Distribution grande surface

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 23 avril 2003

N° de pourvoi : 02-82971

Publié au bulletin

Cassation

M. Cotte, président

Mme Anzani, conseiller apporteur

Mme Commaret, avocat général

la SCP de Chaisemartin et Courjon., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois avril deux mille trois, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, avocat en la Cour et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" Le PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE CAEN,

contre l’arrêt de ladite cour d’appel, chambre correctionnelle, en date du 10 décembre 2001, qui a relaxé Elizabeth X..., épouse Y..., du chef de soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 225-14, 225-15 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt infirmatif attaqué qu’Elisabeth Y..., directrice d’un magasin à grande surface, a été poursuivie sur le fondement de l’article 225-14 du Code pénal, pour avoir, en abusant de leur situation de dépendance, soumis plusieurs salariés à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ;

Attendu que, pour relaxer la prévenue, les juges, après avoir énoncé que plusieurs salariés s’étaient plaints d’avoir subi de sa part, au cours de leur travail, et notamment en présence de clients, des actes de violence, brimades, injures et autres vexations, retiennent que les plaignants, étant de nationalité française et titulaires d’un contrat de travail, ne sauraient se trouver en situation de dépendance ou de vulnérabilité vis à vis de leur employeur, même si la conjoncture économique rendait leur choix de rompre leur contrat plus difficile et même si certains étaient plus fragiles ; qu’ils ajoutent que les violences physiques et morales, si elles témoignent d’un comportement critiquable à l’égard des salariés, ne caractérisent pas une atteinte à la dignité humaine, mais relèvent plutôt d’un mode paternaliste de gestion non pénalement punissable ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs inopérants s’agissant de la situation de vulnérabilité et de dépendance des victimes, et contradictoires s’agissant de la compatibilité des conditions de travail avec la dignité humaine, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Caen, en date du 10 décembre 2001, et pour qu’il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Caen, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé.

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Chanet, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Desportes, Ponsot, Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication : Bulletin criminel 2003 N° 85 p. 334

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen (chambre correctionnelle), du 10 décembre 2001

Titrages et résumés : ATTEINTE A LA DIGNITE DE LA PERSONNE - Conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne - Conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine - Personne vulnérable ou dépendante - Eléments constitutifs. Ne donne pas de base légale à sa décision, au regard de l’article 225-14 du Code pénal, l’arrêt qui, pour relaxer la prévenue poursuivie pour avoir, en abusant de leur situation de dépendance, soumis plusieurs salariés d’un magasin dont elle était directrice, à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, retient que, ceux-ci étant de nationalité française et titulaires d’un contrat de travail ne sauraient se trouver en situation de dépendance ou de vulnérabilité vis-à-vis de leur employeur.

Prononce par des motifs contradictoires le même arrêt qui, après avoir constaté que la prévenue aurait fait subir à certains salariés des violences, brimades, injures et autres vexations, énonce que ces violences physiques et morales, si elles témoignent d’un comportement critiquable à l’égard de ceux-ci, ne caractérisent pas une atteinte à la dignité humaine mais relèvent plutôt d’un mode paternaliste de gestion (1).

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 2001-12-11, Bulletin criminel 2001, n° 256, p. 846 (cassation partielle).

Textes appliqués :
* Code pénal 225-14