Victime partie civile oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 5 mars 2013

N° de pourvoi : 12-82887

ECLI:FR:CCASS:2013:CR01312

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

Me Foussard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" M. Calogéro X...,

"-" La société bâtiment maçonnerie X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 24 février 2012, qui, pour blessures involontaires, infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité, exécution d’un travail dissimulé, les a condamnés, le premier, à trois mois d’emprisonnement avec sursis, la seconde, à 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 8, 14, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif ;

”en ce que l’arrêt attaqué a écarté l’exception de prescription invoquée par M. X... et la société Bâtiment Maçonnerie X..., ensemble confirmé le jugement et déclaré M. X... coupable de blessures involontaires ;

”aux motifs propres qu’il reste constant que la prescription de l’action publique avait été valablement interrompue par la plainte déposée le 2 novembre 2007 par la fille de M. Y..., plainte à la suite de laquelle a été diligentée une mesure d’enquête préliminaire, comportant divers actes interruptifs de prescription ; que l’exception préjudicielle soulevée par les prévenus s’avère non fondée et sera écartée ;

”et aux motifs adoptés qu’il est établi que l’accident est survenu le 20 avril 2007 ; que Mme Y... a déposé plainte au commissariat de Gonesse le 2 novembre 2007 ; que l’officier de police judiciaire a dressé un procès-verbal de la dénonciation de l’infraction qui constitue un acte interruptif de la prescription ; que lorsque les prévenus ont été cités devant le tribunal correctionnel en septembre 2010, la prescription n’était pas acquise ;

1°) “alors que, une plainte non assortie d’une constitution de partie civile n’est pas interruptive de prescription ; qu’en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

2°) “alors que, faute d’avoir décrit les actes qui ont pu être accomplis par l’autorité publique, d’en avoir rappelé au moins sommairement l’objet, ainsi que la date, les juges du fond n’ont pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, et ont entaché leur décision d’une insuffisance de motif ;

3°) “alors que, l’intervention de la police judiciaire par la réception d’une plainte simple ne peut être considérée comme interruptive de prescription, que si, ce dépôt s’inscrit dans le cadre d’une information et qu’il est suivi d’actes d’instruction ; que faute d’avoir constaté que tel était le cas en l’espèce, les juges du fond ont entaché leur décision d’une insuffisance de motif” ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 8, 14, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif ;

”en ce que l’arrêt attaqué a écarté l’exception de prescription invoquée par M. X... et la société Bâtiment Maçonnerie X..., ensemble confirmé le jugement et déclaré M. X... coupable de blessures involontaires ;

”aux motifs propres qu’il reste constant que la prescription de l’action publique avait été valablement interrompue par la plainte déposée le 2 novembre 2007 par la fille de M. Y..., plainte à la suite de laquelle a été diligentée une mesure d’enquête préliminaire, comportant divers actes interruptifs de prescription ; que l’exception préjudicielle soulevée par les prévenus s’avère non fondée et sera écartée ;

”et aux motifs adoptés qu’il est établi que l’accident est survenu le 20 avril 2007 ; que Mme Y... a déposé plainte au commissariat de Gonesse le 2 novembre 2007 ; que l’officier de police judiciaire a dressé un procès-verbal de la dénonciation de l’infraction qui constitue un acte interruptif de la prescription ; que lorsque les prévenus ont été cités devant le tribunal correctionnel en septembre 2010, la prescription n’était pas acquise ;

”alors qu’en toute hypothèse, à supposer qu’il y ait eu des actes susceptibles d’être considérés comme interruptifs de la prescription, faute pour les juges du fond d’avoir relaté la teneur de ces actes, leurs dates ainsi que les conditions dans lesquelles ils ont été accomplis, et d’avoir par suite recherché si au moins pour partie, les faits sur lesquels il a été statué ne tombaient sur le coup de la prescription, les juges du fond ont entaché leur décision d’insuffisance de motif” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite d’un accident, survenu le 20 avril 2007, à Rocquemont (Oise) sur un chantier de construction d’une maison individuelle, au cours duquel M. Silvestro Y... a été gravement blessé par le basculement d‘une pelleteuse, le procureur de la République a fait citer, directement, devant le tribunal correctionnel, par acte du 13 septembre 2010, M. X... et la société Bâtiment Maçonnerie X..., pour y répondre des délits de blessures involontaires, exécution d’un travail dissimulé et infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs ;

Que, pour rejeter l’exception de prescription de l’action publique soulevée par les prévenus, l’arrêt retient notamment que le cours de celle-ci a été valablement interrompu par la plainte déposée le 2 novembre 2007 par la fille de la victime auprès du commissariat de Gonesse ;

Attendu qu’en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que le procès-verbal établi par un officier ou un agent de police judiciaire agissant pour l’exécution de la mission qui lui est confiée par l’article 14 du code de procédure pénale, contenant la dénonciation d’une infraction pénale, constitue un acte d’instruction, au sens du premier alinéa de l’article 7 dudit code, interruptif de prescription ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 222-19, alinéa 1, L. 222-44, L. 222-46, L. 263-2-1, L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2, L. 263-6, alinéa 1, L. 362-6, alinéa 1, L. 362-3, alinéa 1, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 320, L. 143-3, L. 362-2-6, alinéas 2 et 3 du code du travail, ainsi que des articles 222-19, alinéa 1, 222-44, 222-46, 131-38, 131-39 1° à 5°, 8° et 9°, 121-2, 222-21 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société Bâtiment Maçonnerie X... coupables de blessures involontaires, de non-respect des mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité, et d’absence de déclaration nominative préalable à l’embauche, prononcé des sanctions pénales et reçu la constitution de partie civile de M. Y... ;

”aux motifs propres qu’en l’état des débats d’appel, et des éléments figurant au dossier de la procédure, il ne peut qu’être en fait comme en droit, constaté la culpabilité de M. X... et de la société Bâtiment Maçonnerie X..., ès qualités de personne morale pénalement responsable ; qu’il reste constant, que la prescription de l’action publique avait été valablement interrompue par la plainte déposée le 2 novembre 2007 par la fille de M. Y..., plainte à la suite de laquelle a été diligentée une mesure d’enquête préliminaire, comportant divers actes interruptifs de prescription ; que l’exception préjudicielle soulevée par les prévenus s’avère non fondée et sera écartée ; qu’il sera retenu, au vu des éléments débattus devant la cour, que M. Y... se trouvait bien au temps de l’accident, en action de travail pour le compte de la société Bâtiment Maçonnerie X..., et que M. X..., qui en était le gérant de fait et qui assurait la conduite du chantier, a bien été, par ses choix opérationnels et techniques, quant à l’organisation du chantier, à l’origine de la situation de danger, dans laquelle s’est trouvée placée la victime, peu important que cette dernière ait acceptée une situation de fait irrégulière quant à son emploi ; que de même, si M. X... n’était pas présent au temps de l’accident, pour autant celui-ci a procédé des modalités, avec lesquelles il a conduit ce chantier, en y affectant M. Y... à une tâche précise, sans avoir pris soin de vérifier si ce dernier avait l’autorisation de conduire une pelleteuse ni d’appeler son attention sur les risques présentés par le chantier, à raison notamment de la consistance du sous-sol à affouiller ni encore de s’assure user de son état de santé, dont il ne pouvait ignorer, s’agissant d’un parent proche, qu’il était pour le moins précaire ; que l’ensemble de ces manquements aux règles de sécurité, joint au fait que M. Y... travaillait sans être déclaré, ce que ce dernier n’ignorait pas, a bien contribué directement à la survenance de l’accident du 20 avril 2007, de sorte que la relaxe de M. X... du chef de blessures involontaires doit être infirmée ;

”et aux motifs adoptés que le 2 novembre 2007 Mme Y... déposait plainte, à la suite d’un accident dont avait été victime son père M. Y... le 20 avril précédent à Rocquemont (60) et qui l’avait rendu tétraplégique ; qu’elle expliquait qu’il était à la retraite depuis 1997 mais il travaillait ponctuellement pour la société X... dont le gérant de droit était M. Eric X... et le gérant de fait M. Calogéro X... ; qu’elle motivait son dépôt de plainte par l’absence d’arrangement amiable malgré les promesses de M. Eric X... ; qu’il résultait de l’ensemble des investigations que la société procédait à la construction d’une fosse sceptique au domicile de M. et Mme Z... ; que M. Y... expliquait avoir proposé son aide sur ce chantier, l’un des membres de la famille X... étant cousin de son épouse et s’être présenté le 16 avril sur les lieux ; qu’il devait être rémunéré 750 euros la semaine ; qu’au moment de l’accident il était avec un apprenti de peu d’expérience ; qu’il actionnait une pelleteuse dont le godet s’était coincé alors qu’il creusait à l’endroit prévu pour la fosse septique ; qu’en forçant pour le dégager, l’arrière de la pelleteuse s’était soulevé et l’ensemble avait basculé ; qu’il s’était cogné sur le pare-brise de l’engin ; qu’un bilan médical du 25 avril 2007 faisait état d’une tétraplégie ; qu’il était hospitalisé pendant onze mois ; qu’un certificat du 17 mars 2009 fixait l’incapacité totale de travail comme étant supérieure à quatre-vingt-dix jours ; qu’au 7 juin 2010, un rapport du centre hospitalier de Gonesse constatait qu’il pouvait faire quelques pas avec déambulateur, qu’il vivait à son domicile avec une auxiliaire de vie matin et soir ; que les responsables du chantier, MM. X... prévenaient les pompiers qui n’alertaient pas les gendarmes dans la mesure où le compte rendu qui leur était fait évoquait un accident “domestique” et non un accident du travail ; que de fait ni la gendarmerie, ni l’inspection du travail ni aucun service d’enquête n’a été alerté, il n’y a donc eu aucune constations d’effectuées ; que M. A..., l’apprenti, présent sur les lieux, déclarait n’avoir travaillé avec la victime que le vendredi 20 avril, la pelleteuse n’ayant pas été amenée avant par la société de location ; que M. Y... était bien sur le chantier pour travailler ; qu’il n’a pas été témoin de l’accident, il travaillait sur un faux plafond ; que les propriétaires des lieux, M. et Mme Z... n’avaient pas assisté à l’accident et au moment où M. Y... avait été ramené à l’intérieur, il leur avait été dit qu’il avait fait un malaise ; qu’ils n’excluaient pas qu’il ait travaillé dans la semaine ou bien qu’il soit venu quelques minutes essayer la pelleteuse ; que M. Antonio X..., père d’Eric X... gérant de la société, n’était pas présent le vendredi des faits ; que, bien que retraité, il aidait son fils et avait d’ailleurs amené la pelleteuse louée sur le chantier la veille de l’accident ; que M. Calogéro X..., fils d’Antonio et donc frère d’Eric, a participé à la création de la société X... en 1996 ; qu’il reconnaissait en être le gérant de fait ; qu’il n’a pas assisté à l’accident et suppose que M. Y... a du vouloir essayer la pelleteuse, il l’avait entendu proposer d’accompagner les ouvriers sur le chantier de la fosse septique après avoir amené un véhicule à réparer dans les locaux de la société ; que M. Calogéro X... contestait avoir confié un travail à M. Y... ; que s’il avait souhaité le faire travailler, il avait tout intérêt à le déclaré puisqu’eu égard à son âge il aurait perçu des aides de l’Etat ; qu’il affirmait avoir déclaré l’accident à son assureur, Areas assurances ; que la direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l’emploi n’avait pas été informée de l’accident ; qu’elle déposait un avis entre les mains du procureur de la République, en date du 9 août 2010 ; qu’elle considérait que M. Y... était en train d’exécuter un travail pour le compte de la société BMF, en se fondant sur le témoignage de M. A... apprenti, qui précisait qu’il n’était pas habilité à conduire la pelleteuse et qu’en l’absence d’autres salariés de la société la fosse sceptique devait quand même être creusée ; que, par ailleurs Mme B... s’était adressée aux secours en disant : “J’ai un de mes ouvriers qui a perdu connaissance(...)” ; que, dans la mesure où M. Y... n’avait pas été déclaré, l’employeur n’a pas satisfait à ses obligations : visite médicale obligatoire, formation du salarié à la sécurité et au poste de travail et délivrance de l’autorisation de conduite, défaut de formation à la conduite des équipements de travail mobiles automoteurs ; qu’il résulte des témoignages recueillis et l’analyse de l’inspection du travail que l’emploi de M. Y... avait été dissimulé, qu’il n’est aucunement justifié par l’employeur d’une autorisation de conduite, d’une formation à la sécurité et encore moins d’une visite médicale compte tenu de l’âge de la victime ; que, dans la mesure où les blessures de M. Y... ont pour cause l’utilisation d’une pelleteuse qui avait été mise à disposition par la société X... et que celle-ci n’a effectué aucune des diligences précitées imposées par la loi, les blessures constatées ont bien pour cause principale l’absence d’autorisation de conduite, de formation à la sécurité sur cet engin et l’absence de vérification sur l’état de santé M. Y... et sa capacité à conduire par une visite médicale ; que la société X... sera donc déclarée coupable de l’ensemble des infractions poursuivies ; qu’en revanche, il n’est pas établi par les investigations et témoignages que M. Antonio X... ait une quelconque responsabilité au sein de la société X... ; qu’il n’est pas intervenu dans le recrutement et l’encadrement de M. Y... ; qu’il sera donc relaxé des fins de la poursuite ; que, de même, l’analyse trois ans après les faits par l’inspection du travail ne permettait pas d’établir une quelconque faute directe et caractérisée du gérant de fait de la société X... ayant continuée à la réalisation du dommage ; qu’il sera également relaxé ; qu’en 2010, la société X... a réalisé un chiffre d’affaire de 400 000 euros et un résultat bénéficiaire de 20 000 euros ; que la gravité des blessures infligées à M. Y... et les ressources de la société justifient de la condamner à une amende de 10 000 euros ;

1°) “alors que, faute de s’être expliqués sur le point de savoir si, préalablement à l’accident, un contrat de travail a été conclu entre la société Bâtiment Maçonnerie X..., gérée par M. Calogéro X..., et M. Y..., comportant l’obligation pour l’entreprise de fournir du travail et de payer un salaire, et l’obligation pour le salarié de réaliser le travail, conformément aux instructions de l’entreprise, les juges du fond, qui n’ont pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, ont entaché leur décision d’une insuffisance de motif au regard des textes susvisés ;

”2°) “alors que, et en tout cas, faute de s’être expliqués sur le point de savoir si M. Y... n’avait pas pris d’initiative de se rendre sur le chantier de Senlis, d’y prendre en main une pelleteuse, en dehors de toute instruction de la part de la société Bâtiment Maçonnerie X... et de son dirigeant, et en tout cas à l’insu de celui-ci, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision d’une insuffisance de motif au regard des textes susvisés” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu, pour les écarter, aux chefs péremptoires des conclusions de la défense invoquant l’absence de relations de travail entre la société Bâtiment Maçonnerie X... et le salarié victime de l’accident alors que ce dernier oeuvrait pour le compte de son employeur au moment des faits , et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnels, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel d’Amiens , du 24 février 2012