Chèques personnels de l’employeur

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 13 janvier 2016

N° de pourvoi : 14-87980

ECLI:FR:CCASS:2016:CR06170

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Guérin (président), président

SCP Rousseau et Tapie, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" M. Paul X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 29 septembre 2014, qui, pour banqueroute et travail dissimulé, l’a condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 25 novembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Germain, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller GERMAIN, les observations de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LE BAUT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 654-2, L. 626-1, L. 654-3, L. 654-5, L. 654-6, L. 653-8 du code de commerce et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable des faits de banqueroute commis du 31 janvier 2010 au 20 avril 2010 et a confirmé le jugement qui l’avait condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis et à payer une amende de 3 000 euros ;
” aux motifs propres que les deux autres véhicules Renault 7184 WE 59 et Volvo 383 TM 59 apparaissent être toujours la propriété de la société à responsabilité limitée Palver SARL et dans la mesure où M. X...ne les a pas déclarés au liquidateur de la société, il est bien l’auteur d’une banqueroute par détournement d’actif ; que la cour note en effet que le seul fait que M. X...ait indiqué dans son bilan de l’année 2003 que les deux véhicules litigieux hors service n’avaient plus aucune valeur, ne peut lui permettre de conclure à un transfert de propriété ; que la cour note par ailleurs que la simple mention d’une date de vente sur la carte grise d’un véhicule, sans que le transfert de propriété ne soit porté à la connaissance de la préfecture et sans que ne soient produits les actes de cession desdits véhicules ne permet pas de conclure à ce que ce transfert de propriété a bien eu lieu en réalité, et encore moins qu’il a eu lieu aux dates indiquées antérieurement à la date de liquidation judiciaire de la société Palver ; que la cour note également que si ce transfert avait bien eu lieu, M. X...n’avait nul intérêt à demander à son salarié M. David Y...de déplacer les véhicules hors de l’entreprise afin d’éviter que le commissaire-priseur ne répertorie ces véhicules comme faisant partie de l’actif de la société Palver ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les faits de banqueroute par dissimulation de l’actif des camions Renault 7184 WE 59 et Volvo 383 TM 59 reprochés au prévenu, sont établis, sans que ne puisse être opposée la prescription, M. X...reconnaissant lui-même que le délai a commencé à courir à compter du 8 avril 2010 et la cour notant que le délai de prescription de trois ans a été interrompu, notamment, par la citation du 11 décembre 2012 ; que le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité ;
” aux motifs, à les supposer adoptés, qu’aucun élément n’a été produit qui pourrait confirmer les assertions de M. X...concernant les deux autres véhicules de marques Volvo et Renault ; que ces véhicules n’ont pu être repris à l’inventaire de la société lors des opérations de liquidation, ils sont restés en la possession de M. Paul X...qui, en ne les restituant pas, et en dissimulant leur existence au mandataire liquidateur, a commis un détournement d’actif ;
” 1°) alors que le motif dubitatif équivaut à un défaut de motif ; que le délit de banqueroute par détournement d’actif suppose, pour être constitué, l’existence d’une dissipation volontaire par le dirigeant, d’un élément du patrimoine ; que le bien ayant fait l’objet d’une dissipation doit appartenir de manière certaine à la société ; qu’en retenant que les véhicules Renault 7184 WE et Volvo 383 TM « apparaissaient » être toujours propriété de la société Palver, la cour d’appel qui a statué par un motif dubitatif, a violé les textes susvisés ;
” 2°) alors que, à titre subsidiaire, ne constitue pas le délit de banqueroute la dissipation de biens qui sont déclarés hors service et sans valeur dans le bilan de la société, peu important qu’il n’y ait pas eu de transfert de propriété ; qu’en déclarant, néanmoins, M. X...coupable du délit de banqueroute pour avoir dissimulé les deux véhicules Renault et Volvo qui n’avaient pas fait l’objet d’un transfert de propriété, après avoir pourtant constaté que dans son bilan pour l’année 2003 les deux véhicules avaient été déclarés hors service et n’avaient plus de valeur ce dont il résultait que cette dissimulation n’avait pas privé les créanciers de leur gage, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, article 122-7 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable des faits d’exécution d’un travail dissimulé commis du 1er janvier 2008 au 8 mars 2010 à Seclin et a confirmé le jugement qui l’avait condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis et à payer une amende de 3 000 euros ;
” aux motifs que la cour adopte sur ce point la motivation complète et précise des premiers juges, et ajoute que le fait que M. X...ait payé les salaires de M. Y...par des chèques provenant de son propre compte et non par des chèques provenant du compte de la société ne fait nullement disparaître l’intention délictuelle ;
” aux motifs adoptés que M. Y...a été le salarié de M. X..., en particulier entre 2008 et 2010, à cette époque, après son retour d’arrêt maladie, il était officiellement employé à temps partiel, partant, il a affirmé, confirmant ainsi les assertions faites par un témoin à l’ouverture de la procédure, qu’il avait exercé à plein temps, une partie de ses heures étant dissimulées comme non reprises sur ses fiches de paye ; qu’il a précisé qu’il avait été rémunéré en espèces mais également par chèques émis par M. X...sur son compte bancaire personnel ; qu’il résulte de la comparaison des fiches de paye et des chèques ainsi remis qu’une partie des heures travaillées a bien été dissimulée : les bulletins de paie font état d’une rémunération de 581, 50 euros pour les mois de l’année 2009 alors que dans le même temps il a pu percevoir, par chèque, 300 euros le 22 juillet 2009 et à nouveau 300 euros le 31 juillet 2009, 5 100 euros le 2 juillet 2009, il avait perçu 900 euros le 11 avril 2009 et encore 574, 26 euros le 29 avril 2009 ; le 23 mai 2009 un chèque de 200 euros lui avait été remis, un autre de 440 euros le 3 juin 2009 ; qu’en septembre 2009, il avait reçu plusieurs chèques pour 430 euros le 2 septembre, 171 euros le 16 septembre et encore 581 euros le 30 septembre 2009 ; que M. X...a donc bien dissimulé une partie des heures travaillées par M. Y... ;
” alors que l’état de nécessité, quand il est caractérisé, emporte l’absence de responsabilité pénale ; que M. X...invoquait dans ses conclusions d’appel, l’état de nécessité dans lequel il s’était trouvé et qui l’avait conduit à commettre les faits reprochés, c’est-à-dire qu’il avait effectué des chèques provenant de son propre compte afin de payer ses salariés car il était interdit bancaire à la suite de l’émission de chèques sans provision ; qu’en ne s’expliquant pas sur ce fait justificatif de nature à l’exonérer de toute responsabilité pénale, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant matériel qu’intentionnel, les délits de banqueroute et de travail dissimulé dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du code civil, préliminaire, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a condamné M. X...à payer à Maître A..., pris en sa qualité de liquidateur de la société à responsabilité limitée Palver, la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice matériel ;
” aux motifs que, dans la mesure où les véhicules détournés existent toujours, il appartient à Maître A... de les appréhender et de les faire vendre au profit de la procédure de liquidation judiciaire ; qu’il peut seulement solliciter la perte de valeur de ces deux camions depuis la mi-2010 date à laquelle il aurait pu les faire vendre si M. X...n’en avait pas dissimulé l’existence ; qu’en ce qui concerne le véhicule Renault, dont la première immatriculation remonte au 13 janvier 1988, la cour ne peut retenir la valeur avancée de 13 000 euros qui correspond à un véhicule de très bon état général, alors même que de l’aveu même de M. Y...salarié qui a déplacé ce véhicule, le bras à l’arrière du véhicule ne fonctionne plus et que depuis de longues années, ce véhicule n’a plus de valeur ; qu’à l’inverse, la valeur du camion plateau Volvo FL 7 dont la date de première immatriculation remonte au 28 février 1992 toujours utilisé par M. X...dans le cadre de l’activité de sa nouvelle société Aktiv peut être évaluée à 20 000 euros, la moins-value subie depuis quatre années étant retenue pour 8 000 euros, somme à laquelle M. X...sera condamné ;
” alors que les juges du fond statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans la limite des conclusions dont ils sont saisis ; que M. A..., ès qualités, demandait uniquement le remboursement du passif déclaré par les créanciers ; qu’en affirmant qu’il appartenait à M. A..., ès qualités, d’appréhender les véhicules pour les vendre et à M. X...de lui payer la somme de 8 000 euros au titre de la moins-value depuis quatre années, et en accordant ainsi l’indemnisation d’un prétendu chef de préjudice dont la partie civile n’avait pas demandé la réparation, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés “ ;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que la cour d’appel n’a pas accordé à la partie civile une somme supérieure à celle qui avait été demandée à l’audience ;
D’où il suit que le moyen manque en fait ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, des articles L. 654-2, L. 626-1, L. 654-3, L. 654-5, L. 654-6, L. 653-8 du code de commerce et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement qui avait condamné M. X...à payer une amende de 3 000 euros ;
” aux motifs que compte tenu des infractions commises et de l’absence de condamnation de M. X...à son casier judiciaire, la peine d’emprisonnement avec sursis et la peine d’amende prononcées par les premiers juges, résultent d’une juste application de la loi pénale, sauf à diminuer à 1 000 euros la peine d’amende, compte tenu de la situation financière actuelle de M. X... ;
” alors que la contradiction de motifs équivaut à son absence ; qu’en confirmant dans son dispositif, le jugement qui avait condamné M. X...à payer une amende de 3 000 euros et en affirmant dans ses motifs que le montant de l’amende devait être diminué à 1 000 euros, la cour d’appel qui s’est contredite a violé les textes susvisés “ ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que l’arrêt condamne M. X...à huit mois d’emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d’amende ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que dans les motifs de la décision, il est énoncé qu’il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges, sauf à diminuer à 1 000 euros la peine d’amende, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ; qu’elle sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 29 septembre 2014, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l’encontre de M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Douai , du 29 septembre 2014