Caractère intentionnel non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 14 mars 2018

N° de pourvoi : 16-12171

ECLI:FR:CCASS:2018:SO00372

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Carbonnier, SCP Foussard et Froger, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme A... -X... , engagée à compter du 6 juin 2011 en qualité de responsable des ressources humaines par la société Elivia Villers Bocage, aux droits de laquelle vient la société Elivia, a été licenciée par lettre du 9 décembre 2011 ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement et demander le paiement de diverses sommes, notamment au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le second moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article L. 8221-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige ;

Attendu que pour condamner la société au paiement à la salariée d’une somme à titre d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient, après avoir constaté que le relevé de badgeage produit par la salariée, non soumise au pointage, enregistrait les heures d’entrée et de sortie du site, et que l’employeur ne fournissait aucun élément de nature à justifier les horaires effectués, et avoir fait droit à la demande de la salariée en paiement d’heures supplémentaires non rémunérées, qu’il en résulte une parfaite connaissance par l’employeur de la réalité des horaires de la salariée qu’il a cependant dissimulés pour partie ;

Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’intention de l’employeur de dissimuler l’emploi de sa salariée, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Elivia à payer à Mme A... -X... la somme de 21 000 euros au titre du travail dissimulé, l’arrêt rendu le 15 janvier 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rouen ;

Condamne Mme A... -X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Elivia

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L’arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU’IL a condamné la société ELIVIA VILLERS BOCAGE à payer diverses sommes à Madame A... X... au titre des heures supplémentaires non rémunérées outre congés payés, au titre de l’indemnité de travail dissimulé, pour rappel de salaire outre congés payés, ainsi qu’au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE Mme A... expose que le relevé de pointage démontre qu’elle effectuait régulièrement des heures supplémentaires ; qu’elle verse aux débats ce relevé ainsi qu’un tableau d’analyse de ce relevé comptabilisant les heures effectuées chaque jour et les heures supplémentaires par semaine ; que la société Elivia oppose le fait que ce relevé ne serait pas un relevé de pointage car Mme A... ne pointait pas mais un simple relevé de badgeage (enregistrant les heures d’entrée et de sortie du site) que la salariée s’est procurée en usant de ses fonctions de responsable de ressources humaines ; que Mme A... convient qu’elle ne pointait pas mais observe exactement qu’à tout le moins le relevé produit est probant s’agissant des heures d’entrée et de sortie du site ; qu’il sera donc jugé qu’elle étaye sa demande tandis que la société Elivia ne fournit aucun élément de nature à justifier les horaires effectués et les observations qu’elle forme sur le décompte ne suffisent pas à l’invalider ; qu’en effet, le fait que le poste soit éloigné de 400 mètres de l’entrée du site ne saurait conduire à soustraire un temps de déplacement, il n’est pas justifié de pauses autres que les pauses repas ni de ce que la pause repas aurait été supérieure à celle de 1h15 prise en compte par la salariée ; que quant à l’observation suivant laquelle aucune directive n’imposait à la salariée de faire des heures supplémentaires, elle est inopérante alors même que le contrat de travail mentionnait que la rémunération fixée compte tenu des responsabilités confiées resterait indépendante du temps consacré aux fonctions ;

ET AUX MOTIFS QU’il résulte de ce qui précède une parfaite connaissance par l’employeur de la réalité des horaires de sa salariée qu’il a cependant dissimulés pour partie et il sera fait droit à cette demande ;

ALORS QUE, premièrement, la charge de la preuve de l’accomplissement des heures supplémentaires n’incombe à aucune des deux parties ; qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux heures de travail effectivement réalisées pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que Madame A... X... avait suffisamment étayé sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires en retenant un simple relevé de badgeage, enregistrant uniquement les heures d’entrée et de sortie du site, dont elle a constaté que la salariée s’était procurée en usant de ses fonctions de responsable de ressources humaines et qu’il ne pouvait être de nature à prouver l’accomplissement d’un certain nombre d’heures de travail, dans la mesure où il ne prenait pas en considération la durée des pauses, la cour d’appel a fait peser le fardeau de la preuve sur le seul employeur et n’a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail

ALORS QUE, deuxièmement, en s’appuyant sur le motif inopérant selon lequel le contrat de travail mentionnait que la rémunération fixée compte tenu des responsabilités confiées resterait indépendante du temps consacré aux fonctions, clause dépourvue d’effet juridique en l’absence de qualité de cadre dirigeant ou de convention de forfait régulièrement conclue entre les parties, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail, ensemble de l’article 1134 du code civil ;

ALORS QUE, troisièmement, le salarié ne peut prétendre au paiement d’un complément de salaire correspondant à l’accomplissement d’heures supplémentaires que lorsqu’il a accompli en dehors de son horaire contractuel un travail effectif commandé par l’employeur ou exigé par sa charge de travail ; de sorte qu’en accueillant la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies par Madame A... X... sans s’interroger sur le point de savoir si l’intégralité des heures de présence dans les locaux de l’entreprise correspondait à un travail effectif commandé par l’employeur ou imposé par sa charge de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 3171-4 du code du travail

ALORS QUE, quatrièmement, et en toute hypothèse, la dissimulation partielle d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; de sorte qu’en décidant que l’employeur avait dissimulé une partie du travail effectué par Madame A... X... en se bornant à constater que la société ELIVIA avait eu une parfaite connaissance de la réalité des horaires de sa salariée sans rechercher, comme elle y était invitée, si la salariée ne disposait pas d’une grande autonomie dans l’organisation de son emploi du temps exclusive de la connaissance par l’employeur de l’accomplissement éventuel d’heures supplémentaires et, en toute hypothèse, de l’intention de l’employeur de dissimuler des heures de travail dont l’éventuel accomplissement ne résultait ni d’instructions de sa part, ni de la charge de travail de Madame A... X... , la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L’arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU’IL a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la société ELIVIA VILLERS BOCAGE à payer diverses sommes à Madame A... X... à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel et condamné, par ailleurs, la société ELIVIA VILLERS BOCAGE à remettre à Madame A... X... dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 25 euros par document et par jour de retard passé ce délai, ce pendant 4 mois, des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes.

AUX MOTIFS QU’après avoir rappelé la parfaite connaissance de la salariée quant à la nécessité de travailler en étroite collaboration avec M. B..., l’accompagnement dont elle a bénéficié lors de sa prise de poste et les moyens qui lui ont été donnés, la lettre de licenciement reproche à Mme A... X... d’avoir refusé sciemment et volontairement de prendre en compte la dimension groupe de l’entreprise en passant outre les fonctions centrales du groupe et sont ensuite énumérés les faits traduisant ce refus et la liberté prise de ne pas respecter les instructions, faits qu’il convient d’examiner successivement, étant au préalable relevé que suivant les termes de son contrat de travail Mme A... X... , engagée au service ressources humaines comme responsable ressources humaines, était rattachée au directeur d’unité industrielle (de Villers Bocage), une fiche de poste définissant ses missions et pour chacune d’elles les limites de responsabilité, précisant s’il s’agissait d’une pleine responsabilité, d’une co-responsabilité avec le DRH ou d’une délégation ; - Ne pas s’être inspirée des modèles de documents juridiques présents au sein du groupe ; que ce fait est contesté par Mme A... et rien ne l’établit ; - Faire une demande de pose de cloisons dans l’espace commun des ressources humaines sans l’aval de la direction des ressources humaines centrale et sans l’en informer ; que Mme A... expose qu’elle n’a fait que faire effectuer un devis en accord avec la directrice du site et en l’absence du moindre élément de preuve produit par la société Elivia aucun manquement n’est établi ; - Redéfinir directement les modalités du travail avec différentes agences d’intérim sans l’aval de la direction des ressources humaines centrale et sans l’en informer ; que Mme A... fournit de longues explications circonstanciées sur les raisons pour lesquelles elle a été amenée, en raison d’un contrôle et d’une notification de la Carsat, à traiter ce dossier en accord avec le directeur des ressources humaines, explications qui ne sont en rien contredites par la société Elivia qui ne se réfère à aucun élément de nature à établir d’autres circonstances ; - Prendre attache avec le cabinet Rossard, courtier, pour obtenir des renseignements sur les contrats de prévoyance sans l’aval de la direction des ressources humaines centrale et sans l’en informer ; que là encore Mme A... fournit des explications circonstanciées sur les conditions dans lesquelles elle a simplement contacté le cabinet pour être en mesure d’informer un salarié sur les conditions de prise en charge tandis que la société Elivia ne s’explique pas et ne fournit aucun élément, étant encore relevé que la lettre de mission donne pleine responsabilité à la salariée pour assurer les relations avec les partenaires externes tels que la prévoyance ; - Formuler une demande de proposition de la part de l’OPCA 2 pour l’externalisation de la gestion de la formation, sans l’aval de la direction des ressources humaines centrale et sans l’en informer, interférant en outre dans les discussions sur le gestion globale du dossier formation ; que de nouveau, la salariée fournit des explications circonstanciées et factuelles sur les circonstances des contacts pris en matière de formation tandis que la société Elivia ne fournit aucun élément de nature à convaincre d’un quelconque manquement ; - Construire des projets en matière de formation avec des partenaires externes sans informer la direction des ressources humaines centrale ; que la même observation doit être faite s’agissant de l’absence de tout élément de preuve de la part de la société Elivia tandis que la salariée s’explique longuement et de façon circonstanciée sur la façon dont elle a élaboré un plan de formation avec la directrice du site en le présentant à M. B... ; - L’expression en termes véhéments du refus de la dimension groupe en regrettant les contacts du DRH du groupe avec les différents acteurs de la vie sociale ; qu’aucun élément de preuve n’est avancé de ce fait qui n’est pas davantage explicité ; que la lettre de licenciement se poursuit enfin par l’évocation du contenu d’un mail du novembre 2011 et d’une attitude ouverte d’hostilité ; or, par le mail en question, Mme A... s’interrogeait sur un certain nombre de problématiques qu’elle énumérait et sur lesquelles elle demandait au DRH du groupe de lui faire part de sa position, s’interrogeant en outre sur les objectifs poursuivis en exposant qu’elle ne se sentait pas intégrée à la fonction RH en raison de l’absence de réunion et de séances de travail limitées ; qu’il n’en résulte en rien “l’absence de motivation” prétendue ; que quant à l’attitude ouverte d’hostilité, totalement contestée, rien ne l’établit ; que force est en conséquence de constater que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ainsi que l’ont jugé les premiers juges ;

ALORS QUE, premièrement, si les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier, lorsque l’employeur invoque une cause réelle et sérieuse de licenciement, le caractère fautif des faits, ce pouvoir ne les dispense pas de motiver leur décision par des motifs de fait suffisamment précis ; qu’en écartant, en l’espèce, la plupart des griefs reprochés à Madame A... X... dans la lettre de licenciement en se bornant à énoncer, de manière stéréotypée, que celle-ci « fournit de longues explications circonstanciées », « fournit des explications circonstanciées », « fournit des explications circonstanciées et factuelles » et « s’explique longuement et de façon circonstanciée » sur les faits qui lui sont reprochés, sans motiver sa décision par des motifs de fait suffisamment précis pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, deuxièmement, et en toute hypothèse, les juges du fond sont tenus d’examiner l’intégralité des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement ; de sorte qu’en omettant de rechercher si le fait, par Madame A... X... , d’avoir donné aux salariées du service des ressources humaines de la société VILLERS BOCAGE pour instructions de ne plus communiquer aucune information à la direction centrale des ressources humaines, mettant ces salariées en difficulté à l’égard des dirigeants du groupe, était ou non une faute de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen , du 15 janvier 2016