Prêt illicite de salarié insuffisant

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 14 avril 2010

N° de pourvoi : 08-43445

Non publié au bulletin

Cassation

Mme Collomp (président), président

SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen soulevé d’office, après avis donné aux parties :

Vu les articles L. 8221-1 et L. 8223-1 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X..., qui avait été engagé le 2 février 2000 par la société Universel sécurité en qualité de monteur câbleur, et qui a été licencié le 15 juin 2005 pour motif économique, a travaillé pour le compte de la société Syderal, à laquelle la société Universel sécurité facturait ses prestations ; qu’il a fait assigner la société Syderal devant la juridiction prud’homale en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé ;

Attendu que pour condamner la société Syderal à payer à M. X... une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient l’existence d’un prêt illicite de main d’oeuvre entre les deux entreprises ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le prêt illicite de main d’oeuvre n’ouvre pas droit à l’indemnité forfaitaire de l’article L. 8223-1 du code du travail, la cour d’appel, qui n’a pas constaté que les éléments d’un travail dissimulé étaient caractérisés à l’égard de la société Syderal, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les moyens des pourvois principal et incident :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 février 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits, au pourvoi principal, par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

LE POURVOI REPROCHE A L’ARRÊT INFIRMATIF ATTAQUE D’AVOIR limité la condamnation de la société SYDERAL au profit de Monsieur X... à la seule somme de 5 141,20 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE le fait que Monsieur X... n’ait pas intenté une action à l’encontre de la société UNIVERSEL SECURITE du chef de prêt illicite de main d’oeuvre ne lui interdit pas de réclamer à la société SYDERAL une indemnité pour travail dissimulé ; que l’examen de cette demande nécessite de rechercher si le prêt de main d’oeuvre conclut entre ces deux sociétés est licite ; qu’il résulte des éléments du dossier que la société UNIVERSEL SECURITE facturait en 2005 ses prestations à la société SYDERAL sur la base de 36,59 euros bruts par heure de travail de Monsieur X... et que, même en tenant compte des charges patronales, des congés payés, du 13ème mois et des primes de panier, le coût horaire d’une heure de travail de ce dernier, sur la base d’un salaire horaire brut de 10,33 euros en janvier 2005, était au maximum de 20 euros ; que si la société SYDERAL soutient qu’il convient de tenir compte également de la mise à disposition du salarié, d’un téléphone portable, d’un ordinateur portable, de l’outillage et d’un véhicule ainsi que la prise en charge de frais de véhicule et de déplacement, elle ne fournit aucune précision chiffrée concernant l’évaluation de ces postes permettant d’apprécier le coût réel d’une heure de travail de l’intéressé ; qu’il s’ensuite que le prêt de main d’oeuvre de la société UNIVERSEL SECURITE à la société SYDERAL était effectué dans un but lucratif ; qu’aux termes de l’article L 125-3 du Code du travail, le prêt de main d’oeuvre à but lucratif est autorisé s’il est effectué dans un but non exclusif et s’il n’a pas pour effet d’occasionner un préjudice au salarié ou d’éluder une disposition légale ; que la société UNIVERSEL SECURITE ne justifie pas que le prêt de main d’oeuvre à la société SYDERAL s’accompagnait de la fourniture d’une technicité dont ne disposait pas cette dernière et qu’en particulier, il n’est pas démontré que les fonctions de technicien occupé par Monsieur X... nécessitaient une compétence et une formation particulière et ne pouvaient être confiées à un salarié de la société SYDERAL ; qu’au vu de ces éléments, il apparaît que le prêt illicite de main d’oeuvre entre la société UNIVERSEL SECURITE et la société SYDERAL est établi ; qu’en conséquence, Monsieur X... était lié par un contrat de travail à la société SYDERAL et que cette dernière n’ayant effectué aucune des formalités prévues aux articles L 143-3 et L 320 du Code du travail, cela constitue un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié au sens de l’article L 324-10 du même Code ; qu’en application de l’article L 324-11-1 du Code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions de l’article L 324-10 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ; qu’en l’espèce, la relation de travail a été rompue par la société SYDERAL lorsque celle-ci a notifié à la société UNIVERSEL SECURITE, le 29 avril 2005 qu’elle mettait fin à sa « sous-traitance », en raison de la mauvaise qualité alléguée des trois salariés faisant l’objet d’un prêt de main d’oeuvre, dont Monsieur X... ; qu’il convient toutefois, conformément à ce que sollicite subsidiairement la société SYDERAL, de limiter l’indemnité allouée à Monsieur X... à 60 % du montant de son salaire brut dans la mesure où il est établi que l’intéressé ne travaillait pour le compte de la société SYDERAL qu’à concurrence de ce pourcentage ; qu’il convient donc de condamner la société SYDERAL à payer à Monsieur X... la somme de 5 641,20 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

ALORS QU’ en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l’employeur a eu recours en commettant des faits de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, tels que prévus par l’article L 8221-5 du Code du travail (ancien article L 324-10 dudit Code) a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ; qu’ayant constaté qu’était établi le prêt illicite de main d’oeuvre entre la société UNIVERSEL SECURITE et la société SYDERAL, que l’exposant était lié par un contrat de travail à la société SYDERAL et que cette dernière n’avait effectué aucune des formalités prévues aux articles L 143-3 et L 320 du Code du travail (recodifiés aux articles L 3243-2 L 1221-10 du Code du travail) caractérisant ainsi le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, la Cour d’appel qui, néanmoins limite le montant de l’assiette de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, prévue par l’article L 8223-1 du Code du travail, à 60 % du montant du salaire brut du salarié « dans la mesure où il est établi que l’intéressé ne travaillait pour le compte de la société SYDERAL qu’à concurrence de ce pourcentage » a violé les dispositions de l’article L 8223-1 du Code du travail ;

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

LE POURVOI REPROCHE A L’ARRÊT INFIRMATIF ATTAQUE D’AVOIR limité la condamnation de la société SYDERAL au profit de Monsieur X... à la seule somme de 5 141,20 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE le fait que Monsieur X... n’ait pas intenté une action à l’encontre de la société UNIVERSEL SECURITE du chef de prêt illicite de main d’oeuvre ne lui interdit pas de réclamer à la société SYDERAL une indemnité pour travail dissimulé ; que l’examen de cette demande nécessite de rechercher si le prêt de main d’oeuvre conclut entre ces deux sociétés est licite ; qu’il résulte des éléments du dossier que la société UNIVERSEL SECURITE facturait en 2005 ses prestations à la société SYDERAL sur la base de 36,59 euros bruts par heure de travail de Monsieur X... et que, même en tenant compte des charges patronales, des congés payés, du 13ème mois et des primes de panier, le coût horaire d’une heure de travail de ce dernier, sur la base d’un salaire horaire brut de 10,33 euros en janvier 2005, était au maximum de 20 euros ; que si la société SYDERAL soutient qu’il convient de tenir compte également de la mise à disposition du salarié, d’un téléphone portable, d’un ordinateur portable, de l’outillage et d’un véhicule ainsi que la prise en charge de frais de véhicule et de déplacement, elle ne fournit aucune précision chiffrée concernant l’évaluation de ces postes permettant d’apprécier le coût réel d’une heure de travail de l’intéressé ; qu’il s’ensuite que le prêt de main d’oeuvre de la société UNIVERSEL SECURITE à la société SYDERAL était effectué dans un but lucratif ; qu’aux termes de l’article L 125-3 du Code du travail, le prêt de main d’oeuvre à but lucratif est autorisé s’il est effectué dans un but non exclusif et s’il n’a pas pour effet d’occasionner un préjudice au salarié ou d’éluder une disposition légale ; que la société UNIVERSEL SECURITE ne justifie pas que le prêt de main d’oeuvre à la société SYDERAL s’accompagnait de la fourniture d’une technicité dont ne disposait pas cette dernière et qu’en particulier, il n’est pas démontré que les fonctions de technicien occupé par Monsieur X... nécessitaient une compétence et une formation particulière et ne pouvaient être confiées à un salarié de la société SYDERAL ; qu’au vu de ces éléments, il apparaît que le prêt illicite de main d’oeuvre entre la société UNIVERSEL SECURITE et la société SYDERAL est établi ; qu’en conséquence, Monsieur X... était lié par un contrat de travail à la société SYDERAL et que cette dernière n’ayant effectué aucune des formalités prévues aux articles L 143-3 et L 320 du Code du travail, cela constitue un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié au sens de l’article L 324-10 du même Code ; qu’en application de l’article L 324-11-1 du Code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions de l’article L 324-10 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ; qu’en l’espèce, la relation de travail a été rompue par la société SYDERAL lorsque celle-ci a notifié à la société UNIVERSEL SECURITE, le 29 avril 2005 qu’elle mettait fin à sa « sous-traitance », en raison de la mauvaise qualité alléguée des trois salariés faisant l’objet d’un prêt de main d’oeuvre, dont Monsieur X... ; qu’il convient toutefois, conformément à ce que sollicite subsidiairement la société SYDERAL, de limiter l’indemnité allouée à Monsieur X... à 60 % du montant de son salaire brut dans la mesure où il est établi que l’intéressé ne travaillait pour le compte de la société SYDERAL qu’à concurrence de ce pourcentage ; qu’il convient donc de condamner la société SYDERAL à payer à Monsieur X... la somme de 5 641,20 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

ALORS QUE le juge doit indiquer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde, puis les analyser même succinctement ; que pour réduire à 60 % du montant du salaire brut mensuel, l’assiette de l’indemnité allouée au salarié, la Cour d’appel qui se borne à affirmer « qu’il est établi que l’intéressé ne travaillait pour le compte de la société SYDERAL qu’à concurrence de ce pourcentage », sans nullement préciser les éléments de preuve sur lesquels elle s’était fondée pour procéder à cette affirmation, a violé les dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile ;

Moyen produit, au pourvoi incident, par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la société Syderal

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la société SYDERAL à payer à Monsieur X... une somme de 5641,20 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QU’ il résulte des éléments du dossier que la société UNIVERSEL SECURITE facturait en 2005 ses prestations à la société SYDERAL sur la base de 36,59 € brut par heure de travail de Monsieur X..., et que, même en tenant compte des charges patronales, des congés payés, du treizième mois et des primes de panier, le coût horaire d’une heure de travail de ce dernier, sur la base d’un salaire horaire brut de 10,33 € en janvier 2005, était au maximum de 20 € ; que si la société SYDERAL soutient qu’il convient de tenir compte également de la mise à disposition du salarié d’un téléphone portable, d’un ordinateur portable, de l’outillage et d’un véhicule ainsi que de la prise en charge de frais de véhicules et de déplacements, elle ne fournit aucune précision chiffrée concernant l’évaluation de ces postes permettant d’apprécier le coût réel d’une heure de travail de l’intéressé ; qu’il s’ensuit que le prêt de main d’oeuvre de la société UNIVERSEL SECURITE à la société SYDERAL était effectué dans un but lucratif ;… ; que la société UNIVERSEL SECURITE ne justifie pas que le prêt de main d’oeuvre à la société SYDERAL s’accompagnait de la fourniture d’une technicité dont ne disposait pas cette dernière et qu’en particulier, il n’est pas démontré que les fonctions de technicien occupées par Monsieur X... nécessitaient une compétence et une formation particulière et ne pouvaient être confiées à un salarié de la société SYDERAL ; qu’au vu de ces éléments, il apparaît que le prêt illicite de main d’oeuvre entre la société UNIVERSEL SECURITE et la société SYDERAL est établi ; qu’en conséquence, Monsieur X... était lié par un contrat de travail à la société SYDERAL et que cette dernière n’ayant effectué aucune des formalités prévues aux articles L.143-3 et L.320 du Code du travail, cela constitue un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié au sens de l’article L.324-10 du même code ; qu’en application de l’article L.324-11-1 du Code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions des dispositions de l’article L.324-10 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ; que la relation de travail a été rompue par la société SYDERAL lorsque celle-ci a notifié à la société UNIVERSEL SECURITE, le 29 avril 2005, qu’elle mettait fin à sa « sous-traitance », en raison de la mauvaise qualité alléguée des trois salariés faisant l’objet d’un prêt de main d’oeuvre, dont Monsieur X... ; qu’il convient toutefois, conformément à ce que sollicite subsidiairement la société SYDERAL, de limiter l’indemnité allouée à Monsieur X... à 60 % du montant de son salaire brut dans la mesure où il est établi que l’intéressé ne travaillait pour le compte de la société SYDERAL qu’à concurrence de ce pourcentage ;

ALORS D’UNE PART QUE l’allocation de l’indemnité forfaitaire de six mois prévue par l’article L.8223-1 du Code du travail en cas de travail dissimulé implique de la part de celui qui en réclame le paiement d’établir l’existence d’un contrat de travail à l’égard de l’entreprise au sein de laquelle il a travaillé ; qu’en faisant droit à la demande de Monsieur X... en paiement de cette indemnité au motif inopérant qu’aurait existé un prêt illicite de main d’oeuvre entre la société UNIVERSEL SECURITE et la société SYDERAL, sans caractériser l’existence d’un lien de subordination, la Cour d’appel a violé les articles L.8221-1 et L.8223-1 du Code du travail ;

ALORS D’AUTRE PART QUE l’allocation de l’indemnité forfaitaire de six mois prévue par l’article L.8223-1 du Code du travail en cas de travail dissimulé implique une intention délibérée de l’employeur de dissimuler l’activité du salarié ; qu’en condamnant la société SYDERAL à verser à Monsieur X... une telle indemnité sans relever la moindre intention de la société SYDERAL de se soustraire à l’accomplissement des formalités de l’article L.1221-10 et de l’article L.3213-2 du Code du travail, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.8221-1 et L.8223-1 du Code du travail ;

ALORS en tout état de cause qu’ en ne constatant pas l’existence d’un lien de subordination entre la société SYDERAL et Monsieur X... mis à sa disposition dans le cadre d’un contrat de sous-traitance avec la société UNIVERSEL SECURITE, la Cour d’appel n’a pas caractérisé un prêt de main d’oeuvre illicite et partant, a violé les articles L.8223-1 et L.8241-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 6 février 2008