Chantier BTP - fausse sous-traitance - fausse prestation de services internationale - travail dissimulé

Conseil d’État

N° 406202

ECLI:FR:CEORD:2016:406202.20161222

Inédit au recueil Lebon

SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocat(s)

lecture du jeudi 22 décembre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société SAPE a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 9 décembre 2016 par lequel le préfet du Rhône a arrêté, pour une durée d’un mois, ses activités sur les chantiers “ Fireworks “, à Rillieux-la-Pape, et “ La Grande Halle “, à Lyon, et, à titre subsidiaire, de prononcer la suspension de l’exécution de l’article 2 de cet arrêté, prévoyant l’application des sanctions prévues par l’article L. 8272-5 du code du travail en cas de contravention à cet arrêt des activités. Par une ordonnance n° 1609011 du 16 décembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.

Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société SAPE demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 l’arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre, à la liberté du commerce et de l’industrie, à la liberté d’aller et venir et au droit au travail ;

 cet arrêté est insuffisamment motivé ;

 il repose sur des faits inexacts dès lors qu’il affirme à tort que les sociétés sous-traitantes ne disposaient pas de matériel et d’un encadrement propres et qu’il existe un lien de subordination entre son personnel et le personnel de celles-ci ;

 que l’arrêté contesté est entaché d’une erreur de droit et d’une erreur de fait en ce qu’il se fonde sur des faits remontant à mai 2015, très antérieurs aux contrats de sous-traitance relatifs aux chantiers litigieux ;

 il est entaché d’une erreur de qualification juridique en ce qu’il lui reproche un travail illégal par dissimulation de salariés en bande organisée et par emploi de salariés extracommunautaires sans autorisation de travail ;

 l’arrêté contesté est entaché d’une erreur d’appréciation et est manifestement disproportionné tant parce qu’il n’est pas établi que les faits qui lui sont reprochés sont graves et répétés qu’au regard du préjudice économique induit ;

 la condition d’urgence est remplie, pour les raisons qui ont été développées devant le juge des référés de première instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 le code du travail ;

 le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale “. En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

2. La société SAPE est titulaire de deux marchés de travaux signés respectivement le 17 mars 2015 et le 31 juillet 2015, relatifs aux opérations “ La Grande Halle “, à Lyon, et “ Fireworks “, à Rillieux-la-Pape. Elle a délégué une partie de ses prestations sur ces deux chantiers à deux sous-traitants, les sociétés de droit portugais Efficiency Ocean II et Polebile Internacional. Le 27 octobre 2016, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a adressé au préfet du Rhône deux fiches de signalement émises par ses services, relatives à de probables infractions relatives au travail dissimulé. Par un arrêté du 9 décembre 2016, pris sur le fondement de l’article L. 8272-2 du code du travail, le préfet a ordonné l’arrêt pour un mois de l’activité de l’entreprise sur les chantiers “ Fireworks “ et “ La Grande Halle “. La société SAPE relève appel de l’ordonnance du 16 décembre 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté les conclusions de la société tendant à la suspension de cet arrêté.

3. En premier lieu, le moyen tiré par la société SAPE de ce que l’arrêté préfectoral du 9 décembre 2016 serait insuffisamment motivé n’est pas, en tout état de cause, de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

4. En deuxième lieu, si la société SAPE soutient que l’arrêté contesté se fonde à tort sur des faits remontant à mai 2015, très antérieurs aux contrats de sous-traitance relatifs aux chantiers litigieux, il ressort de l’examen de cet arrêté que cette date y est seulement mentionnée comme celle à partir de laquelle l’entreprise SAPE a bénéficié d’un apport de main d’oeuvre de la part des sociétés Polebile Internacional et Efficiency Ocean II, et non pour dater les contrats de sous-traitance qu’elle a passés avec ces deux sociétés pour les chantiers “ La Grande Halle “ et “ Fireworks “ ayant fait l’objet de l’arrêt temporaire d’activités.

5. En troisième lieu, si la société SAPE soutient que l’arrêté contesté repose sur des faits matériellement inexacts s’agissant du lien de subordination entre son personnel et le personnel des sociétés sous-traitantes et de l’absence pour ces sociétés de matériel et d’un encadrement propres, qu’il qualifie à tort les faits de travail illégal par dissimulation de salariés en bande organisée et par emploi de salariés extracommunautaires sans autorisation de travail, qu’il est entaché d’une erreur d’appréciation au regard des conditions légales définies par l’article L. 8272-2 du code du travail et qu’il est manifestement disproportionné tant parce qu’il n’est pas établi que les faits reprochés sont graves et répétés qu’au regard du préjudice économique induit, elle n’apporte en appel aucun élément de nature à remettre en cause l’appréciation portée par le juge des référés de première instance. Il y a donc lieu, sur ces différents points, d’écarter son argumentation par adoption des motifs retenus dans l’ordonnance attaquée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que l’appel de la société SAPE doit être rejeté, y compris les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 de ce code.

O R D O N N E :


Article 1er : La requête de la société SAPE est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société SAPE et au préfet du Rhône.