Recours à un contrat inapproprié insuffisant

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 1 avril 2015

N° de pourvoi : 14-12249 14-12250 14-12251 14-12252 14-12253 14-12255 14-12256 14-12257 14-12258

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00603

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu leur connexité joint les pourvois n° D 14-12. 249 à G 14-12. 253 et K 14-12. 255 à P 14-12. 258 ;
Sur le moyen unique, commun aux pourvois :
Vu l’article L. 8221-5 dans sa rédaction antérieure à la loi du 16 juin 2011 et l’article L. 8223-1 du code du travail ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. X..., Y..., Z..., A..., B..., F..., Mmes C..., D... et E... ont signé un contrat dénommé Règlement de participants avec la société Glem devenue TF1 production aux fins de participer à une émission de téléréalité, L’île de la Tentation saison 7 année 2008 ; que le tournage a duré de cinq à douze jours selon les contractants pour lequel ils ont perçu chacun une somme forfaitaire ; qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale pour faire reconnaître leur qualité de salarié et obtenir diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail ;
Attendu que pour condamner la société TF1 production au paiement d’une indemnité forfaitaire de six mois de salaire pour travail dissimulé à chacun des salariés, les arrêts retiennent que si pendant plusieurs années la société a pu se méprendre sur la nature exacte des contrats qu’elle passait avec les candidats, en revanche, sur l’année 2008, des décisions avaient été déjà rendues reconnaissant l’existence d’un contrat de travail et les modifications que la société a cherché à apporter au contrat, sans que le contenu de l’émission soit modifié de manière substantielle, démontrent qu’elle avait conscience des difficultés que posait l’application de ces conventions et dès lors il sera retenu que le caractère intentionnel de la non reconnaissance du contrat de travail est établi ainsi que l’existence du travail dissimulé ;
Qu’en statuant ainsi alors que le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule conscience des difficultés tenant au choix d’un contrat inapproprié, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils condamnent la société TF1 production à payer une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé aux salariés, les arrêts rendus le 11 décembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société TF1 production ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier avril deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen commun produit aux pourvois par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société TF1 production.
Il est fait grief aux arrêts attaqués d’AVOIR condamné la Société TF1 PRODUCTION à verser une indemnité à titre de travail dissimulé aux participants à l’émission ;
AUX MOTIFS QUE « la dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L. 8221-5 du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur s’est, de manière intentionnelle, soustrait à l’accomplissement des formalités prévues par l’article L. 1221-10 du même code relatif à la déclaration préalable d’embauche ou par l’article L. 3243-2 relatif à la délivrance d’un bulletin de paie. Le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié. En l’espèce, si pendant plusieurs années, TF1 a pu se méprendre sur la nature exacte des contrats qu’elle passait avec les candidats, en revanche, sur l’année 2008, des décisions avaient déjà été rendues reconnaissant l’existence d’un contrat de travail et les modifications que la société TF1 a cherché à apporter au contrat, sans que le contenu de l’émission soit modifié de manière substantielle, démontrent que la société TF1 avait conscience des difficultés que posait l’application de ces conventions et dès lors, il sera retenu que le caractère intentionnel de la non reconnaissance du contrat de travail est établi et dès lors l’existence du travail dissimulé est établie et dés lors l’existence du travail dissimulé est caractérisée » ;
ALORS, D’UNE PART, QU’en vertu de l’article L. 8221-5 du code du travail, le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisé que lorsque l’employeur s’est soustrait à l’accomplissement des formalités prévues aux articles L. 1221-10 et L. 3243-2 du code du travail de manière intentionnelle ; que le fait de recourir de manière erronée à une qualification autre que celle de contrat de travail ne saurait caractériser, à lui seul, l’existence d’un travail dissimulé ; qu’il incombe donc aux juges du fond de motiver leur décision par des éléments de fait susceptibles de caractériser une intention frauduleuse de l’employeur ; que pour retenir la dissimulation d’emploi salarié, la cour d’appel s’est bornée en l’espèce à relever, d’une part, que lors de la conclusion en 2008 du contrat des participants à l’émission de télé-réalité des décisions avaient déjà été rendues reconnaissant l’existence d’un contrat de travail et, d’autre part, que la société avait modifié ledit contrat sans que le contenu de l’émission ne soit modifié de manière substantielle ; qu’en se fondant sur tels éléments impropres à caractériser l’intention de dissimulation de la Société TF1 PRODUCTION, et en déduisant l’existence d’une dissimulation du seul constat d’une erreur de qualification commise par la société, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8223-1 et L. 8223-2 du code du travail ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE le caractère intentionnel de la faute constitutive du travail dissimulé ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié ; que ce caractère intentionnel ne peut derechef se déduire de la conscience par l’employeur de l’existence de difficultés quant à la qualification juridique à donner au contrat ; que cette circonstance exclut bien au contraire toute intention de dissimulation de sa part puisque son erreur de qualification trouve alors précisément sa cause, non dans une intention frauduleuse, mais dans ces difficultés ayant pu fausser son appréciation quant au régime applicable ; qu’en l’espèce l’intense débat doctrinal soulevé par la question de la qualification juridique des contrats des participants à l’émission de télé-réalité et l’existence de décisions de justice ayant rendu des solutions contraires sur ce point traduisaient l’existence de fortes incertitudes et de difficultés très sérieuses sur la question justifiant que la Société TF1 PRODUCTION ait pu considérer à l’époque sans intention de fraude que les conventions conclues avec les participants ne constituaient pas des contrats de travail ; qu’en déduisant au contraire la dissimulation intentionnelle d’activité du constat selon lequel « la société TF1 avait conscience des difficultés que posait l’application de ces conventions », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8223-1 et L. 8223-2 du code du travail ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QU’en se fondant, pour déduire la dissimulation intentionnelle d’activité, sur le fait que « sur l’année 2008, des décisions avaient déjà été rendues reconnaissant l’existence d’un contrat de travail » cependant que la Chambre sociale de la Cour de cassation, seule à même de fixer la jurisprudence applicable, n’a tranché la question de la qualification juridique du contrat des participants à l’émission que par un premier arrêt de principe en date du 3 juin 2009 (Bull. civ. V. n° 141) ultérieur à la conclusions des contrats des quatre intéressés, en sorte qu’aucune intention de la Société TF1 PRODUCTION d’éluder le régime applicable ne pouvait se déduire de cette circonstance, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8223-1 et L. 8223-2 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 17 décembre 2013