Fausse sous-traitance faux détachement

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 mai 1999

N° de pourvoi : 98-86665

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE MONTPELLIER,

contre l’arrêt de ladite cour d’appel, chambre correctionnelle, en date du 7 avril 1997, qui a relaxé Joao X... et Gilles Y... des chefs de marchandage et travail clandestin ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 341-5, L. 143-3, L. 143-5, L. 620-3 du Code du travail 485, 512, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

” au motif que l’arrêt attaqué énonce que, le fait qu’il (Joao X...) soit régulièrement inscrit au registre des métiers du Portugal lui permet en tant que citoyen de l’Union d’exercer dans le cadre des prestations de services son activité sur l’ensemble des Etats composant l’Union européenne ; qu’il est fréquent que les prestations de services puissent être d’une assez longue durée dans le domaine des travaux publics sans pour cela qu’il en résulte une quasi installation correspondant à son établissement dans le pays d’accueil ; (

...) qu’il résulte du traité de l’Union que les exigences nationales en l’espèce françaises ne doivent pas faire double emploi avec celles que l’entreprise a déjà dû satisfaire dans son Etat d’origine ; (...) que le procès-verbal dressé par l’inspection de la direction départementale du travail et de l’emploi, en indiquant que Joao X... a présenté le justificatif de domiciliation fiscale en France et divers imprimés portugais “ supposés “ justifier de l’inscription de Joao X... en qualité d’artisan au Portugal et de la déclaration des salaires perçus par les trois ouvriers auprès de la sécurité sociale portugaise ne justifie pas que la prestation de service vise en réalité un contournement des régles nationales françaises ;

” alors qu’à supposer que Joao X... ait régulièrement établi son entreprise au Portugal, la liberté de prestation de service ne lui permettait pas de se soustraire aux règles d’ordre public et de police du travail du lieu où se déroulait l’activité, non plus que de faire échec au principe du droit des étrangers en France à la protection sociale et qu’il se devait notamment d’obtenir pour ses salariés détachés ressortissants de la Communauté économique européenne, un certificat de détachement sous les conditions du règlement européen n 1408 du 14/ 06/ 1971 modifié par le règlement 574 du 21 mars 1972, un tel certificat de détachement (modèle E. 101) étant délivré par l’organisme de sécurité sociale du pays d’emploi habituel et précisant la durée du détachement ; qu’il se devait en outre de délivrer des bulletins de paie, de tenir un livre de paie, un registre unique du personnel ;

” et alors que l’entreprise co-contractante était tenue de vérifier à tout le moins la régularité des conditions de travail en France des salariés de l’entreprise du sous-traitant et de s’assurer de l’accomplissement des obligations prescrites par l’article L. 324-10 du Code du travail “ ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1 du Code du travail, 485, 512, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué après avoir affirmé l’inopposabilité à Joao X... des obligations prescrites par l’article L. 324-10 du Code du travail énonce :

” attendu de même que la réalité du contrat de sous-traitance ne pouvait de ce fait être mise en cause, l’infraction de prêt de main d’oeuvre de la part de Joao X... à l’entreprise Euro Façades et celle d’utilisation de main d’oeuvre par la société Euro Façades sont nullement justifiées ;

attendu enfin que l’utilisation de gros matériel tel que échafaudage par une entreprise sous-traitante est une chose parfaitement possible et d’usage commun en matière de construction ;

” alors que, par ces seules motivations les juges du fond n’ont pas recherché comme ils en avaient l’obligation en fonction de tous les éléments de la cause soumis à leur appréciation, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties ;

que, certes l’utilisation par l’entreprise sous-traitante de gros matériel appartenant à l’entreprise utilisatrice, ne suffit pas à caractériser un prêt illicite de main d’oeuvre sous le couvert d’un contrat de sous-traitance, mais que l’ensemble des constatations faites par le contrôleur du travail (subordination des salariés et de leur prétendu employeur au responsable de l’entreprise utilisatrice ;

défaut de spécificité des travaux ; défaut de fourniture de matériel, de matériaux et d’équipement de sécurité) outre l’absence d’assurance de garantie du constructeur suffisent à caractériser la fictivité du contrat de sous-traitance, et le préjudice subi par des salariés privés du bénéfice du statut social qui aurait été le leur si l’entreprise utilisatrice les avait employés directement “ ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, lors d’un contrôle effectué en 1994 sur un chantier de construction confié à la société Euro-Façades, les services de l’inspection du travail ont constaté la présence de trois salariés de nationalité portugaise employés par un artisan de même nationalité Joao X..., se présentant comme un sous-traitant de la société précitée ; qu’à la suite de ce contrôle Joao X... a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de travail clandestin et marchandage, pour avoir employé des salariés sans qu’aient été effectuées au moins deux des formalités prévues par l’article L. 324-10, 3 du Code du travail dans sa rédaction alors en vigueur et pour avoir, sous le couvert d’un contrat de sous-traitance fictif, fourni de la main-d’oeuvre à la société Euro-Façades ; que le dirigeant de cette société, Gilles Y..., a été poursuivi des mêmes chefs pour avoir utilisé en connaissance de cause la main-d’oeuvre clandestine qui lui avait été fournie ; que le tribunal a déclaré les prévenus coupables de ces délits ;

Attendu que, pour infirmer ce jugement et relaxer les prévenus la cour d’appel retient que le délit de travail clandestin n’est pas constitué, dès lors que Joao X... a rapporté la preuve qu’il était régulièrement inscrit au registre des métiers au Portugal et qu’il justifiait déclarer les salaires de ses ouvriers auprès de l’organisme social compétent de ce pays ;

Que, pour écarter la qualification de marchandage, les juges énoncent que l’utilisation par un sous-traitant du gros matériel, tel qu’un échafaudage, mis à sa disposition par l’entrepreneur principal est “ parfaitement possible “ et “ commun en matière de construction “ ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans rechercher si Joao X... s’était conformé aux formalités visées par l’article L. 324-10, 3 ancien du Code du travail, dont la méconnaissance était seule visée dans la prévention, et si, compte tenu des éléments de la cause, le contrat de sous-traitance conclu entre les prévenus ne dissimulait pas une opération de prêt de main-d’oeuvre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs ;

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Montpellier en date du 7 avril 1997 et pour qu’il soit jugé à nouveau, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nîmes, à ce designée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Montpellier, sa mention en marge où à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Montpellier , du 7 avril 1997