Mise en oeuvre régulière de la solidarité financière oui - recouvrement validé

CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 20/10/2020, 18VE01063, Inédit au recueil Lebon
CAA de VERSAILLES - 3ème chambre

N° 18VE01063
Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 20 octobre 2020
Président
M. BRESSE
Rapporteur
Mme Muriel DEROC
Rapporteur public
M. HUON
Avocat(s)
BRINDEL
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) DANDY’S a demandé au Tribunal administratif de Montreuil, d’une part, de prononcer la décharge de l’obligation de payer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la Sarl Melisa au titre de la période du
15 janvier 2013 au 31 janvier 2014, à hauteur de 78 243 euros en droits et 80 097 euros en majorations, et, d’autre part, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1703217 du 1er février 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2018, la SARL DANDY’S, représentée par
Me Brindel, avocat, demande à la Cour :

1° d’annuler ce jugement ;

2° d’annuler l’avis de mise en recouvrement du 11 octobre 2016 ;

3° de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;

4° de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :

 ayant suffisamment répondu aux demandes succinctes effectuées le 26 juin 2014 par le service dans le cadre de son droit de communication, la non production de pièces qui ne lui ont pas été demandées ne saurait lui être reprochée ;
 la société Spy Consult a procédé, pour son compte, aux vérifications prévues par les articles L. 8222-1, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail et a remis au service un dossier complet sur la Sarl Melisa.

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
 le code du travail ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de Mme A...,
 les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
 et les observations de Me Brindel, avocat de la SARL DANDY’S.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL DANDY’S exerce une activité de fabrication et de négoce de vêtements. A cette fin, au titre des exercices clos en 2013 et 2014, elle a eu recours à la Sarl Melisa, ayant
elle-même pour activité la fabrication de vêtements et de prestations à façon. Elle en était la principale cliente et donneuse d’ordre. A l’issue d’une vérification de comptabilité, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à la charge de la Sarl Melisa au titre de la période du
15 janvier 2013 au 31 janvier 2014, par voie de taxation d’office, assortis d’intérêts de retard et de pénalités pour opposition à contrôle fiscal en application de l’article 1732 du code général des impôts. Cette procédure de contrôle a également permis de constater des faits constitutifs de travail dissimulé, qui ont fait l’objet d’un procès-verbal du 16 octobre 2014. La SARL DANDY’S a été destinataire, en application des dispositions de l’article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, d’un avis de mise en recouvrement daté du 26 juillet 2016, mettant à sa charge l’obligation de payer ces impositions, en droits et majorations, pour un montant de 158 340 euros. Elle a été destinataire de trois autres avis annulant et remplaçant les précédents, émis les 8 août, 29 septembre et 11 octobre 2016, lesquels visent l’article R. 256-2 du livre des procédures fiscales et l’article 1724 quater du code général des impôts. Par la présente requête, la SARL DANDY’S, qui fait appel du jugement susvisé du 1er février 2018 du Tribunal administratif de Montreuil, demande la décharge de l’obligation de payer ces impositions en soumettant à la Cour une question prioritaire de constitutionnalité tirée de l’inconstitutionnalité des dispositions combinées des articles 1724 quater du code général des impôts et L. 8222-1 du code du travail.

Sur l’étendue du litige :

2. Il résulte de l’instruction que, par un mémoire enregistré le 6 décembre 2018, la SARL DANDY’S a demandé la transmission au Conseil d’Etat de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, des dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts combinées à celles de l’article L. 8222-1 du code du travail, en ce qu’elles impliquent sa solidarité au paiement de la majoration de 100 % prévue à l’article 1732 du code général des impôts mise à la charge de la Sarl Melisa pour un montant de 78 243 euros. Par deux mémoires, enregistrés le 17 décembre 2018, le ministre de l’action et des comptes publics a indiqué à la Cour, d’une part, que l’administration avait décidé de ne plus poursuivre la SARL DANDY’S en qualité de débiteur solidaire de la majoration en litige, d’un montant de 78 243 euros et, qu’en conséquence, la question prioritaire de constitutionnalité posée est devenue sans objet, et, d’autre part, qu’il n’y avait plus à statuer sur les conclusions de la requête à hauteur de 78 243 euros. Par un mémoire, enregistré le 11 janvier 2019, la SARL DANDY’S a demandé à la Cour, d’une part, de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de sa requête à hauteur de 78 243 euros et, d’autre part, de prendre acte de son désistement de sa question prioritaire de constitutionnalité. En l’absence de rectification par l’administration de l’avis de mise en recouvrement émis à l’encontre de la SARL DANDY’S qui incluait la pénalité de 78 243 euros, les conclusions de la SARL DANDY’S équivalent sur ce point à un désistement pur et simple de ses conclusions en décharge de l’obligation de payer à hauteur de 78 243 euros. Ce désistement étant pur et simple, rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte. Par voie de conséquence, il n’y a plus lieu pour la Cour de se prononcer sur la question prioritaire constitutionnalité soulevée par la requérante et qui n’était relative qu’aux seules majorations.

Sur le surplus des conclusions en décharge de l’obligation de payer :

3. D’une part, aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l’article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code précité ".

4. L’article L. 8222-1 du code du travail prévoit que toute personne qui conclut un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l’article L. 8221-3 du même code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations : / 1° Soit n’a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers (...) lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ; / 2° Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. (...). " et aux termes de l’article L. 8221-5 : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : / 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; / 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; / 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ".

5. Aux termes de l’article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale [...] ". Aux termes de l’article L. 8222-3 de ce code : " Les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ".

6. Pour l’application de l’article 1724 quater du code général des impôts, l’obligation de vérification incombant au donneur d’ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu’à la fin de l’exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d’ordre n’effectue pas l’une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.

7. D’autre part, aux termes de l’article D. 8222-5 du code du travail : " La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article
D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article
L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants : / a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ; / b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ; / c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ; / d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription. ".

8. En premier lieu, il résulte de l’instruction que, par courrier en date du 26 juin 2014, l’administration fiscale a, dans le cadre de son droit de communication prévu aux articles L. 81 à L. 85, L. 90 et L. 102 B du livre des procédures fiscales, non contesté sur ce point, demandé à la SARL DANDY’S, après avoir expressément indiqué intervenir pour l’application des articles L. 8221-1, D. 8222-5 et R. 8222-1 du code du travail, expressément et intégralement retranscrits, de lui préciser si les documents visés par ces dispositions, relatifs à la SARL Melisa, lui ont été remis par cette dernière en sa qualité d’éventuel donneur d’ordre et de bien vouloir lui faire parvenir, sous trente jours, sa réponse à laquelle " sera jointe une copie de l’ensemble des documents afférents aux prestations ". Elle a, au vu des seules pièces transmises par l’intéressée, par courrier du 21 juillet 2014, qui ne permettaient pas de s’assurer du respect de l’article
D. 8222-5 du code du travail, estimé que la solidarité financière de cette dernière, en tant que donneuse d’ordre, devait être mise en oeuvre pour les sommes dues au Trésor par la Sarl Melisa au titre des années 2013 et 2014. Dans ces conditions, la SARL DANDY’S n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l’administration fiscale ne saurait lui reprocher " de ne pas avoir produit des pièces qui ne lui ont pas été demandées ", alors que tel était bien l’objet du courrier du 26 juin 2014 et que, d’ailleurs, elle y a répondu en ce sens, en produisant notamment au vérificateur un extrait K bis de la Sarl Melisa daté du 18 janvier 2013 ainsi que le bordereau récapitulatif de cotisations établi par celle-ci au titre des 1er, 2ème et 3ème trimestres 2013. L’administration fiscale n’était d’ailleurs pas tenue, de faire usage de son droit de communication et de solliciter d’un donneur d’ordres la production de ces pièces avant de faire application des dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts, de sorte que l’argumentation tirée de ce que le service aurait dû mettre en oeuvre son droit de communication avant de lui opposer, le cas échéant, l’absence de détention des documents prévus à l’article
D. 8222-5 du code du travail est au surplus inopérante.

9. En second lieu, la SARL DANDY’S soutient avoir procédé aux vérifications requises par les dispositions précitées du code du travail, la société Spy Consults ayant effectué celles-ci pour son compte et lui ayant remis un dossier complet sur la Sarl Melisa. Toutefois et d’une part, il résulte de l’instruction qu’au titre de la période allant du 15 janvier 2013 au 31 janvier 2014, la SARL DANDY’S ne justifie, par la production du document correspondant, n’avoir disposé que d’un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés de la Sarl Melisa daté du
18 janvier 2013 et n’établit, ni même ne soutient, avoir sollicité à nouveau la production de ce document à l’expiration du délai de six mois suivant sa remise. D’autre part, la SARL DANDY’S ne justifie pas, par la production des documents idoines, avoir disposé de l’attestation visée au 1° de l’article D. 8222-5 du code du travail, ni avoir sollicité à nouveau sa production passés les six mois suivant sa remise. Ne constituent en effet pas de telles attestations les seules copies de formulaires Cerfa de l’URSSAF, remplis par la Sarl Melisa et signés du seul employeur. Les autres documents avancés par la requérante consistant en des copies d’un bail commercial, des statuts de la Sarl Melisa, d’un contrat d’assurance multirisque professionnel, de la pièce d’identité de cette société, d’une déclaration de responsabilité, de deux déclarations sur l’honneur, des déclarations uniques d’embauche des salariés, du registre du personnel, des pièces d’identité des salariés et des feuilles de contrôle de présence des salariés, non requis par l’article D. 8222-5 du code du travail, ne sont pas de nature à établir que la SARL DANDY’S aurait respecté son obligation de vérification. Dans ces conditions, l’administration fiscale a pu regarder à bon droit la société requérante, donneuse d’ordre, comme ayant manqué à son obligation de vigilance vis-à-vis de la Sarl Melisa, sous-traitante, mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts au titre de la période allant du 15 janvier 2013 au 31 janvier 2014 et mettre à sa charge l’obligation de payer une quote-part des impositions auxquelles la société sous-traitante a été assujettie.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l’action et des comptes publics à plusieurs titres, que la SARL DANDY’S n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande, s’agissant des impositions restant en litige. Ses conclusions tendant à l’annulation de l’avis de mise en recouvrement, dans cette même mesure, ne peuvent par suite qu’être rejetées. Enfin, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme que la SARL DANDY’S demande au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement partiel de la SARL DANDY’S de ses conclusions tendant à la décharge de l’obligation de payer la majoration de 78 243 euros mise à la charge de la Sarl Melisa en application de l’article 1732 du code général des impôts.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL DANDY’S est rejeté.