Employeur par interposition - marchandage

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 20 mai 1992

N° de pourvoi : 91-85848

Publié au bulletin

Rejet

Président :M. Diémer, conseiller le plus ancien faisant fonction, président

Rapporteur :M. Fabre, conseiller apporteur

Avocat général :M. Amiel, avocat général

Avocat :la SCP Boré et Xavier, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :
"-" X... Rolande,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, 7e chambre correctionnelle, en date du 17 septembre 1990 qui, pour aide à séjour irrégulier en France d’étrangers et emploi d’étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France, l’a condamnée à la peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 3 000 francs d’amende.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 341-6 et L. 364-2-1 du Code du travail :
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Rolande X... coupable du délit d’embauche de salarié non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ;
” aux motifs que Mohamed Y... fournissait, sur le chantier de la Société des constructions et travaux publics (SCTP) dont Rolande X... est la gérante, des ouvriers sur les demandes du conducteur de travaux de cette société, M. Z..., qui reconnaît qu’il embauchait et licenciait par l’intermédiaire de Y... les ouvriers amenés par celui-ci ; qu’il logeait ses ouvriers dans les baraques louées à cette fin et qu’il avait un certain temps contrôlé la régularité de la situation des ouvriers puis avait cessé de le faire ; que les consorts Y... ont reconnu l’embauche d’ouvriers étrangers en situation irrégulière ; qu’il est ainsi établi que le personnel présenté comme celui d’une entreprise sous-traitante était en réalité mis à la disposition de l’entreprise principale dont le conducteur de travaux organisait et surveillait le travail ; que le marché de travaux entre SCTP et Y... ne comporte aucun métré et aucune référence à un plan ou toute autre pièce permettant de dire que les sommes dues par l’entrepreneur principal à tel ou tel stade des travaux alors que des factures pour acomptes sont prévues et ont été établies pour des situations mensuelles ; que l’imprécision des pièces démontre, outre les déclarations du chef de chantier, le caractère fictif du contrat de sous-traitance (arrêt attaqué pp. 4 et 5) ;
” 1°) alors que le fait d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France est une infraction intentionnelle qui requiert, pour être constituée, la connaissance par l’employeur de la qualité d’étranger du salarié ; que la cour d’appel s’est bornée à relever que le contrat liant la SCTP à l’entreprise Y... serait un contrat de prêt de main-d’oeuvre et non un contrat de sous-traitance sans rechercher si Rolande X... avait connaissance de la qualité d’étranger des salariés embauchés par Y... ; qu’elle n’a dès lors pas légalement justifié sa décision ;
” 2°) alors que seul l’employeur qui engage, conserve à son service ou emploie pour quelque durée que ce soit un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée est punissable ; qu’il n’est pas contesté que les ouvriers en situation irrégulière avaient été embauchés par Y... dont ils étaient les salariés ; que Y... a, pour cette raison, été déclaré coupable du délit d’emploi d’étranger en situation irrégulière ; que la cour d’appel ne pouvait pas tout à la fois déclarer coupable l’employeur des salariés étrangers et la gérante de la SCTP utilisatrice de main-d’oeuvre sans violer les textes susvisés ;
” 3°) alors que Rolande X... avait soutenu dans ses conclusions d’appel que le conducteur de chantier de la SCTP n’exerçait pas sur les ouvriers les pouvoirs de direction appartenant à l’employeur ; qu’il se bornait à contrôler a posteriori la qualité des travaux exécutés par son sous-traitant, l’entreprise Y..., conformément à la mission d’entreprise pilote de la SCTP ; qu’en omettant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Rolande X... coupable du délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger ;
” aux motifs adoptés que les ouvriers non munis de titre de séjour étaient hébergés dans les baraques ALGECO louée par la SCTP qui refacturait à l’entreprise Y... le prix des locations (jugement entrepris p. 3, alinéa 13) ;
” 1°) alors que le délit d’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière n’est constitué que si son auteur avait connaissance de la qualité d’étranger des personnes concernées et du caractère irrégulier de leur séjour en France ; que l’arrêt attaqué qui ne comporte aucune constatation à cet égard n’est dès lors pas légalement justifié ;
” 2°) alors que Rolande X... avait précisément fait valoir dans ses conclusions d’appel qu’elle ignorait que certains ouvriers de Y... étaient en situation irrégulière ; qu’en omettant de répondre à ce chef des conclusions révélant que l’élément intentionnel de l’infraction n’était pas caractérisé, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour retenir la culpabilité de Rolande X..., gérante de la SCTP du chef des deux délits rappelés aux moyens, l’arrêt confirmatif attaqué relève que les sept étrangers en situation irrégulière employés sur les chantiers de ladite société et hébergés par elle avaient été mis à disposition par l’entreprise des consorts Y... père et fils, également poursuivis, que le contrat de sous-traitance liant cette entreprise à la SCTP n’était qu’une convention fictive se réduisant à une fourniture de main-d’oeuvre et s’exécutant sur les ordres effectifs de Z..., conducteur de travaux de la société, qui embauchait et licenciait ce personnel par l’intermédiaire des consorts Y..., que Z... qui le reconnaissait, avait dans un premier temps contrôlé la situation administrative des ouvriers étrangers ainsi recrutés puis avait cessé de le faire ;
Qu’en l’état de ces éléments qui faisaient apparaître que Rolande X..., dirigeant de droit de la SCTP, avait, en parfaite connaissance et par interposition des consorts Y..., participé à une entreprise d’emploi illicite de travailleurs étrangers dont elle avait aussi facilité-fût-ce par une aide indirecte-le séjour irrégulier en France, la cour d’appel a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que les moyens ne sauraient dès lors être accueillis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin criminel 1992 N° 198 p. 546

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre correctionnelle), du 17 septembre 1990

Titrages et résumés : 1° ETRANGER - Entrée et séjour - Aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’étrangers en France - Convention de sous-traitance fictive - Logement par l’entrepreneur principal

1° Se rend coupable, par aide indirecte, du délit prévu et réprimé par l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 l’entrepreneur principal qui héberge et emploie des ouvriers étrangers en situation irrégulière liés en apparence à une entreprise sous-traitante dont le rôle se borne à la fourniture illicite de main-d’oeuvre étrangère

2° ETRANGER - Travailleur étranger - Emploi par personne interposée d’un étranger en situation irrégulière - Sous-traitant interposé - Convention de sous-traitance fictive

2° Se rend coupable du délit d’emploi, par personne interposée, de travailleurs étrangers en situation irrégulière, l’entrepreneur principal qui recourt aux services d’un sous-traitant fictif pour se procurer la main-d’oeuvre qu’il emploie en parfaite connaissance de sa situation

2° TRAVAIL - Travailleur étranger - Etranger en situation irrégulière - Emploi par personne interposée - Sous-traitant interposé - Convention de sous-traitance fictive

Textes appliqués :
* Code du travail L341-6, L364-2-1
* Ordonnance 45-2658 1945-11-02 art. 21