Nécessité de constater les éléments constitutifs

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 mai 1996

N° de pourvoi : 94-83117

Publié au bulletin

Action publique éteinte et Cassation partielle

Président : M. Milleville, conseiller le plus ancien faisant fonction., président

Rapporteur : Mme Batut., conseiller apporteur

Avocat général : M. Dintilhac., avocat général

Avocat : la SCP Ryziger et Bouzidi., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ACTION PUBLIQUE ETEINTE et CASSATION PARTIELLE sur pourvoi formé par :
"-" X...,
contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 9e chambre, du 31 mars 1994, qui, pour travail clandestin, exercice d’une activité d’agent de voyages sans licence, exercice d’une activité de transporteur public routier de personnes sans inscription à un plan, obstacle aux devoirs d’un inspecteur du Travail dans les transports routiers, obstacle au contrôle des conditions de travail dans les transports routiers, transfert irrégulier d’un titre d’exploitation et pour contraventions à la réglementation du travail dans les transports routiers, l’a condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d’amende pour les délits, à 26 amendes de 1 500 francs et une amende de 5 000 francs pour les contraventions, a prononcé la fermeture définitive de l’établissement exploité par le prévenu, ordonné la publication de la décision et statué sur les intérêts civils.

LA COUR,

I. Sur la contravention de transfert irrégulier d’un titre d’exploitation ;

Attendu qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 3 août 1995, sont amnistiées les contraventions de police lorsqu’elles ont été commises avant le 18 mai 1995 ; que tel est le cas de l’infraction susvisée ;

Qu’ainsi, l’action publique est éteinte de ce chef et il n’y a pas lieu d’examiner le cinquième moyen, relatif à cette contravention ;

II. Sur le délit d’exercice de l’activité de transporteur public routier de personnes sans être inscrit à un plan Ile-de-France ou étranger ;

Attendu qu’aux termes de l’article 2, alinéa 1er, de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d’amende est encourue, à l’exception de toute autre peine ou mesure susceptible d’être prononcée par une juridiction pénale ;

Que tel est le cas du délit précité, tel que prévu et réprimé par l’article 25-II-A de la loi du 14 avril 1952, dans sa rédaction alors en vigueur ;

III. Sur les autres infractions ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 362-3 du Code du travail, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale :

” en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur coupable d’exécution d’un travail clandestin par exploitation d’une agence de voyages non déclarée ;

” aux motifs qu’il aurait été établi que X..., par l’intermédiaire de B..., se livrait dans l’agence d’Asnières de la société Y... à une activité d’agent de voyages sans être titulaire de la licence prévue par la loi n° 75-627 ; que, du fait que l’agence d’Asnières exploitait une agence de voyages, elle n’avait pas procédé aux déclarations et immatriculations obligatoires rappelées dans la prévention ; que X..., responsable du fait de l’agence d’Asnières, doit être déclaré coupable du délit commis ;

” alors, d’une part, que ne saurait constituer l’exercice d’une activité d’agence de voyages sans licence l’exploitation d’une ligne d’autocars de France au Maroc, même si les particularités du trajet obligent les cars à emprunter un ferry et que ceci amène l’exploitant à munir ses passagers de billets pour la traversée, sans recevoir aucune rémunération de la compagnie exploitant le ferry ;

” alors, d’autre part, et surtout que la décision attaquée prétend déduire l’existence d’un travail clandestin de l’existence d’une activité d’agence de voyages non déclarée ; qu’à supposer que le délit d’exercice d’agence de voyages sans licence soit constitué, il n’en résulterait pas pour autant l’existence d’un travail clandestin au sens des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail lorsque la société se trouve déclarée au registre du commerce ; qu’en effet, le défaut de licence est puni par les peines spécifiques prévues par l’article 13 de la loi du 11 juillet 1975 de telle sorte que ne saurait être considéré comme constituant un travail clandestin le fait pour une société, par ailleurs régulièrement déclarée, d’exercer une activité qui aurait nécessité la délivrance d’une licence de voyages ;

” alors, de troisième part, qu’aux termes de l’article L. 324-9 du Code du travail, le travail clandestin est la dissimulation de tout ou partie de l’une des activités mentionnées par l’article L. 324-10 et exercée dans les conditions prévues par ces articles ; qu’aux termes de l’article L. 324-10 est réputé clandestin, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation, ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce, par toute personne physique ou morale qui s’est soustraite intentionnellement à l’une quelconque des obligations suivantes ; requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce ou des sociétés ; procéder aux déclarations exigées par les organisations de protection social et par l’Administration ; en cas d’emploi de salarié effectuer au moins 2 des formalités prévues aux articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du présent Code ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que la succursale de la société Y... était inscrite au registre du commerce comme ayant un lieu d’exploitation à Asnières, B... étant désigné comme représentant de la société en France ; que la cour d’appel n’a donc pas, sur ce point, tiré les conséquences de ses propres constatations ;

” alors, de quatrième part, et en toute hypothèse, que toute décision doit être motivée ; que l’insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs et que la décision attaquée, qui se réfère à la prévention, laquelle reprochait simplement à X... d’avoir exercé en France une activité de production de transformation, de réparation ou de prestation de services en s’abstenant intentionnellement de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, et d’avoir omis de procéder aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et par l’administration fiscale, sans préciser quelles sont les déclarations qui n’auraient pas été faites, est insuffisamment motivée ;

” alors, de cinquième part, que X... n’a été déclaré coupable du délit d’exploitation d’une agence de voyages sans licence et, par voie de conséquence du délit de travail clandestin qu’en tant que dirigeant de fait de l’agence ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que X... est président de la société de droit marocain Y... ; que, d’après les constatations de l’arrêt, cette société Y... aurait eu une succursale à Asnières ; qu’il résulte de la déclaration au registre du commerce que B... était responsable de la société à Asnières ; que, la décision attaquée n’a pas suffisamment constaté des actes positifs commis par X... en France et de nature à en faire le dirigeant de fait de la succursale en se contentant d’affirmer que la société dont il était le président a ouvert une succursale à Asnières dont le responsable était B..., et que ce dernier aurait déclaré que X... s’occupait de tout, la décision ne constatant aucune intervention précise et réelle du demandeur dans le fonctionnement de l’agence d’Asnières ;

” alors, enfin, que les obligations relatives aux déclarations visées par l’article L. 309-10 du Code du travail lorsqu’elles doivent être faites par une société étrangère ayant son siège à l’étranger et une succursale en France reposent sur le responsable de la succursale qui est réputé être chef d’entreprise ; que le responsable de la succursale est réputé être celui qui est inscrit en cette qualité au registre du commerce ; qu’il résulte des constatations des juges du fond qui n’ont pas sur ce point tiré les conséquences légales de leurs propres constatations était B... “ ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que seule l’inobservation intentionnelle des formalités limitativement énumérées à l’article L. 324-10 du Code du travail caractérise le délit de travail clandestin prévu par l’article L. 324-9 dudit Code ;

Attendu que X... a été également poursuivi du chef de travail clandestin, sur le fondement des articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail, pour avoir exercé l’activité d’agent de voyages en s’abstenant volontairement de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, et de procéder aux déclarations exigées par les organisations de protection sociale et par l’administration fiscale ;

Attendu que pour le déclarer coupable de ce chef, la cour d’appel relève d’abord que la société Y..., en délivrant dans son agence française des billets de voyages à destination du Maroc, comportant le coût du transport des voyageurs et la réservation de places à bord du ferry, effectuait, dans un but lucratif, une prestation de service au sens de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1975 alors en vigueur, devenu l’article 1er de la loi du 13 juillet 1992, fixant les conditions d’exercice des activité relatives à l’organisation et à la vente de voyages et de séjours ; que les juges précisent que cette activité, exercée sans la licence exigée par les lois précitées, est imputable à X..., président de la société, dont le représentant en France ne disposait d’aucun pouvoir et ne possédait pas la compétence nécessaire pour diriger l’établissement ;

Que la juridiction du second degré déduit de ces éléments de fait que la société “ exploitait une agence de voyages sans avoir procédé aux déclarations et immatriculation obligatoires rappelées dans la prévention “ ;

Mais attendu que si la cour d’appel a souverainement apprécié la valeur de la délégation de pouvoirs dont se prévalait le prévenu et si elle a retenu à bon droit que l’activité d’agent de voyages entrait dans les prévisions de l’article L. 324-10 du Code du travail, elle ne pouvait se borner à déduire l’existence du délit de travail clandestin du seul exercice, fût-il illicite, de cette activité ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si le prévenu avait omis de procéder à l’une ou l’autre des formalités visées à la prévention, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe susénoncé ;

Que la cassation est dès lors encourue de ce chef ;

Et attendu qu’en raison de l’indivisibilité existant entre la déclaration de culpabilité et les peines délictuelles prononcées, la cassation doit s’étendre à l’ensemble des dispositions de l’arrêt relatives aux délits dont le prévenu a été déclaré coupable ;

Par ces motifs :

DÉCLARE l’action publique ETEINTE des chefs de la contravention de transfert irrégulier de titre d’exploitation et du délit d’exercice d’une activité de transporteur public routier de personnes sans inscription au plan Ile-de-France ou étranger ;

CASSE ET ANNULE l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, en date du 31 mars 1994, mais en ses seules dispositions relatives aux délits d’exercice sans licence d’une activité d’agent de voyages, de travail clandestin à l’occasion de l’exploitation d’une agence de voyages, d’obstacle aux devoirs d’un inspecteur du Travail et au contrôle des conditions de travail dans les transports publics routiers, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris.

Publication : Bulletin criminel 1996 N° 201 p. 568

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 31 mars 1994

Titrages et résumés : 1° AMNISTIE - Textes spéciaux - Loi du 3 août 1995 - Amnistie de droit - Peines - Amende seulement encourue - Définition - Délit pouvant donner lieu à des sanctions administratives.

1° Selon l’article 2, alinéa 1er, de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés les délits punis seulement d’une peine d’amende, à l’exception de toute autre peine ou mesure susceptible d’être prononcée par une juridiction pénale. Tel est le cas du délit d’exercice d’une activité de transporteur public routier de personnes sans être inscrit à un plan ou à un registre correspondant à cette activité, prévu et réprimé par l’article 25-II-A de la loi de finances du 14 avril 1952 modifié, dans sa rédaction antérieure à la loi du 1er février 1995, ne pouvant donner lieu, outre la peine d’amende encourue, qu’au prononcé de sanctions administratives.

1° TRANSPORTS - Transports publics - Voyageurs - Exercice d’une activité de transporteur public routier de personnes sans inscription à un plan ou à un registre correspondant à cette activité - Amnistie - Textes spéciaux - Loi du 3 août 1995 - Amnistie de droit - Peines - Amende seulement encourue 2° TRAVAIL - Travail clandestin - Activités professionnelles visées par l’article L. 324-10 du Code du travail - Eléments constitutifs - Elément matériel.

2° Seule l’inobservation intentionnelle des formalités limitativement énumérées à l’article L. 324-10 du Code du travail caractérise le délit de travail clandestin prévu par l’article L. 324-9 dudit Code. Encourt, dès lors, la censure l’arrêt d’une cour d’appel qui, après avoir à bon droit retenu que l’activité d’agent de voyages entre dans les prévisions de l’article L. 324-10 précité, se borne à déduire l’existence du délit de travail clandestin de l’exercice d’une telle activité sans la licence exigée par l’article 1er de la loi du 11 juillet 1975 alors en vigueur, devenu l’article 1er de la loi du 13 juillet 1992, fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages et de séjours.

Textes appliqués :
* 1° :
* 2° :
* Code du travail L324-10, L324-9
* Loi 52-401 1952-04-14 art. 25-II-A (rédaction antérieure loi 95-96 1995-02-01)
* Loi 95-884 1995-08-03, art. 2, al. 1