Emploi domestique

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 mai 2006

N° de pourvoi : 05-85368

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mai deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CASTAGNEDE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" X... Mario,

contre l’arrêt de la cour d’appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 8 février 2005, qui, pour obtention de services non rétribués de la part d’une personne vulnérable, soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatible avec la dignité humaine et abus de confiance, l’a condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 5 ans d’interdiction des droits civiques, civils et de famille, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 225-13, 225-14 du code pénal, 427 et suivants du code de procédure pénale, renversement de la charge de la preuve, ensemble violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles 111-2, 111-3, 111-4, 121-1 du code pénal et de l’article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mario X... coupable de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante et de soumission de cette personne à des conditions de travail indignes ;

”aux motifs que “( ) Mme Eglantine X..., initialement employeur de Célestin, est décédée en mars 1998, mais elle avait été hospitalisée l’année précédente et pendant toute la période visée à la prévention, c’est bien son fils Mario X... qui gérait toutes les affaires de sa mère, gouvernait toute la vie de Célestin qui restait hébergé au château, qu’il l’a lui-même licencié et s’est fait délivrer une procuration sur ses comptes ( ) qu’il est donc pleinement responsable du statut et des conditions dans lesquelles Célestin Y... a vécu en 1997 et 1998 jusqu’à son départ ; ( ) que Célestin Y... effectuait divers travaux manuels dans la propriété pendant toute la journée ( ) que, s’il est établi que des charges sociales ont bien été versées pour lui, aucune trace des salaires que le prévenu prétend lui avoir versés en liquide n’a été retrouvée et aucun mouvement de fonds significatif n’a pu être noté sur ses comptes ; qu’en tout état de cause, les avantages en nature dont il bénéficiait ( ) ne peuvent constituer la contrepartie des tâches ainsi accomplies, qualifiées de services, et apparaissent sans rapport avec le travail fourni et l’état de dépendance dans lequel il était maintenu ; qu’il convient de relever que le statut de Célestin Y... n’a pas changé avant et après son licenciement, puisqu’il a continué à accomplir les mêmes tâches ( )” ;

”alors, d’une part, que seul l’employeur de la personne soumise à des conditions de travail jugées contraires à la dignité de cette personne peut être reconnue responsable du délit commis, non celui qui s’est borné à gérer les affaires d’autrui, pour le compte d’autrui ; qu’en l’espèce, Mario X..., n’ayant jamais été l’employeur de Célestin Y..., et s’étant borné à le licencier au décès de sa mère, seul employeur de Célestin Y..., pour le compte de la succession, et à tenter d’obtenir pour lui les aides nécessitées par son état, n’a pu commettre le délit de la prévention ;

qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”alors, d’autre part, qu’il n’appartient pas à Mario X..., qui est la partie poursuivie dans cette affaire, de rapporter la preuve de l’existence d’une “juste rétribution” des travaux effectués par Célestin Y... dans la propriété appartenant à sa mère, mais à la partie poursuivante d’établir l’absence ou l’insuffisance de la rétribution ; qu’ainsi, en retenant que, s’il est établi le versement de charges sociales, aucune trace des salaires versés en liquide n’a été retrouvée, les juges du fond ont renversé la charge de la preuve qui, en procédure pénale, incombe toujours à la partie poursuivante, fût-ce en matière de rémunérations, prétendument inexistantes ou insuffisantes, ce, dans les termes de l’article 225-13 du code pénal ;

”alors, en outre, qu’aucun élément de l’espèce ne permet d’établir que Célestin Y..., qui a toujours déclaré effectuer des tâches de jardinage et d’entretien de la propriété, ait, en quoi que ce soit, travaillé dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine ou accompli des travaux dégradants ; que, en l’état des constatations et énonciations des juges du fond, la soumission de la partie civile à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine n’est, en rien, caractérisée ;

”alors, enfin, que la loi pénale qui fait référence, pour caractériser lesdites infractions, à de vagues notions de rétribution sans rapport avec le travail accompli, de vulnérabilité de la victime, de situation de dépendance, ainsi qu’au concept de “dignité humaine”, a un caractère vague et abstrait qui ne satisfait pas à l’exigence de sécurité juridique et ne permet pas de définir quels actes ou omissions sont de nature à engager la responsabilité pénale ; que la part laissée à l’appréciation des juges n’écarte pas tout risque d’arbitraire ; qu’ainsi, les textes de répression ne sont pas conformes aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme ni à celle des articles 111-2, 111-3 et 111-4 du code pénal, et ne peuvent donc justifier les poursuites et la déclaration de culpabilité” ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 225-14 du code pénal, 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-2, 111-3, 111-4 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mario X... coupable d’avoir soumis Célestin Y..., personne vulnérable ou en situation de dépendance, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ;

”aux motifs que “( ) le logement mis à disposition de Célestin correspond pour l’essentiel à la description faite par Mme Z... et l’absence de sanitaires et d’eau et son inconfort caractérisent bien des conditions d’hébergement indignes” ;

”alors, d’une part, que Célestin Y... ayant été recruté et logé par feu Mme X... mère, et non pas par le prévenu, ce dernier ne saurait être tenu pour responsable d’un état de fait qui s’est perpétué depuis près de trente ans, qui était connu des services sociaux, et qui n’avait pas été imposé à Célestin Y... par Mario X... personnellement, ce dernier s’étant borné à laisser perdurer quelques mois une situation qu’il n’avait pas créée et dont il ne pouvait endosser la responsabilité pour autrui ; qu’en déclarant, ainsi, Mario X... coupable du délit de la prévention, sans constater qu’il avait personnellement soumis la partie civile à des conditions d’hébergement indignes, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale ;

”alors, d’autre part, qu’en tout état de cause, Célestin Y... n’a pas été “soumis” à des conditions d’hébergement contraires à la dignité, à supposer ces conditions établies ; qu’en effet, Célestin Y... a toujours été parfaitement libre de partir, comme il l’a fait d’ailleurs, fin 1998, et de s’installer ailleurs que dans la dépendance “mise à sa disposition”, autrement dit dont il était libre de disposer, ou non ; que l’élément de “soumission” n’est donc pas caractérisé en l’espèce ;

”alors, enfin, que la loi pénale, qui se borne à faire référence à la “soumission” d’une “personne vulnérable” à des conditions d’hébergement “incompatibles avec la dignité humaine”, fait appel à des concepts de par trop vagues et abstraits, comme tels insusceptibles de définir avec suffisamment de précision une infraction pénale, et qui ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni au principe de la légalité criminelle au sens des articles 111-2, 111-3 et 111-4 du code pénal” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que Célestin Y... était employé à des tâches d’entretien dans la propriété d’Eglantine X... ; qu’en 1997, lors de l’hospitalisation de la propriétaire, son fils, Mario X..., s’est installé dans les lieux ; qu’après le décès de sa mère, survenu en mars 1998, il a licencié Célestin Y..., qui a néanmoins continué à fournir ses services et à disposer du même logement dans une dépendance de la propriété ; qu’à la suite de la plainte avec constitution de partie civile portée le 12 décembre 2000 par Célestin Y..., qui avait été placé sous curatelle, Mario X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs, notamment, d’obtention de services non rétribués de la part d’une personne vulnérable ou de soumission de la même personne à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré le prévenu coupable de ces infractions, l’arrêt énonce qu’il a personnellement fixé les conditions d’existence de Célestin Y..., dont il connaissait parfaitement l’état de dépendance ; que les juges retiennent que celui-ci effectuait les travaux les plus divers sur la propriété, sans horaires définis ni journée de repos reconnue, et sans contrepartie en rapport avec le travail fourni ; qu’ils ajoutent que le logement qui lui était réservé était dépourvu d’eau et ne disposait pas de toilettes ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuves contradictoirement débattus, la cour d’appel a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable et a justifié sa décision au regard des articles 225-13 et 225-14 du code pénal dont les termes ne sont pas incompatibles avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 427 et suivants, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, renversement de la charge de la preuve ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d’abus de confiance ;

”aux motifs que, “par des motifs pertinents que la cour adopte ( ), le tribunal a retenu qu’était caractérisé l’abus de confiance par le retrait d’une somme de 10 500 francs opérée du compte de Célestin Y..., le 24 novembre 1998, par Mario X... qui disposait d’une procuration, sans que soit rapportée la preuve que cette somme a été remise à l’intéressé qui le conteste ( )” ;

”alors qu’il appartient à la partie poursuivante de rapporter la preuve du détournement des fonds retirés sur le compte de Célestin Y... par Mario X... qui disposait d’une procuration ; qu’en indiquant, ainsi, qu’il n’était pas rapporté la preuve que cette somme a été remise à l’intéressé, la cour d’appel n’a pu établir le détournement ou la dissipation alléguée, et a renversé la charge de la preuve qui incombe à celui qui se plaint d’un abus de confiance, et non l’inverse” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit d’abus de confiance dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Castagnède conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Nancy, chambre correctionnelle du 8 février 2005