Faux travailleur indépendant

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 janvier 2001

N° de pourvoi : 00-82341

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente janvier deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BEYER, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" X... Christian,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 4ème chambre, en date du 15 février 2000, qui, pour travail dissimulé, prêt lucratif de main-d’oeuvre et marchandage, l’a condamné à 200 000 francs d’amende et à 3 ans d’interdiction d’exercice de la profession de transporteur routier, a ordonné la publication et l’affichage de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L.120-3, L.125-1, L.125-3, L.152-3, L.324-9 à L.324-14, L.362-3 à L.362-6 du Code du travail, 123-1 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Christian X... coupable des délits de travail clandestin et de marchandage ;

”au motif que principalement il existerait un lien de subordination juridique caractérisant le contrat de travail entre la société Exapaq et les entreprises sous-traitantes ; que Christian X... a sciemment adhéré à un système ayant pour objet de réaliser une fraude à la loi ; qu’il était averti de telles difficultés pour avoir été condamné le 17 mars 1992 par le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône pour prêt de main d’oeuvre à but lucratif, hors du cadre légal du travail temporaire ;

”1 / alors que le travail salarié se distingue du travail indépendant essentiellement en ce que le salarié se trouve placé à l’égard de l’employeur dans un état de subordination juridique qui lui interdit de refuser la tâche confiée par ce dernier ; qu’en déniant aux sous-traitants la qualité de travailleurs indépendants sans rechercher s’ils avaient ou non la possibilité de refuser d’exécuter les missions confiées par la société Exapaq, la cour d’appel n’a pas caractérisé le lien de subordination juridique qui existerait entre cette société et les sous-traitants et a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;

”2 / alors qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que les sous-traitants organisaient librement leur tournée ;

que cette indépendance dans l’organisation du travail était exclusive d’une relation salariée entre ces sous-traitants et la société Exapaq ;

qu’en décidant le contraire, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qu’elles comportaient et a violé les textes visés au moyen ;

”3 / alors que les délits de travail clandestin et de marchandage sont des infractions intentionnelles ; qu’en se bornant à énoncer que Christian X... a sciemment adhéré à un système ayant pour objet de réaliser une fraude à la loi sans constater qu’il se serait soustrait intentionnellement à l’accomplissement de l’une des formalités prévues aux articles L.143-3 et L.620-3 du Code du travail (remise d’un bulletin de paie, tenue d’un registre unique du personnel), la cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel des infractions reprochées et a violé les textes visés au moyen” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit des parties civiles de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution, 6 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels L.362-4 du Code du travail, 591 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a fait interdiction à Christian X... d’exercer l’activité de transporteur routier pendant trois ans ;

”aux motifs que les circonstances de fait et la personnalité du prévenu conduisent à prononcer une telle mesure ;

”alors que toute personne a le droit de gagner sa vie par un travail librement choisi ; qu’ainsi les dispositions de l’article L. 362-4 du Code du travail, qui prévoient la possibilité de prononcer à l’encontre d’un prévenu l’interdiction d’exercer sa profession, sont incompatibles avec les dispositions conventionnelles précitées et ne peuvent par suite recevoir application” ;

Attendu que contrairement à ce que soutient le demandeur, l’interdiction professionnelle prononcée en application de l’article L.362-4 du Code du travail, n’est pas incompatible avec les dispositions conventionnelles invoquées, dès lors qu’elle ne fait pas obstacle à ce que le condamné puisse exercer toute autre activité autre que celle à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen, relevé d’office et pris de la violation des articles 111-3 et 111-35 du Code pénal, L.362-4-4 du Code du travail ;

Attendu qu’aux termes de l’article 111-3, alinéa 2, du Code pénal, nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ;

Attendu que, par l’arrêt attaqué, la cour d’appel, après avoir condamné le prévenu pour travail dissimulé, a ordonné l’affichage et la publication de la décision par voie de presse en application de l’article L.362-4-4 du Code de travail ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que ce dernier texte ne prévoit que l’affichage “ou” la publication de la décision, dans les conditions prévues par l’article 131-35 du Code pénal, l’arrêt encourt la cassation, laquelle sera limitée aux peines complémentaires prononcées contre le demandeur ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Lyon en date du 15 février 2000, en ses seules dispositions concernant les peines complémentaires prononcées contre le prévenu, toutes autres dispositions étant expréssément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Lyon, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Beyer conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Lyon, 4ème chambre du 15 février 2000

Titrages et résumés : (Sur le moyen relevé d’office) PEINES - Légalité - Peine non prévue par la loi - Travail clandestin - Peine complémentaire - Affichage et publication d’une condamnation (non).

Textes appliqués :
* Code du travail L362-4-4°
* Code pénal 111-3