CJUE Jagerskiold - pas de prestation de services si pas d’extranéité (par.44 et 45)

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 21 octobre 1999. - Peter Jägerskiöld contre Torolf Gustafsson. - Demande de décision préjudicielle : Pargas tingsrätt - Finlande. - Libre circulation des marchandises - Notion de "marchandises" - Droit de pêcher au lancer - Libre prestation des services. - Affaire C-97/98.

1 Libre circulation des marchandises - Dispositions du traité - Champ d’application - Droit de pêcher ou autorisation de pêcher au lancer - Exclusion - Application des dispositions relatives à la libre prestation des services

(Traité CE, art. 9 et suiv. (devenus, après modification, art. 23 CE et suiv.) et art. 59 et suiv. (devenus, après modification, art. 49 CE et suiv.))

2 Libre prestation des services - Dispositions du traité - Inapplicabilité dans une situation purement interne à un État membre

(Traité CE, art. 59 et suiv. (devenus, après modification, art. 49 CE et suiv.))

Sommaire

1 Le droit de pêcher ou l’autorisation de pêcher au lancer ne constituent pas des « marchandises » au sens des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, mais relèvent d’une activité de « services » au sens des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services.

En effet, l’activité qui consiste à mettre à la disposition de tiers, contre rémunération et sous certaines conditions, un plan d’eau pour y pratiquer la pêche constitue une prestation de services qui, si elle présente un caractère transfrontalier, relève des articles 59 et suivants du traité (devenus, après modification, articles 49 CE et suivants). Le fait que ce droit ou cette autorisation de pêcher sont constatés par des documents qui, comme tels, peuvent faire l’objet d’échanges ne suffit pas pour les faire entrer dans le champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

2 Les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre et qui, de ce fait, ne présente aucun élément de rattachement à l’une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre prestation des services.

Parties

Dans l’affaire C-97/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Pargas tingsrätt (Finlande) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Peter Jägerskiöld

et

Torolf Gustafsson,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation des règles du traité CE en matière de libre circulation des marchandises et des services,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. R. Schintgen (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, G. Hirsch et H. Ragnemalm, juges,

avocat général : M. N. Fennelly,

greffier : M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées :

 pour M. Jägerskiöld, par Me R. Kurki-Suonio, avocat à Helsinki,

 pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch, ambassadeur, chef du service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme T. Pynnä, conseiller juridique au même ministère, en qualité d’agents,

 pour la Commission des Communautés européennes, par M. A. Rosas, conseiller juridique principal, et Mme L. Ström, membre du service juridique, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de M. Jägerskiöld, représenté par Me R. Kurki-Suonio et M. M. Wallgren, maître en droit, de M. Gustafsson, représenté par M. B. Zetter, vicehäradshövding, du gouvernement finlandais, représenté par M. H. Rotkirch, et de la Commission, représentée par M. A. Rosas, à l’audience du 28 avril 1999,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt

1 Par ordonnance du 25 mars 1998, parvenue à la Cour le 6 avril suivant, le Pargas tingsrätt (tribunal de première instance de Pargas) a posé, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), sept questions préjudicielles relatives à l’interprétation des règles du même traité en matière de libre circulation des marchandises et des services.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant M. Jägerskiöld, propriétaire d’un plan d’eau situé dans la commune de Kimito en Finlande, à M. Gustafsson, ressortissant finlandais, au sujet du droit de ce dernier de pêcher au lancer dans le plan d’eau appartenant à M. Jägerskiöld, sans l’autorisation de celui-ci, mais moyennant le paiement d’une redevance à l’État finlandais.

Le cadre juridique national

3 En Finlande, la lagen om fiske du 16 avril 1982 (ci-après la « loi sur la pêche ») prévoit, en son article 5 :

« Le droit d’exercer l’activité de pêche et de prendre les décisions qui s’y rapportent appartient au propriétaire du plan d’eau, sauf si ce droit a été cédé à une autre personne ou si une règle de la présente loi en dispose autrement... »

4 L’article 8, paragraphe 1, de la loi sur la pêche, tel que modifié par la loi n_ 1045 du 12 décembre 1996 (ci-après la « loi n_ 1045/96 »), dispose :

« Outre ce que les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, prévoient au regard de la pêche dans les plans d’eau publics, toute personne a le droit de pêcher à la ligne et au palan, ainsi que de pêcher au moyen d’un outillage manuel comprenant une canne, un moulinet et un hameçon, et de pêcher au chalut avec, en outre, une palangre ou une drague, même sur d’autres plans d’eau, à l’exception des rapides et des courants contenant des bancs de saumons ou de lavarets, ainsi que des plans d’eau où la pêche est interdite au titre d’une autre disposition. Les tournois de pêche à la ligne ou au palan ainsi qu’au moyen d’un outillage manuel ou toute autre organisation équivalente sont également soumis à l’autorisation du titulaire des droits de pêche. »

5 Il ressort de l’ordonnance de renvoi que la modification apportée à cette disposition par la loi n_ 1045/96 visait à reconnaître un droit général de pêcher au lancer, sans l’autorisation du titulaire des droits de pêche, même sur des plans d’eau privés, contre paiement d’une redevance fixée à l’article 88 de la loi sur la pêche et payable à l’État. La loi sur la pêche n’interdit toutefois pas aux propriétaires des plans d’eau de céder eux-mêmes, à des prix qu’ils sont libres de fixer, le droit de pêcher au lancer dans leurs plans d’eau.

6 Conformément à l’article 88, paragraphe 2, de la loi sur la pêche, tel que modifié par la loi n_ 1045/96, toute personne pêchant au moyen d’un outillage manuel, au sens de l’article 8, paragraphe 1, doit acquitter une redevance dans chaque département dans lequel elle pratique ce type de pêche. La redevance s’élève à la somme de 150 FIM par an ou à celle de 35 FIM pour une période de sept jours. Aucune redevance n’est toutefois exigée des personnes âgées de moins de 18 ans ou de plus de 65 ans ni pour la pêche pratiquée au moyen d’un outillage manuel dans un plan d’eau public.

7 Selon l’article 89a de la loi sur la pêche, tel que modifié par la loi n_ 1045/96, le produit de la redevance est réparti annuellement entre les propriétaires des plans d’eau, après déduction des coûts supportés par l’État pour sa perception et sa redistribution. La répartition est faite en fonction de la charge que la pêche en question représente pour chaque plan d’eau.

8 Il ressort des travaux parlementaires préparatoires, et notamment du rapport établi par la commission des affaires agricoles et forestières, que le motif central de la modification apportée à la loi sur la pêche par la loi n_ 1045/96 était l’intérêt récréatif des pêcheurs amateurs. Selon ce rapport, la modification de la loi sur la pêche visait également à assurer une plus grande utilisation des ressources en poissons et de promouvoir le tourisme lié à la pêche.

Le litige au principal

9 Le 29 mai 1997, M. Gustafsson a pêché au lancer dans le plan d’eau appartenant à M. Jägerskiöld, situé dans la commune de Kimito en Finlande. Deux jours plus tôt, le 27 mai 1997, il s’était acquitté de la redevance sur la pêche au lancer prévue à l’article 88 de la loi sur la pêche, ce qui, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la même loi, l’autorisait à pratiquer ce type de pêche même sur un plan d’eau privé.

10 M. Jägerskiöld a saisi la juridiction de renvoi d’un recours visant à faire constater que M. Gustafsson ne peut, sans son autorisation, pêcher au lancer sur les plans d’eau lui appartenant, nonobstant le fait qu’il a payé la redevance sur la pêche au lancer prévue par la loi sur la pêche. À l’appui de son recours, M. Jägerskiöld a soutenu que la modification apportée à la loi sur la pêche par la loi n_ 1045/96, sur laquelle se fonde le droit de pêcher au lancer, est contraire aux règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises ou, subsidiairement, à celles du traité relatives à la libre prestation des services.

11 Afin d’étayer cette thèse, M. Jägerskiöld a fait valoir un certain nombre d’arguments que le tingsrätt, dans son ordonnance de renvoi, a commentés de la façon suivante.

12 En premier lieu, le tingsrätt constate que l’article 222 du traité CE (devenu article 295 CE), qui dispose que « Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres », ne s’oppose pas à l’application de ce dernier, dans la mesure où il résulterait expressément des travaux préparatoires que la modification apportée à la loi sur la pêche par la loi n_ 1045/96 ne modifie pas le régime de la propriété en vigueur en Finlande. Il ajoute que, dans la mesure où, selon le rapport établi par la commission des affaires agricoles et forestières, cette modification ne constituerait qu’une nouvelle manière de canaliser les revenus engendrés par le droit de propriété, elle a trait à la distribution et à la fixation des prix de biens, matière qui ferait généralement l’objet d’une appréciation prenant en compte les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises.

13 En second lieu, le tingsrätt relève que, ainsi qu’il ressortirait de l’article 5 de la loi sur la pêche, le droit de pêcher, dont celui de pêcher au lancer, peut faire l’objet d’une cession à titre autonome, de sorte que ce droit devrait normalement satisfaire à la définition que la Cour a donnée de la notion de « marchandises » dans l’arrêt du 10 décembre 1968, Commission/Italie (7/68, Rec. p. 617). Il fait toutefois observer que le droit de pêcher ainsi que les droits qui en découlent constituent une institution juridique spécifique sur laquelle la Cour ne se serait pas encore prononcée.

14 Au cas où il s’agirait d’une marchandise au sens du traité, le tingsrätt fait valoir, en troisième lieu, que le fait que le droit de pêcher au lancer ne peut être exercé qu’en Finlande ne semble pas exclure l’application de l’arrêt de la Cour du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837). À cet égard, il estime que la situation ne diffère pas de celle des droits de propriété intellectuelle, dont la portée serait également limitée aux frontières nationales et qui régiraient la situation à l’intérieur des frontières de l’État membre concerné. Dans le cadre d’une telle analogie, le droit de pêcher au lancer pourrait être assimilé à une licence.

15 Le tingsrätt indique, en quatrième lieu, que, au cas où la modification apportée à la loi sur la pêche par la loi n_ 1045/96 devait être analysée comme constituant une entrave à la libre circulation des marchandises, il conviendrait d’examiner si l’intérêt récréatif des pêcheurs amateurs est susceptible de la justifier. À cet égard, il relève, d’une part, que, au moyen de cette modification et de l’introduction d’une redevance à payer à l’État permettant de pêcher au lancer dans l’intégralité d’un département, le législateur finlandais souhaitait pallier le fait que l’information relative aux délivrances d’autorisations de pêcher au lancer était insuffisante dans certaines régions, en sorte que seule la population locale en aurait eu connaissance. D’autre part, le morcellement de la propriété des plans d’eau dans certaines parties du pays serait tel que plusieurs autorisations de pêcher au lancer auraient été nécessaires pour pouvoir pêcher sur de plus grands territoires.

16 Le tingsrätt estime, en cinquième lieu, que, même si la modification législative n’a institué aucun monopole, dans la mesure où les propriétaires des plans d’eau continueraient à posséder le droit théorique d’autoriser la pêche au lancer au prix qu’ils fixent librement, la république de Finlande posséderait manifestement un monopole sur la distribution et la fixation des prix des autorisations de pêcher au lancer. Ladite modification visant notamment à améliorer l’utilisation des ressources poissonnières et le poisson constituant, en vertu de l’article 38 du traité CE (devenu, après modification, article 32 CE), un produit agricole, il y aurait dès lors lieu d’examiner si, ainsi que l’aurait exigé l’article 37, paragraphe 4, du traité CE (devenu, après modification, article 31, paragraphe 3, CE), les intérêts des propriétaires des plans d’eau qui, pour beaucoup, seraient des agriculteurs ont été suffisamment pris en considération lors de son adoption.

17 Concernant l’application des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, préconisée par le demandeur au principal à titre subsidiaire, pour le cas où les dispositions relatives aux marchandises ne seraient pas applicables, le tingsrätt se borne à indiquer qu’il n’a pas connaissance d’arrêts de la Cour rendus à cet égard.

18 Dans ces conditions, et bien que constatant que M. Gustafsson ne s’était pas prononcé sur la question d’un éventuel conflit entre la législation nationale et le droit communautaire, le tingsrätt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le droit de pêcher ou l’autorisation de pêcher au lancer sont-ils des marchandises au sens de l’arrêt 7/68, Commission/Italie (Rec. 1968, p. 617) ?

2) La modification intervenue en Finlande de la lagen om fiske 1045/96 constitue-t-elle un obstacle à la libre circulation des marchandises au sens des critères fixés par l’arrêt 8/74, Dassonville (Rec. 1974, p. 837) ?

3) L’intérêt récréatif des pêcheurs amateurs constitue-t-il une justification au sens de l’article 36 du traité instituant la Communauté européenne ?

4) S’agit-il, dans la présente affaire, de produits agricoles au sens visé à l’article 37, paragraphe 4, du traité de Rome ?

5) Ladite disposition est-elle assortie d’un effet direct au sens de l’arrêt 6/64, Costa/ENEL (Rec. 1964, p. 1141) ?

6) Les intérêts des agriculteurs ont-ils été suffisamment pris en considération ?

7) La modification intervenue en Finlande de la lagen om fiske 1045/96 est-elle contraire, concernant la pêche au lancer, aux règles sur la libre circulation des marchandises (ou des services) prévues par le traité instituant la Communauté économique européenne ? »

Sur la recevabilité

19 À titre principal, la Commission conteste la recevabilité des questions préjudicielles. À cet égard, elle relève que l’ordonnance de renvoi n’expose pas le point de vue du défendeur au principal sur le litige et ne comporte aucun élément de nature à indiquer que la demande de M. Jägerskiöld est contestée par M. Gustafsson. Dans ces conditions, elle estime qu’il est douteux qu’il existe un véritable litige entre les deux parties au principal.

20 La Commission fait valoir également que l’ordonnance de renvoi ne contient ni une description du cadre factuel et réglementaire du litige au principal qui soit suffisante pour permettre à la Cour de donner des réponses utiles à la juridiction nationale ni les raisons précises qui ont conduit la juridiction nationale à s’interroger sur l’interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour.

21 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, points 59 à 61, et du 29 juin 1999, Butterfly Music, C-60/98, non encore publié au Recueil, point 13), il n’appartient qu’à la juridiction nationale saisie du litige, qui doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. La Cour ne peut rejeter une demande formée par une telle juridiction que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire demandée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique et que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui sont posées.

22 Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire.

23 D’abord, il résulte expressément de l’ordonnance de renvoi que la juridiction nationale est saisie d’un litige visant à faire constater, à la demande de M. Jägerskiöld, que M. Gustafsson n’a pas le droit de pêcher au lancer sur les plans d’eau appartenant au premier, sans le consentement de celui-ci, et ce nonobstant le fait qu’il a payé la redevance sur la pêche au lancer prévue par la loi sur la pêche.

24 Dans ces conditions, le fait que, devant la juridiction nationale, le défendeur au principal ne s’est pas prononcé sur la question d’un éventuel conflit entre la législation nationale applicable et le droit communautaire ne suffit pas, à lui seul, à démontrer de manière manifeste que celui-ci ne conteste pas les prétentions que fait valoir M. Jägerskiöld à son encontre.

25 De même, la circonstance, soulevée à l’audience, que M. Gustafsson est également propriétaire d’un plan d’eau et a, à ce titre, un intérêt à savoir s’il peut y offrir à l’avenir des possibilités de pêche à d’autres personnes et notamment à des touristes n’est pas de nature à mettre en cause le caractère réel du litige qui l’oppose, en tant que pêcheur ayant acquitté la redevance prévue par la législation finlandaise applicable, au propriétaire d’un autre plan d’eau qui entend lui refuser le droit de pêcher dans celui-ci.

26 Il convient ensuite de constater que les informations fournies dans l’ordonnance de renvoi quant au cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions posées comprennent tous les éléments nécessaires afin de permettre à la Cour de donner des réponses utiles et aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 20 du statut CE de la Cour de justice.

27 Enfin, il résulte des points 12 à 17 du présent arrêt que l’ordonnance de renvoi contient également un exposé précis des raisons du choix des dispositions communautaires dont la juridiction nationale demande l’interprétation et du lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige.

28 À cet égard, il importe de souligner qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi que les dispositions communautaires en matière de libre prestation des services ne sont visées, à la septième question, qu’à titre subsidiaire, pour le cas où les droits de pêcher ou les autorisations de pêcher ne constitueraient pas des « marchandises », et que, dans cette hypothèse, les raisons qui ont conduit la juridiction nationale à interroger la Cour sur la compatibilité de la législation nationale en cause au principal avec les dispositions communautaires en matière de libre circulation des marchandises sont également valables pour celles relatives à la libre prestation des services.

29 Il y a lieu, dès lors, d’examiner les questions préjudicielles.

Sur la première question

30 Pour répondre à cette question, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, dans l’arrêt Commission/Italie, précité, expressément visé par la juridiction de renvoi, la Cour a défini les marchandises, au sens de l’article 9 du traité CE (devenu, après modification, article 23 CE), qui constitue le premier article de la troisième partie, titre I, du traité CE, intitulé « La libre circulation des marchandises », comme étant des produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales.

31 M. Jägerskiöld fait valoir que le droit de pêcher au lancer et les autorisations de pêcher qui en découlent constituent des « marchandises » au sens de cet arrêt, dans la mesure où leur valeur serait appréciable en argent et qu’ils pourraient être cédés à d’autres personnes, ainsi que le prévoit expressément l’article 5 de la loi sur la pêche.

32 Il y a toutefois lieu de constater que, dans l’affaire Commission/Italie, précitée, il était demandé à la Cour si des biens de caractère artistique, historique, archéologique ou ethnographique échappaient à l’application des dispositions du traité relatives à l’union douanière aux motifs qu’ils ne pouvaient être assimilés à des « biens de consommation ou d’usage général » et ne constituaient pas des « biens du commerce commun ». Ainsi qu’il résulte de la définition même donnée par la Cour, la qualité de « produits » des marchandises en cause n’était donc pas contestée, en sorte que cette définition à elle seule ne saurait servir à qualifier des droits ou autorisations de pêcher de marchandises au sens des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

33 Il importe de relever également que tout ce qui est appréciable en argent et susceptible, comme tel, de former l’objet de transactions commerciales ne tombe pas nécessairement sous l’application desdites dispositions du traité.

34 Ainsi qu’il résulte de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en oeuvre de l’article 67 du traité (JO L 178, p. 5), dont la nomenclature des mouvements de capitaux qui lui est annexée reste valable même après l’entrée en vigueur des articles 73 B et suivants du traité CE (devenus articles 56 CE et suivants ) (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21), relèvent, notamment, des dispositions du traité en matière de libre circulation des capitaux les opérations portant sur des actions, obligations et autres titres qui, tout comme le droit de pêcher ou les autorisations de pêcher en tenant lieu, sont appréciables en argent et peuvent faire l’objet de transactions sur le marché.

35 De même, ainsi qu’il résulte de l’arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275/92, Rec. p. I-1039), les activités de loterie ne constituent pas des activités relatives à des « marchandises », même si elles s’accompagnent de la diffusion de documents publicitaires et de billets de loterie, mais doivent être regardées comme des activités de « services » au sens du traité. Dans le cadre de telles activités, les prestations en cause sont celles que fournit l’organisateur de la loterie en faisant participer les acheteurs de billets à celle-ci, contre paiement du prix des billets de loterie.

36 Il en va de même de l’octroi du droit de pêcher et de la délivrance d’autorisations en tenant lieu. L’activité qui consiste à mettre à la disposition de tiers, contre rémunération et sous certaines conditions, un plan d’eau pour y pratiquer la pêche constitue une prestation de services qui, si elle présente un caractère transfrontalier, relève des articles 59 et suivants du traité CE (devenus, après modification, articles 49 CE et suivants). Le fait que ce droit ou ces autorisations sont constatés par des documents qui, comme tels, peuvent faire l’objet d’échanges ne suffit pas pour les faire entrer dans le champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

37 Cette conclusion ne saurait être infirmée par un renvoi aux droits de propriété intellectuelle qui, selon M. Jägerskiöld, bien que ne constituant que des droits immatériels, relèveraient néanmoins de ces dernières dispositions.

38 D’une part, en effet, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 21 de ses conclusions, si les droits de propriété intellectuelle peuvent affecter le commerce intracommunautaire de marchandises, ils ne constituent pas eux-mêmes de telles marchandises. D’autre part, les droits de propriété intellectuelle sont de nature à affecter les échanges non seulement de biens, mais également de services (voir, notamment, arrêt du 20 octobre 1993, Phil Collins e.a., C-92/92 et C-326/92, Rec. p. I-5145, point 22).

39 Dès lors, il y a lieu de répondre à la première question que le droit de pêcher ou l’autorisation de pêcher au lancer ne constituent pas des « marchandises » au sens des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, mais relèvent d’une activité de « services » au sens des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services.

Sur les deuxième à sixième questions

40 Il résulte de l’ordonnance de renvoi que les deuxième à sixième questions sont posées dans l’hypothèse où le droit de pêcher ou l’autorisation de pêcher constitueraient des « marchandises » au sens des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises. Tel n’étant pas le cas, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur la septième question

41 Pour la même raison, il n’y a pas lieu de répondre à la septième question dans la mesure où celle-ci porte sur les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

42 En ce qui concerne les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, il suffit de rappeler que celles-ci ne sont pas applicables à des activités dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, notamment, arrêts du 16 janvier 1997, USSL n_ 47 di Biella, C-134/95, Rec. p. I-195, point 19, et du 9 septembre 1999, RI.SAN., C-108/98, non encore publié au Recueil, point 23).

43 Or, il ressort du dossier que le litige au principal oppose deux ressortissants finlandais, tous deux établis en Finlande, au sujet du droit de l’un d’entre eux de pratiquer la pêche au lancer dans un plan d’eau appartenant à l’autre et situé en Finlande.

44 Une telle situation ne présente aucun élément de rattachement à l’une des situations envisagées par le droit communautaire dans le domaine de la libre prestation des services.

45 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la septième question que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation, telle que celle au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

46 Les frais exposés par le gouvernement finlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident

soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Pargas tingsrätt, par ordonnance du 25 mars 1998, dit pour droit :

1) Le droit de pêcher ou l’autorisation de pêcher au lancer ne constituent pas des « marchandises » au sens des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des marchandises, mais relèvent d’une activité de « services » au sens des dispositions du même traité relatives à la libre prestation des services.

2) Les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation, telle que celle au principal, dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.