Employeur de fait - faux salarié détaché

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 28 mars 2006

N° de pourvoi : 05-84168

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit mars deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de Me FOUSSARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

 X... Jean-Marc,

 Y... Luc,

 LA SOCIETE VERSERON,

 LA SOCIETE SERTEC,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 6 juin 2005, qui, pour travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main-d’oeuvre, a condamné les deux premiers à 5 000 euros d’amende dont 2 000 euros avec sursis et les deux dernières à 14 000 euros d’amende dont 4 000 euros avec sursis ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1. L. 125-3 et L. 152-2 du Code du travail, de l’article 6 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Luc Y... et Jean-Marc X... et les sociétés Verseron et Sertec coupables de prêt de main-d’oeuvre illicite et de marchandage, et, en répression, les a condamnés à une peine d’amende assortie en partie de sursis ;

”aux motifs qu’ “en l’espèce, il ressort de l’enquête que la relation unissant les travailleurs roumains aux sociétés dans lesquelles ils étaient employés s’analyse en un véritable contrat de travail ; qu’en effet, selon les autres salariés de l’entreprise, ils travaillaient dans des conditions identiques aux leurs, tant en ce qui concernait les horaires que les directives et les équipements de travail donnés sur place ; qu’ils étaient même logés par leur employeur de fait, ce qui ne pouvait que renforcer leur dépendance économique à l’égard de la société les accueillant ; que l’éloignement de Georges Z... lui interdisait de jouer le rôle de référent que lui attribuent les prévenus faute de lui permettre une autorité effective sur les salariés ; que les prévenus indiquent, en outre, que la facturation se faisait au forfait, l’infraction n’est pas caractérisée ; que, cependant la société OJCB établissait une facturation comprenant une marge à hauteur de 1,3 aux sociétés utilisatrices, ce qui établit le but lucratif de la prestation de service ;

qu’en outre, le délit de marchandage n’est pas subordonné à un mode particulier de rémunération et l’opération de fourniture de main d’oeuvre présente un but lucratif dès lors que l’entreprise bénéficiaire n’a pas à supporter les charges sociales et financières qu’elle aurait eu à supporter si elle avait employé ses propres salariés ; que, de plus, il ressort des procès-verbaux de l’inspection du Travail et des déclarations des travailleurs roumains que leur rémunération était inférieure au minimum légal français et le seul fait, pour les salariés de l’entreprise intervenante, d’être moins rémunérés que ceux de l’entreprise utilisatrice suffit à caractériser le but lucratif de l’opération ; que pour le délit de marchandage, les prévenus indiquent que l’opération de fourniture de main-d’oeuvre à but lucratif n’est constituée que si la sous-traitance cause du tort aux salariés ; que cependant l’article L. 125-1 du Code du travail ne réprime pas les opérations de main d’oeuvre à but lucratif, mais les conséquences préjudiciables qu’elles peuvent avoir pour les salariés ou la volonté d’éluder la loi, les règlements ou les conventions ou accord collectifs du travail ; qu’il ressort du procès- verbal de l’inspection du Travail que les travailleurs roumains ne bénéficiaient pas des mêmes droits que l’ensemble des salariés employés par les entreprises utilisatrices (pas de surveillance médicale quant à l’aptitude du travail et, notamment, une rémunération en dessous du salaire minimum annuel français garanti)” (arrêt attaqué p. 9, 1er, 2, 3 et 4) ;

”alors que, premièrement, ne constitue pas un prêt de main-d’oeuvre illicite ou un marchandage, la mise à disposition de salariés dans le cadre d’un contrat d’entreprise dès lors que le contrat a pour objet l’exécution d’une tâche précise, rémunérée de façon forfaitaire, le sous-entrepreneur conservant son autorité sur le personnel ; qu’au cas d’espèce, les prévenus avaient fait valoir que les travailleurs roumains étaient restés sous l’autorité de Georges Z... qui contrôlait la réalisation de leur travail ; qu’en effet, il résultait du contrat de coopération que les prévenus avaient reproduit dans leurs conclusions (p. 7), que la société Vialpro choisissait seule les salariés mis à la disposition de la société OJCB et imposait au bénéficiaire le nombre d’heures à effectuer par jour par les salariés roumains ; qu’en décidant que la relation unissant les sociétés utilisatrices aux travailleurs roumains devaient s’analyser en des contrats de travail, sans rechercher si les sociétés utilisatrices ne contrôlant pas les horaires effectués par ses salariés, elles n’avaient aucun pouvoir de direction, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

”alors que, deuxièmement, et de la même façon, les prévenus avaient fait valoir que si en application du contrat de collaboration, ils devaient avancer les frais de logement des travailleurs roumains, ils déduisaient ensuite les dépenses correspondantes du forfait ; qu’en énonçant pour dire qu’il existait un contrat de travail entre les travailleurs roumains et les prévenus que les premiers étaient hébergés par les seconds, sans rechercher si ce n’était pas la société Vialpro qui, en définitive, supportait le coût de l’hébergement, la cour d’appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

”et alors que, troisièmement, et enfin, les prévenus avaient soutenu que Georges Z... résidait en France, qu’il se rendait régulièrement sur les lieux de travail pour surveiller les chantiers ; qu’en relevant que l’éloignement géographique de Georges Z... ne lui permettait pas d’assurer la direction effective des salariés roumains, sans vérifier les affirmations des prévenus, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 143-3, L. 320, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 362-3 et suivants du Code du travail, de l’article 6 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Luc Y... et Jean-Marc X... et les sociétés Verseron et Sertec coupables de travail dissimulé, et, en répression, les a condamnés à une peine d’amende assortie en partie de sursis ;

”aux motifs qu’ “il convient d’adopter les motifs des premiers juges qui ont considéré que la relation de travail ainsi caractérisée s’assimile à un emploi dissimulé, faute d’avoir fait les déclarations exigées par la loi” (arrêt attaqué p. 10, 4) ;

”alors que, dans la mesure où la cour d’appel a exclusivement fondé l’existence du travail dissimulé sur l’existence d’un contrat de travail entre les sociétés Verseron et Sertec et les travailleurs roumains, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef du dispositif ayant déclaré les prévenus coupables de travail dissimulé et les a condamné de ce chef” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Caen, chambre correctionnelle du 6 juin 2005