délai de prévenance que l’employeur doit respecter, lorsqu’il met en oeuvre la clause de mobilité, pour permettre au salarié de prendre les dispositions utiles, s’apprécie in concreto en fonction de la distance séparant l’ancien lieu de travail du nouveau ; que dans la mesure où le nouveau lieu de travail de la salariée était situé à seulement 15 kilomètres de l’ancien, l’employeur a pu demander à l’intéressée le vendredi d’aller travailler le lundi suivant au magasin d’Elbeuf, celle-ci disposant alors d’un délai suffisant pour trouver un moyen de transport lui permettant de se rendre sur son nouveau lieu de travail ; qu’en reprochant toutefois à l’employeur de n’avoir respecté aucun délai de prévenance, la cour d’appel a violé l’article L. 121-1 du Code du travail ;

3 / que l’employeur, lorsqu’il procède à un changement des conditions de travail en application d’une clause de mobilité, ne fait qu’exercer son pouvoir de direction ; que l’employeur n’a dès lors pas à justifier les raisons l’ayant conduit à procéder à l’affectation d’un salarié sur un autre lieu de travail, situé dans la même zone géographique ; qu’il appartient en revanche au salarié de prouver que l’employeur a abusé de son pouvoir de direction ; qu’en reprochant à l’employeur de n’avoir fourni aucune explication sur les raisons l’ayant conduit à affecter Mme X... au magasin d’Elbeuf, quand il appartenait à cette dernière de prouver l’existence d’un détournement de pouvoir, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 122-14-2 du Code du travail et 1315 du Code civil ;

4 / que l’employeur faisait expressément valoir dans ses conclusions que l’affectation de la salariée dans le magasin d’Elbeuf était justifiée par la baisse substantielle, depuis plusieurs années, du chiffre d’affaires enregistré par le magasin de Louviers, laquelle imposait une réduction des effectifs, et, surtout, avait pour objet d’éviter le licenciement économique de l’intéressée ; qu’en retenant cependant que l’employeur ne s’était pas expliqué sur les raisons du changement de lieu de travail, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige en violation de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

5 / qu’en tout état de cause, indépendamment de toute clause de mobilité, le changement de lieu de travail qui doit être apprécié de manière objective en fonction de la distance réelle séparant l’ancien et le nouveau lieu de travail ne constitue qu’un simple aménagement des conditions de travail s’il se situe au sein d’un même secteur géographique ; que, sauf circonstances particulières, le refus du salarié constitue une faute grave ; que dans la mesure où le nouveau lieu de travail de Mme X... se situait dans le même lieu géographique que l’ancien, une distance de 15 kilomètres séparant les deux, celle-ci ne pouvait refuser ce simple aménagement de ses conditions de travail sans commettre une faute grave, ou à tout le moins une faute justifiant un licenciement ; qu’en retenant cependant que le licenciement ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d’appel a violé l’article L. 121-1 du Code du travail ;

Mais attendu que, la bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n’ont pas à rechercher si la décision de l’employeur de faire jouer une clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail est conforme à l’intérêt de l’entreprise ; qu’il incombe au salarié de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; que, nonobstant un motif erroné faisant état de la nécessité pour l’employeur d’expliquer les raisons de sa décision et de justifier des nécessités de service invoquées, il ressort d’autres motifs, propres ou adoptés, que les conditions dans lesquelles la clause de mobilité avait été mise en oeuvre procédaient d’une précipitation abusive justifiant le refus de la salariée ; que le moyen ne peut, dès lors, être accueilli dans aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Albert Delalonde aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille cinq.

Décision attaquée : cour d’appel de Rouen (chambre sociale) du 25 février 2003