Effet d’un détachement non conforme

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 9 janvier 2013

N° de pourvoi : 11-11521

Non publié au bulletin

Rejet

M. Blatman (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 1er décembre 2010), que M. X... a été engagé par la société de droit allemand VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG selon contrat à durée indéterminée du 2 mars 2004 à effet au 8 mars suivant en qualité de directeur de succursale ; que les parties ont, le 2 mars 2004, conclu un contrat de détachement à effet au 8 mars suivant, aux termes duquel le salarié était détaché au poste de directeur au sein de la société filiale de droit français Mobilier VS ; que cet accord de détachement a été révoqué le 26 juin 2007 par la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG, qui a licencié M. X... le 29 juin suivant ; que le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir dire la société Mobilier VS comme étant son employeur et la voir condamner à lui payer diverses sommes pour rupture abusive du contrat de travail ;

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes alors, selon le moyen :

1°) qu’ un salarié ne peut être considéré comme détaché par un employeur établi hors de France que s’il travaille habituellement pour le compte de celui-ci, ce qui, sans exiger d’ancienneté minimale, exclut à tout le moins qu’il soit recruté dans la seule perspective d’être détaché en France ; que la cour d’appel a elle-même constaté que la société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG avait embauché et détaché M. X... dans deux contrats distincts, mais datant tous les deux du 2 mars 2004 et prenant tous les deux effet le 8 mars 2004 ; qu’en jugeant malgré tout que M. X... avait été détaché par la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG et qu’il n’était pas salarié de la société Mobilier VS, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’imposaient de ses propres constatations et a violé l’article L.1261-3 du code du travail ;

2°) que s’il n’est pas enfermé dans une durée maximale, le détachement de salariés sur le territoire national par un employeur établi hors de France est en tout cas nécessairement temporaire, à savoir convenu pour une durée limitée ; qu’il n’est pas contesté que M. X... a exclusivement exercé ses fonctions pour la société Mobilier VS en France ; qu’en jugeant malgré tout que M. X... avait été détaché au motif qu’il ne peut se déduire de la durée du détachement la réalité d’un transfert du salarié à la société filiale, la cour d’appel a violé les articles L. 1261-3 et L. 1262-1 et du code du travail ;

3°) que le détachement n’est temporaire que si un terme est fixé (précis ou mission) à l’expiration duquel le salarié détaché reprend son activité au sein de son entreprise d’origine ; que le contrat de détachement de M. X... prévoyait que l’activité à l’étranger pourra être prorogée de

« façon permanente » et aussi qu’après cessation éventuelle de l’activité à l’étranger « le salarié ne pourra aucunement prétendre retravailler pour l’employeur en Allemagne » ; que pour affirmer, malgré tout, que le détachement n’était ni fictif ni frauduleux, la cour d’appel a affirmé que la concomitance entre la date de fin du détachement de M. X... et son licenciement disciplinaire n’était que la conséquence de l’exercice du pouvoir de direction par son employeur allemand ; qu’en statuant ainsi alors qu’il résultait clairement et précisément du contrat de détachement que celui-ci n’était pas temporaire, la cour d’appel a dénaturé les termes de cet accord et violé l’article 1134 du code civil ;

4°) que par voie de conséquence un salarié qui a été détaché sur le territoire national par un employeur établi hors de France, mais en dehors des conditions légales, est soumis intégralement à la loi française, de la conclusion du contrat à sa rupture, peu important qu’il ait alors conclu un contrat de travail avec une entreprise étrangère et que le gérant auquel il rend des comptes est aussi gérant de cette société étrangère ; que si M. X... a conclu un contrat de travail avec la société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG, il n’est pas contesté qu’il a uniquement travaillé sur le territoire national et rendu des comptes à un supérieur qui était gérant à la fois de la société VS Mobilier et de la société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG ; qu’en affirmant, pour débouter M. X... de ses demandes d’indemnité de licenciement, que son lien de subordination à la société VS Mobilier n’était pas prouvé et qu’il n’était pas établi qu’il rendait des comptes à ce gérant en sa qualité de représentant de la société française, la cour d’appel a ajouté à la loi des conditions inopérantes et violé les articles L. 1262-1 et ensemble L. 1221-1 du code du travail ;

Mais attendu que le non-respect, par l’employeur étranger, des règles relatives au détachement, sur le territoire national, d’un de ses salariés, n’a pas pour effet de voir reconnaître la qualité d’employeur à l’entreprise établie sur le territoire national et bénéficiaire dudit détachement ;

Et attendu que le moyen, qui se borne à invoquer la violation des dispositions du code du travail relatives au détachement, sur le territoire national, d’un salarié étranger, pour voir reconnaître, par voie de conséquence, à la société Mobilier VS au sein de laquelle avait été réalisé le détachement, la qualité d’employeur de M. X..., est inopérant ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour M. X...

Le moyen fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR jugé que Monsieur X... avait été valablement détaché par la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG, établie en Allemagne, au profit de sa filiale MOBILIER VS, établie en France, qu’il n’y avait donc pas de contrat de travail entre Monsieur X... et la Société MOBILIER VS et d’avoir, en conséquence, jugé irrecevables les demandes de Monsieur X... d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité de licenciement et de préavis, en particulier, contre la société MOBILIER VS.

AUX MOTIFS propres QUE l’URSSAF de Paris, bien que régulièrement convoquée comme en fait foi l’avis de réception signé le 5 mars 2010 de la convocation par lettre recommandée avec avis de réception n’est ni présente ni représentée ; Attendu qu’en application de l’article 473 du code de procédure civile, l’arrêt à intervenir rendu contre un intimé ayant eu connaissance de la convocation par lettre recommandée avec avis de réception pour avoir apposé sa signature sur l’avis de réception est réputé contradictoire ; Que préliminairement, aucune demande n’étant formulée contre l’URSSAF de Paris par les parties, cet organisme doit être mis hors de cause ; que monsieur X... a été engagé le 2 mars 2004, à effet au 8 mars 2004 par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur d’établissement par la société VS Vereinigte Spezialmôbelfabriken GMBH and co KG laquelle l’a détaché en France pour occuper le poste de directeur au sein de la société filiale Mobilier VS ; que cet accord de détachement a été révoqué le 26 juin 2007 par la société VS Vereinigte Spezialmôbelfabriken GMBH and co KG qui a licencié monsieur X... par lettre du 29 juin 2007 ; qu’une transaction a été conclue entre M. X... et la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG dans le cadre de la procédure diligentée devant la juridiction prud’homale allemande d’Heilbronn le 17 janvier 2008, à laquelle la société VS Mobilier n’a pas été partie ; Qu’aux termes de cet accord, monsieur X... et la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG ont reconnu l’existence d’une relation contractuelle de travail les liant jusqu’au 31 août 2007 et se sont accordées sur « le fait que l’exécution de cette transaction éteint l’ensemble des créances réciproques issues du contrat de travail, à raison de cette cessation et pour la période postérieure, peu importe le fondement juridique, peu importe qu’elles soient connues ou inconnues... » ; qu’il est également mentionné que les « éventuelles créances réciproques du demandeur, (monsieur X...), respectivement de la société VS (MVS) ne sont pas concernées. Le demandeur, respectivement la société MVS pourraient demander leur exécution séparément » ; que M. X... soutient dans le cadre du présent litige avoir été le salarié de la société intimée, du 8 mars 2004 au 26 juin 2007, évoquant un montage frauduleux de détachement pour échapper au système protecteur social français ; que la société Mobilier VS conteste sa qualité d’employeur et celle des juridictions françaises ; qu’en application de l’article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient ; que la juridiction prud’homale de Nanterre saisie par monsieur X... ne peut donc pouvoir connaître du litige opposant les parties autant qu’il soit établi la réalité d’une relation contractuelle de travail liant M. X... à la société VS Mobilier ; que les seuls documents écrits versés aux débats établissent l’existence d’une relation contractuelle de travail entre la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG et monsieur X... ; que la charge de la preuve de l’existence d’un contrat de travail pesant sur celui qui s’en prévaut, il appartient à monsieur X... d’établir qu’il est lié à la société Mobilier VS par un lien de subordination ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ; que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le simple fait que monsieur X... ait fait l’objet d’un détachement par son employeur la société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG, en France au sein de la filiale française, les deux sociétés disposant de leur propre personnalité morale et aucun élément n’étant produit établissant que l’une se substitue à l’autre dans la gestion de leur entreprise, ne saurait suffire à établir qu’il ait pu être salarié de cette dernière ; que le caractère fictif ou frauduleux du détachement n’est nullement établi, la concomitance entre la date de fin au détachement de M. X... et le prononcé d’une mesure de licenciement disciplinaire le concernant ne traduisant que le plein et total exercice du pouvoir de direction par l’employeur allemand ; que de même, il ne peut se déduire de la durée du détachement la réalité d’un transfert du salarié à la société filiale ; que si monsieur X... a exécuté sa prestation de travail sur le territoire français il n’est nullement établi que la société mère ait vu son activité entièrement orientée sur le territoire national au sens de l’article L. 1262-3 du code du travail ; que les bulletins de salaires ont tous été émis par la société allemande qui a personnellement réglé la rémunération qu’elle avait contractuellement définie avec son salarié ; que le fait que la société mère ait pu refacturer à sa filiale le coût financier généré par la prestation de travail accomplie par monsieur X... au profit de la seule société mère est totalement inopérant ; que si l’appelant évoque, sans en justifier, avoir exercé ses fonctions sous le contrôle hiérarchique de M. Y..., il est constant que les sociétés allemande et française ont le même gérant et qu’aucun élément n’est produit aux débats permettant d’établir que M. X... ait été amené à rendre compte à ce gérant en sa qualité de représentant de la société française ; que M. X..., à qui la charge de la preuve incombe, n’établit aucunement être lié par un quelconque lien de subordination avec la société intimée ; que la juridiction prud’homale a justement retenu l’absence de tout lien de subordination entre M. X... et la société VS Mobilier ; que la cour, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les moyens développés à titre subsidiaire par la société intimée relatifs à l’application des dispositions du règlement de Bruxelles l et à l’application de la loi applicable à la rupture des relations contractuelles, ne peut que débouter monsieur X... de ses demandes en paiement contre la société VS Mobilier pour rupture abusive du contrat de travail ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé l’absence de contrat de travail liant les parties, en ses dispositions relatives aux dépens ; que les dépens d’appel resteront à la charge exclusive de M. X... qui succombe en toutes ses demandes et sera débouté de sa demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile ; qu’aucune considération d’équité ne justifie l’application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société VS Mobilier ;

ET AUX MOTIFS en partie adoptés QUE les dernières conclusions de la société Mobilier VS ne dérogent pas au principe du contradictoire ; que le seul contrat de travail liant les parties est le contrat de travail signé entre Monsieur X... et la société VS Gmbh en Allemagne ; que le contrat de détachement a été signé en Allemagne ; que ces contrats précisent explicitement que le droit allemand leur est applicable ; qu’aucun lien de subordination entre la société Mobilier VS et Monsieur X... n’a été démontré par ce dernier ; que le licenciement a été notifié par la société VS Gmbh allemande ; que Monsieur X... a attaqué la société VS Gmbh devant le conseil de prud’hommes de Heilbronn en Allemagne ; qu’un procès-verbal de conciliation a été signé par les parties devant la juridiction allemande ; que cet accord transactionnel n’est pas remis en cause par Monsieur X... ; que selon la réglementation de l’Union Européenne, une décision rendue dans un Etat membre doit être reconnue dans les autres Etats membres : qu’en conséquence, le Conseil dit les demandes de Monsieur X... irrecevables à l’encontre de la société MOBILIER VS SARL.

ALORS, D’UNE PART, QUE un salarié ne peut être considéré comme détaché par un employeur établi hors de France que s’il travaille habituellement pour le compte de celui-ci, ce qui, sans exiger d’ancienneté minimale, exclut à tout le moins qu’il soit recruté dans la seule perspective d’être détaché en France ; que la cour d’appel a elle-même constaté que la Société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG avait embauché et détaché Monsieur X... dans deux contrats distincts, mais datant tous les deux du 2 mars 2004 et prenant tous les deux effet le 8 mars 2004 ; qu’en jugeant malgré tout que Monsieur X... avait été détaché par la société VS Vereinigte Spezialmöbelfabriken GMBH and co KG et qu’il n’était pas salarié de la société MOBILIER VS, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’imposaient de ses propres constatations et a violé l’article L.1261-3 du code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE s’il n’est pas enfermé dans une durée maximale, le détachement de salariés sur le territoire national par un employeur établi hors de France est en tout cas nécessairement temporaire, à savoir convenu pour une durée limitée ; qu’il n’est pas contesté que M. X... a exclusivement exercé ses fonctions pour la Société Mobilier VS en France ; qu’en jugeant malgré tout que Monsieur X... avait été détaché au motif qu’il ne peut se déduire de la durée du détachement la réalité d’un transfert du salarié à la société filiale, la cour d’appel a violé les articles L.1261-3 et L.1262-1 et du code du travail ;

ALORS, DE SURCROÎT, QUE, le détachement n’est temporaire que si un terme est fixé (précis ou mission) à l’expiration duquel le salarié détaché reprend son activité au sein de son entreprise d’origine ; que le contrat de détachement de M X... prévoyait que l’activité à l’étranger pourra être prorogée de « façon permanente » et aussi qu’après cessation éventuelle de l’activité à l’étranger « le salarié ne pourra aucunement prétendre retravailler pour l’employeur en Allemagne » ; que pour affirmer, malgré tout, que le détachement n’était ni fictif, ni frauduleux, la cour d’appel a affirmé que la concomitance entre la date de fin du détachement de M. X... et son licenciement disciplinaire n’était que la conséquence de l’exercice du pouvoir de direction par son employeur allemand ; qu’en statuant ainsi alors qu’il résultait clairement et précisément du contrat de détachement que celui-ci n’était pas temporaire, la cour d’appel a dénaturé les termes de cet accord et violé l’article 1134 du code civil ;

ALORS, ENFIN et par voie de conséquences QUE, un salarié qui a été détaché sur le territoire national par un employeur établi hors de France, mais en dehors des conditions légales, est soumis intégralement à la loi française, de la conclusion du contrat à sa rupture, peu important qu’il ait alors conclu un contrat de travail avec une entreprise étrangère et que le gérant auquel il rend des comptes est aussi gérant de cette société étrangère ; que si Monsieur X... a conclu un contrat de travail avec la Société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG, il n’est pas contesté qu’il a uniquement travaillé sur le territoire national et rendu des comptes à un supérieur qui était gérant à la fois de la société VS MOBILIER et de la Société VS Vereinigte Spezialmobelfabriken GMBH and co KG ; qu’en affirmant, pour débouter Monsieur X... de ses demandes d’indemnité de licenciement, que son lien de subordination à la société VS MOBILIER n’était pas prouvé et qu’il n’était pas établi qu’il rendait des comptes à ce gérant en sa qualité de représentant de la société française, la cour d’appel a ajouté à la loi des conditions inopérantes et violé les articles L. 1262-1 et ensemble L. 1221-1 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 1 décembre 2010