Vendanges

Cour d’Appel de Nancy Chambre sociale 31 mars 2010 n° 09/01474

Texte intégral :

Cour d’Appel de Nancy Chambre sociale 31 mars 2010 N° 09/01474
ARRÊT N° SS

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BAR LE DUC

12/2006

28 janvier 2008

APPELANTE :

Eurl vendanges presta services, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

1 Lotissement Garmchat

55800 REVIGNY SUR ORNAIN

Comparante en la personne de Monsieur Nevzat TURAN, gérant

Assisté de Maître Jacques LARZELLIERE, avocat au barreau de BAR LE DUC

INTIMEE :

CMSA Marne Ardennes Meuseprise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

24 boulevard Louis Roederer

51077 REIMS CEDEX

Comparante en la personne de Monsieur Yohann GOZDEK, rédacteur juridique, muni d’un pouvoir

Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales de Lorraine, avisé de la date d’audience, ne s’est ni présenté, ni fait représenter.

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : Monsieur FERRON

Siégeant en Conseiller rapporteur

Greffier : Mademoiselle CHOISELAT (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 09 février 2010 tenue par Monsieur FERRON, Président, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Monsieur MALHERBE, Président, Monsieur FERRON et Monsieur LAURAIN, Conseillers, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 17 mars 2010, à cette date le délibéré a été prorogé au 31 mars 2010 ;

A l’audience du 31 mars 2010, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

FAITS & PROCEDURE.

Monsieur Nevzat Turan a constitué, le 8 juin 2005, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée dénommée "Vendanges Presta Services’ dont l’objet consiste dans l’exécution de travaux liés à la viticulture et aux vendanges dans le but, dans un premier temps, de proposer à des viticulteurs d’effectuer la cueillette du raisin dans leurs vignes et, dans un second temps, de faire évoluer l’entreprise vers l’exécution de l’ensemble des travaux liés à la viticulture, entretien des vignes, tailles et vendanges.

L’entreprise ayant été immatriculée au registre du commerce et au répertoire national des entreprises, le 9 juin 2005, Monsieur Turan a acquis les outils nécessaires au démarrage de son activité, à savoir les seaux et les sécateurs que suppose l’activité de vendange.

S’étant vu refuser l’affiliation de ses salariés par la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de la Marne, des Ardennes et de la Meuse, Monsieur Turan s’est adressé à l’URSSAF de la Meuse qui a ouvert un compte cotisant au nom de L’E.U.RL. ’Vendanges Presta Services’, et celle-ci a exercé son activité au cours de l’année 2005.

Par courrier du 28 septembre 2005, L’URSSAF a informé Monsieur Turan qu’il devait procéder à l’annulation de son compte au motif qu’elle n’avait pas compétence pour encaisser ses cotisations sociales, et qu’elle transmettait ses déclarations d’embauché à la Caisse de Mutualité Sociale Agricole de Reims.

La Caisse ayant à nouveau refusé de procéder à l’affiliation de l’entreprise, Monsieur Turan a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 18 novembre 2005, notifiée le 9 janvier 2006, a confirmé la position des services administratifs.

Par requête du 3 mars 2006, Monsieur Turan a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Meuse pour voir condamner sous astreinte la Caisse de mutualité sociale agricole à procéder à l’affiliation de TE.U.R.L. "Vendanges Presta Services’ à compter du 9 juin 2005.

Par jugement du 28 janvier 2008, le Tribunal l’a débouté de ses prétentions.

Monsieur Turan a régulièrement relevé appel de cette décision ; il demande à la Cour de l’infirmer, de condamner la Caisse de mutualité sociale agricole, sous astreinte de 10.000 par jour, à affilier la société ’Vendanges Presta Services’ en qualité d’entreprise de travaux agricoles, à compter du 9 juin 2005, date du début de son activité, ainsi qu’à lui payer la somme de 1.500 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, il fait valoir qu’en application des dispositions de l’article L.722-20 du code rural, une entreprise qui, comme la sienne, emploie ses salariés à des travaux de vendanges et d’entretien des vignes, est par nature une entreprise agricole relevant du régime de protection sociale des professions agricoles.

La Caisse réplique que Monsieur Turan qui est imprimeur salarié à temps plein, ne justifie d’aucun diplôme viticole ni des moyens en personnel qualifié et en matériel qui lui permettraient d’exercer toutes les tâches techniques qui s’attachent au métier de viticulteur ; qu’en conséquence, il apparaît qu’il se borne à effectuer du prêt de main d’oeuvre à but lucratif, opération interdite par le code du travail ; elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement.

La Cour se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier le 9 février 2010, dont elles ont maintenu les termes lors de l’audience.

MOTIFS DE LA DECISION.

L’article L.722-2 du code rural considère comme des travaux agricoles les travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou végétale, les travaux d’amélioration foncière agricole ainsi que les travaux accessoires nécessaires à l’exécution des travaux précédents.

Il résulte de ces dispositions qu’une entreprise qui emploie ses salariés à des travaux relatifs à l’exploitation de la vigne est par nature une entreprise agricole, et relève en tant que telle, en ce qui concerne l’affiliation de ses salariés, de la caisse de mutualité sociale agricole en application de l’article L.722-20 du même code.

L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ’Vendanges Presta Services’ fait valoir que ses salariés doivent être affiliés à cette caisse dans la mesure où ils effectuent des travaux de récolte du raisin, travaux qui entrent dans le cycle de la production végétale, et ajoute que la caisse de mutualité sociale agricole ne peut se substituer aux autorités de police judiciaire ou à l’administration du travail pour décider qu’une activité est ou non illicite.

La Caisse s’y oppose, non pas en contestant la nature des travaux réalisés par l’appelante, mais en soutenant qu’elle n’est pas liée aux viticulteurs auxquels elle prête son concours par un contrat de prestations de service, mais par un contrat de prêt de main d’oeuvre à but lucratif qui est l’apanage des sociétés de travail temporaire.

L’article L.8241-1 du code du travail dispose :

’Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite.

Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :

1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ;

2° Des dispositions de l’article L.222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives’

Pour déterminer si une entreprise effectue des prestations de service autorisées par la loi, et en tirer les conséquences quant à l’affiliation de ses salariés à un régime de protection sociale, ou du prêt de main d’oeuvre à but lucratif prohibé, il y a lieu d’examiner si un certain nombre de critères sont remplis, critères qui s’attachent à l’objet du contrat, à l’encadrement des salariés mis à disposition, à la fourniture du matériel et de l’outillage, au mode de rémunération de l’entreprise prestataire.

S’agissant de l’objet du contrat, le fait que l’entreprise prestataire dispose d’un savoir-faire ou d’une spécificité propre que ne possède pas l’entreprise utilisatrice est exclusif du prêt de main d’oeuvre illicite.

En l’espèce, la société appelante se propose dans un premier temps d’effectuer la cueillette du raisin pour le compte de viticulteurs, puis de faire évoluer son entreprise vers l’exécution de l’ensemble des travaux liés à la viticulture : entretien des vignes, tailles... etc.

Ce faisant, elle ne revendique aucune spécificité ou savoir-faire que ne détiendraient pas les viticulteurs auxquels elle s’adresse, les travaux sus-cités étant ceux qui entrent dans le cadre ordinaire de l’activité des entreprises utilisatrices.

S’agissant de l’encadrement des salariés fournis, le contrat d’entreprise suppose que l’exécution de la prestation s’effectue sous la responsabilité du prestataire de services qui doit être l’unique employeur des salariés.

La société Vendanges Presta Services’ fait valoir que ses salariés ne sont pas placés sous les ordres des propriétaires des vignes, mais sous les ordres de Monsieur Turan et de ses chefs d’équipe qui sont Monsieur Rameche, Monsieur Guney et Monsieur Biber.

Sur ce point, il est versé aux débats de nombreux certificats de travail établis par des viticulteurs, et dont il résulte que Monsieur Turan a été employé par eux en qualité de cueilleur ou de chef d’équipe durant les années 2005 à 2009 ; certains viticulteurs attestent également avoir eu recours, durant la même période, à la société "Vendanges Presta Services’ pour effectuer les travaux de vendanges, et avoir été très satisfaits de son organisation.

Cependant, alors que durant cette période, Monsieur Turan a travaillé tantôt comme salarié de ces viticulteurs, tantôt comme gérant de la société qu’il a créée, les auteurs des attestations ci-dessus rappelées ne donnent aucune indication sur la manière dont le travail était organisé et ne confirment nullement qu’ils étaient effectués sous l’entière responsabilité de Monsieur Turan et de ses chefs d’équipe dont les noms ne sont à aucun moment cités, et non pas sous leur surveillance et leur subordination.

Par ailleurs, le fait que la société prestataire de services utilise son propre matériel et outillage, et non celui de l’entreprise utilisatrice, constitue un indice en faveur d’une véritable prestation de services.

En l’espèce, Monsieur Turan, s’il affirme avoir fait l’acquisition des sécateurs et des paniers ou seaux nécessaires à la cueillette du raisin, ne produit en ce sens aucune facture, et les attestations des viticulteurs dont il se réclame ne fournissent aucune précision à cet égard ; de même, s’il indique avoir recours à des véhicules de location pour transporter sur les lieux des vendanges son personnel et son matériel, il ne fournit aucun justificatif des contrats de location, et les viticulteurs ne se défendent pas dans leurs témoignages de fournir à Monsieur Turan leur propre matériel pour les besoins des travaux qu’ils lui confient.

S’agissant du mode de rémunération dont le caractère forfaitaire est un indice en faveur du caractère licite du prêt de main d’oeuvre associé à la prestation, la société appelante fait valoir qu’elle ne facture pas à ses clients des heures de travail et qu’elle pratique au contraire la facturation à la tonne vendangée, sans considération du temps passé.

Sur ce point, alors qu’elle pourrait aisément fournir des justificatifs, elle ne produit aucune pièce, et les viticulteurs qui ont attesté ne confirment nullement qu’elle pratique la facturation à la tonne vendangée, et non à l’heure de main d’oeuvre.

Il résulte de ces éléments que les critères qui permettent de retenir la qualification d’entreprise de travaux agricoles dont les salariés doivent être affiliés à la caisse de mutualité sociale agricole ne sont pas réunis en l’espèce de sorte que le jugement qui a débouté l’E.U.R.L. ’Vendanges Presta Services’ de ses prétentions sera confirmé.

Enfin, l’appelant qui succombe sera débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, et condamné au paiement du droit prévu à l’article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS.

LA COUR statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe :

Confirme le jugement déféré et, y ajoutant ;

Déboute l’E.U.RX.’Vendanges Presta Services’de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne au paiement du droit prévu à l’article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

Ainsi prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Et signé par Monsieur MALHERBE, Président, et par Mademoiselle CHOISELAT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,

Le Président,