Quasi co emploi - accident du travail mortel

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 décembre 2004

N° de pourvoi : 03-87015

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de Me BROUCHOT, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Jean-Claude,

contre l’arrêt de cour d’appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 2003, qui, pour homicide involontaire, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 28 février 1996, dans les locaux de l’entreprise Cometra, Serge Y..., employé de la société sous-traitante Separ, s’est mortellement blessé en tombant de l’échelle qu’il avait gravie pour effectuer une soudure sur un support de grue, insuffisamment stabilisé, qui était destiné à l’équipement d’un bateau ;

Attendu que Jean-Claude X... et Michel Z..., respectivement président de la société Cometra et gérant de la société Separ, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef d’homicide involontaire, sur le fondement des dispositions des articles 221-6, 221-8 et 221-10 du Code pénal, L. 263-2 du Code du travail, ainsi que des articles 4, 6, 7, 9 et 11 du décret du 29 novembre 1977 modifié fixant les prescriptions particulières d’hygiène et de sécurité applicables aux travaux de réparations navales exécutés dans un établissement par une entreprise extérieure ;

Attendu que les premiers juges ont déclaré la prévention non établie, aux motifs que l’absence d’indépendance des sociétés Cometra et Separ l’une par rapport à l’autre interdisait la mise en oeuvre du décret du 29 novembre 1977, et qu’aucune faute ne pouvait être retenue à l’encontre des deux prévenus sur le fondement de l’article 121-3 du Code pénal ;

Qu’infirmant partiellement le jugement entrepris, la cour d’appel a déclaré Jean-Claude X... seul coupable d’homicide involontaire ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4, 6, 7, 9, 11 du décret du 29 novembre 1977, 221-6 du Code pénal, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Claude X... coupable d’homicide involontaire pour avoir créé la situation ayant permis la réalisation du dommage par manquement dans l’organisation du travail et défaut de surveillance dû au fonctionnement de sa société sur le mode de la sous-traitance par le biais de deux sociétés créées et gérées par lui ;

”aux motifs que les sociétés Separ et Cometra n’étant pas, dans les faits, deux entreprises distinctes, la faute susceptible d’être retenue à la charge des prévenus ne peut trouver son origine dans une inobservation des dispositions du décret du 29 novembre 1977 ; qu’en revanche, Jean-Claude X..., par le choix qu’il a effectué de faire fonctionner la société Cometra essentiellement sur le mode de la sous-traitance, a créé au sein de cette société une confusion totale dans l’organisation du travail et le partage des tâches et des responsabilités génératrice d’une particulière insécurité pour les salariés dans l’accomplissement de leur travail et a créé la situation qui a permis la survenance de l’accident ; que l’accident est dû à un manquement dans l’organisation du travail et à un défaut total de surveillance imputable à Jean-Claude X... ; que Jean-Claude X... a créé la situation ayant permis la réalisation du dommage en manquant aux obligations précitées mises à sa charge ;

”alors, d’une part, que la juridiction de jugement ne peut légalement statuer sur des faits non compris dans sa saisine sans avoir préalablement recueilli le consentement du prévenu à être jugé sur ces faits nouveaux ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a déclaré Jean-Claude X... coupable d’homicide involontaire pour avoir créé la situation ayant permis la réalisation du dommage par manquement dans l’organisation du travail et défaut de surveillance dû au fonctionnement de sa société sur le mode de la sous-traitance par le biais de deux sociétés créées et gérées par lui, cependant qu’il lui était initialement reproché d’être responsable du décès de son salarié pour ne pas avoir respecté les procédures d’inspection des risques avec élaboration d’un plan de prévention prévues par le décret du 29 novembre 1977 lorsqu’une entreprise extérieure intervient ; qu’en jugeant le prévenu sur des faits non compris dans la prévention, sans qu’il ressorte des mentions de l’arrêt attaqué que celui-ci y ait expressément consenti, la cour d’appel a excédé les limites de sa saisine et a violé les articles 388 et 512 du Code de procédure pénale, ainsi que les droits de la défense ;

”alors, d’autre part, et en toute hypothèse, que les juges du fond ne peuvent requalifier les faits dont ils sont saisis qu’après avoir mis le prévenu en mesure de s’expliquer sur cette nouvelle qualification ; qu’à supposer que la cour d’appel ait retenu à l’encontre de Jean-Claude X... des faits compris dans la saisine, elle ne pouvait néanmoins les requalifier sans débat contradictoire ;

qu’en procédant à la “requalification” des faits de non-respect des procédures d’inspection des risques avec élaboration d’un plan de prévention prévues par le décret du 29 novembre 1977 en cas d’intervention d’une entreprise extérieure, en ceux de manquement dans l’organisation du travail et de défaut de surveillance dû au fonctionnement de sa société sur le mode de la sous-traitance par le biais de deux sociétés créées et gérées par lui, sans qu’il résulte d’aucune mention de l’arrêt attaqué, ni des pièces de la procédure, que le prévenu ait été mis en mesure de s’en défendre, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et a encore violé les articles 388 et 512 du Code de procédure pénale” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, 1 à 16 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Claude X... coupable d’homicide involontaire pour avoir créé la situation ayant permis la réalisation du dommage par manquement dans l’organisation du travail et défaut de surveillance dû au fonctionnement de sa société sur le mode de la sous-traitance par le biais de deux sociétés créées et gérées par lui ;

”aux motifs que Jean-Claude X..., par le choix qu’il a effectué de faire fonctionner la société Cometra essentiellement sur le mode de la sous-traitance, a créé au sein de cette société une confusion totale dans l’organisation du travail et le partage des tâches et des responsabilités génératrice d’une particulière insécurité pour les salariés dans l’accomplissement de leur travail et a créé la situation qui a permis la survenance de l’accident ; que si Serge Y... et M. A... ont pu commettre une imprudence en n’utilisant pas les deux tréteaux mis à leur disposition pour poser la pièce usinée dans une position stable, il n’en demeure pas moins que l’accident est dû avant tout à un manquement dans l’organisation du travail et à un défaut total de surveillance imputable à Jean-Claude X... qui, alors qu’il lui incombait de prendre toutes dispositions pour que les travaux accomplis dans l’atelier soient effectués sous la direction de personnes qualifiées et affectées à cette tâche dans des conditions leur permettant d’assurer une surveillance effective des opérations, a laissé au seul Michel Z... le soin de diriger une trentaine de personnes, de répartir le travail, d’en surveiller l’exécution et de veiller à la sécurité des salariés dans des conditions ne lui permettant pas d’accomplir sa tâche ;

que Jean-Claude X... ne rapporte pas la preuve que Claude B..., qui fut embauché en qualité de directeur technique et n’a donc eu aucune responsabilité dans la mise en place de cette organisation de travail génératrice des manquements constatés au sein de la société Cometra, ait eu, postérieurement à son embauche, le pouvoir de modifier cette organisation de travail ou de remédier à ses manquements et carences ; qu’il n’est donc pas fondé à invoquer une quelconque délégation de pouvoirs en faveur de Claude B... ; que Jean-Claude X..., qui a créé la situation ayant permis la réalisation du dommage en manquant aux obligations précitées mises à sa charge, a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité et qu’il ne pouvait ignorer ;

”alors, d’une part, que les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage ne sont pénalement responsables que lorsqu’elles ont commis une faute délibérée ou caractérisée qui a permis la réalisation de ce dommage ; que le choix de faire fonctionner une société essentiellement sur le mode de la sous-traitance n’est pas en soi constitutif d’une faute tel que cela ressort des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 qui définit et réglemente ce mode de fonctionnement ; que le seul fait que Jean-Claude X... ait choisi de faire fonctionner la société Cometra sur le mode de la sous-traitance ne suffit donc pas à caractériser une faute de l’employeur au sens de l’article 121-3 du Code pénal qui a été violé par la cour d’appel ;

”alors, d’autre part, que le délit d’homicide involontaire suppose un lien de causalité entre le manquement reproché au prévenu et le dommage causé ; qu’en l’espèce, il est constant que les salariés avaient été informés des consignes de sécurité à respecter qui consistaient à placer deux tréteaux perpendiculaires à toute pièce métallique importante usinée pour la maintenir stable, et que les salariés impliqués dans l’accident ont, de leur propre initiative et à l’insu de leurs supérieurs chargés de la sécurité, temporairement omis de faire usage des deux tréteaux qu’ils avaient à disposition ; qu’en retenant Jean-Claude X... dans les liens de la prévention, cependant que la situation ayant permis l’accident a été exclusivement créée par le salarié victime lui-même, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, en outre, qu’une contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu’en reprochant à Jean-Claude X... d’avoir commis une faute caractérisée, impliquant l’absence délibérée de toute prise de mesures de sécurité, par un manquement dans l’organisation du travail et un défaut total de surveillance, tout en relevant qu’il avait laissé à Michel Z... le soin de répartir le travail entre les salariés, d’en surveiller l’exécution et de veiller à leur sécurité, la cour d’appel s’est contredite et a violé l’article 593 du Code de procédure pénale ;

”alors, enfin, que dans ses conclusions d’appel (page 7, 4 ), Jean-Claude X... a fait valoir que Claude B... disposait du pouvoir de remédier à tout manquement constaté en matière de sécurité tel que cela s’évinçait notamment de sa décision de procéder d’autorité au démontage d’un pont roulant lui paraissant constituer un danger pour la sécurité des ouvriers ; qu’en écartant toute délégation de pouvoir consentie à Claude B... et en retenant Jean-Claude X... dans les liens de la prévention au motif qu’il ne rapportait pas la preuve que Claude B... avait le pouvoir de remédier aux manquements générés par l’organisation de travail mise en place, sans s’expliquer sur ce moyen péremptoire des conclusions d’appel de nature à caractériser la réalité d’une délégation de pouvoirs, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour retenir à la charge de Jean-Claude X... une faute caractérisée ayant exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, au sens de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, l’arrêt attaqué, après avoir relevé que la société Separ, émanation de la société Cometra privée de toute autonomie économique, administrative et financière, travaillait de façon exclusive et permanente en sous-traitance pour cette dernière société, retient que le prévenu, en faisant fonctionner l’entreprise grâce à des sociétés mises sur pied et gérées par ses soins, a créé, dans l’organisation du travail et le partage des responsabilités, une confusion totale, génératrice d’une particulière insécurité pour les salariés ; que les juges ajoutent que si la victime a pu commettre une imprudence en n’utilisant pas l’intégralité du matériel mis à sa disposition pour effectuer le travail demandé en toute sécurité, l’accident est dû avant tout à un manquement dans l’organisation du travail et à un défaut de surveillance imputables à Jean-Claude X..., alors qu’il lui incombait d’assurer la sécurité des salariés et de prendre toutes dispositions pour que les travaux accomplis dans l’établissement soient effectués sous la direction de personnes qualifiées et affectées à cette tâche dans des conditions leur permettant d’assurer une surveillance effective des opérations, ce qui n’était pas le cas du seul chef d’atelier de l’entreprise, Michel Z..., qui ne disposait pas des moyens matériels pour s’acquitter de sa tâche de surveillance ; que les juges précisent enfin que le prévenu n’établit pas que Claude B..., directeur technique prétendument délégataire de pouvoirs, ait été habilité à modifier l’organisation du travail initialement mise en place ;

Attendu qu’en statuant ainsi par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions des parties, la cour d’appel, qui s’est limitée à l’examen de la seule infraction d’homicide involontaire poursuivie, sans y substituer une autre qualification ni excéder sa saisine, a justifié sa décision ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre

Décision attaquée : cour d’appel de Rouen chambre correctionnelle , du 20 octobre 2003