Délai déclaration biennal par le salarié

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 14 février 2019

N° de pourvoi : 17-23003

ECLI:FR:CCASS:2019:C200201

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Flise (président), président

SCP Boulloche, SCP Boutet et Hourdeaux, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 441-2, second alinéa, du code de la sécurité sociale ;

Attendu, selon ce texte, que la déclaration d’accident du travail à la caisse peut être faite par la victime ou ses représentants jusqu’à l’expiration de la deuxième année qui suit l’accident ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. P... a été victime, le 11 janvier 2013, d’un accident alors qu’il travaillait pour M. V... ; que par jugement du 23 septembre 2013, ce dernier a été déclaré coupable des délits de travail dissimulé et de blessures involontaires ; que la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) ayant opposé un refus de prise en charge, M. P... a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident et de la faute inexcusable de M. V... ;

Attendu que pour reconnaître le caractère professionnel de l’accident, l’arrêt retient que celui-ci ayant eu lieu le 11 janvier 2013, il a été déclaré à la caisse par la victime le 13 octobre 2015, soit dans le délai qui expirait le 31 décembre 2015 ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le délai biennal courant à compter de l’accident était expiré à la date de la déclaration de la victime, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

Et attendu que les autres branches du moyen ne comportent pas de critiques des autres chefs du dispositif de l’arrêt attaqué par le pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il ordonne la prise en charge par la caisse de l’accident au titre de la législation professionnelle, l’arrêt rendu le 21 juin 2017, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. P... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’Avoir constaté que la déclaration d’accident du travail concernant l’accident du travail dont M. P... a été victime le 11 janvier 2013 a été faite le 13 octobre 2015, dans le délai prévu par l’article L. 441-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, et qu’elle n’encourt aucune forclusion, d’Avoir dit que l’absence de réponse de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches du Rhône doit prendre en charge dans le délai de trente jours ayant suivi cette déclaration emporte reconnaissance par l’organisme social du caractère professionnel de l’accident ; d’Avoir, dit que l’accident du travail du 11 janvier 2013 dont a été victime M. P... R... est dû à la faute inexcusable de son employeur, M. V... I... ; d’Avoir renvoyé M. P... devant les services de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches du Rhône pour y être rempli de l’intégralité de ses droits dans le cadre de la législation professionnelle, et sous le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur qui entraîne la majoration de la rente susceptible d’intervenir, d’Avoir ordonné d’ores et déjà la majoration de la rente dont M. P... pourrait devenir bénéficiaire et renvoyé la cause et les parties devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône, pour faire trancher les demandes indemnitaires après dépôt du rapport d’expertise ;

AUX MOTIFS QUE « Le 11 janvier 2013, M. P..., peintre de formation, qui travaillait sur un pont-levant (ou nacelle) pour réaliser une rénovation de façade sur un chantier situé à Marseille, a glissé et a fait une chute d’environ quatre mètres provoquant des fractures dorsales ; il a subi une intervention chirurgicale dès son admission à l’hôpital. Une ITT prévisible a été fixée à un an.

Lors de l’enquête de police, il a déclaré que depuis cinq ans il travaillait pour M. V... mais que, depuis décembre 2012, il n’avait pas de contrat de travail car la société n’existait plus ; il ne savait pas si, le jour de l’accident, il travaillait pour la société PRF gérée par M. V... ou par la société BMP gérée par un certain G... mais qu’en tout cas c’était M. V... qui lui avait dit de faire les travaux en façade le jour de son accident ; M. G... a contesté avoir embauché M. P... qui, le jour de l’accident travaillait bien pour M. V..., mais il a reconnu que M. V... le lui avait demandé car sa société PRF était en liquidation et qu’il s’était engagé à terminer le chantier que lui avait sous-traité le client, la société SPACE gérée par M. F... ; M. F... a envoyé son conducteur de travaux, M. J..., devant les enquêteurs et celui-ci a confirmé qu’à partir de février 2012, certains travaux avaient été confiés à la société PRF « hors contrat de sous traitance »pour la somme de 45 000 euros car il avait déjà fait travailler M. V.... Ce dernier a confirmé ces arrangements, évaluant le prix de sa prestation à 55 000 euros. M. G... est décédé 10 heures après son audition.

M. V... a été cité devant le tribunal correctionnel de Marseille le 11 septembre 2013 sous les préventions de travail dissimulé (pour deux ouvriers) et de blessures involontaires causées à M. P..., avec incapacité supérieure à 3 mois pour des travaux en hauteur sans équipement préservant du risque de chute, « dans le cadre d’une relation de travail, en qualité d’employeur. »

Par jugement du 23 septembre 2013, il a été reconnu coupable de ces infractions et condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 5.000 euros d’amende, outre des dommages-intérêts pour les membres de la famille de M. P... au titre de leur préjudice moral. Aucun appel n’a été relevé contre ce jugement.

La caisse primaire d’assurance maladie a refusé la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle en faisant valoir que la demande lui avait été faite, par la victime uniquement, plus de deux ans après l’accident.

I - Concernant la prise en charge de l’accident du 11 janvier 2013 au titre de la législation professionnelle, le tribunal a considéré qu’aucune demande n’avait été faite à la caisse primaire d’assurance maladie dans les deux ans ayant suivi l’accident et que celle-ci était fondée à refuser toute rente et indemnité.

M. P... dont l’appel est dirigé contre cette partie du dispositif de ce jugement, a fait valoir d’une part que la caisse primaire d’assurance maladie lui avait versé des indemnités journalières à partir du 11 janvier 2013 dans le cadre de l’assurance maladie et qu’elle avait donc eu une parfaite connaissance de ses arrêts de travail ; il a fait valoir d’autre part qu’il avait fait délivrer à la caisse une citation par acte d’huissier du 29 août 2013, pour comparaître à l’audience pénale du tribunal correctionnel devant lequel M. V... était poursuivi en sa qualité d’employeur, pour l’infraction de travail dissimulé et pour l’infraction de blessures involontaires commises dans le cadre du travail, mais qu’elle n’avait pas comparu ; il a fait valoir, enfin, qu’il avait saisi la caisse le 6 janvier 2015 d’une tentative de conciliation en vue de mettre en cause la faute inexcusable de son employeur et que cette réunion avait bien eu lieu sans remise en cause du caractère professionnel de l’accident. En conséquence, il a considéré que la caisse, qui était avisée de l’accident du travail dès le 29 août 2013, ne pouvait valablement lui opposer la forclusion de deux ans pour défaut de déclaration dans les deux ans suivant l’accident.

La caisse primaire d’assurance maladie a fait valoir qu’elle n’avait pas reçu de déclaration d’accident du travail ni de la part de l’employeur, ni de la part de la victime dans le délai de deux ans. Elle a considéré que, ni la citation devant le tribunal correctionnel, ni la tentative de conciliation organisée en janvier 2015, à la demande de la victime qui voulait engager une action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ne valaient déclaration d’accident du travail et n’emportaient reconnaissance, par ses services, du caractère professionnel de l’accident. Elle a fait valoir que la déclaration d’accident du travail lui avait été présentée plus de deux ans après l’accident, le 13 octobre 2015, par une lettre de l’avocat de la victime, ce qui lui permettait d’opposer la forclusion à ses demandes de rente et de prestations sociales.

La Cour rappelle que, si l’employeur ne procède pas à la déclaration d’accident du travail à l’organisme social, « la déclaration à la caisse peut être faite par la victime ou ses représentants jusqu’à l’expiration de la deuxième année qui suit l’accident » (article L. 441-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale). L’accident ayant eu lieu le 11 janvier 2013, ce délai a expiré le 31 décembre 2015. La déclaration faite par lettre du 13 octobre 2015 par laquelle il lui était demandé d’instruire la demande de reconnaissance de l’accident du travail, et dont la caisse reconnaît expressément qu’elle valait déclaration d’accident du travail, a donc été faite dans le délai.

Ni la caisse ni M. V... ne peuvent se prévaloir d’une forclusion.

La caisse disposait déjà du certificat médical initial en arrêt maladie mais pouvait solliciter des documents complémentaires si elle l’estimait nécessaire. L’absence de réponse ou de réaction de la caisse dans le délai de 30 jours ayant suivi cette déclaration emporte reconnaissance du caractère professionnel de l’accident (article R441-10 du code de la sécurité sociale).

La Cour, sans avoir à répondre aux arguments présentés par l’appelant et par la caisse, infirme le jugement sur ce point. »

ALORS DE PREMIERE PART QUE selon le dernier alinéa de l’article L. 441-2 du code de la sécurité sociale un accident du travail peut être déclaré à la caisse « par la victime ou ses représentants jusqu’à l’expiration de la deuxième année qui suit l’accident. » ; qu’en l’espèce, M. P... avait donc jusqu’au 10 janvier 2015 pour déclarer l’accident dont il avait été victime le 11 janvier 2013 ; qu’en retenant, pour condamner la CPCAM des Bouches du Rhône à prendre cet accident en charge à titre personnel, que la déclaration d’accident du travail concernant cet accident « a été faite le 13 octobre 2015, dans le délai prévu par l’article L. 441-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale » de sorte qu’elle n’encourt aucune forclusion et que l’absence de réponse de la CPCAM des Bouches du Rhône dans le délai de trente jours suivant cette déclaration emporte reconnaissance par l’organisme social du caractère professionnel de l’accident, la cour d’appel a violé par fausse application l’article L. 441-2 du code de la sécurité sociale ;

ALORS DE DEUXIEME PART QUE selon l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale « Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par » le livre IV du code de la sécurité sociale, celui afférent aux accidents du travail et maladies professionnelles, « se prescrivent par deux ans à dater

du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière » ; qu’en condamnant la CPCAM des Bouches du Rhône a remplir M. P... de l’intégralité de ses droits dans le cadre de la législation professionnelle pour les prestations en rapport avec l’accident le 11 janvier 2013 sans tenir compte de cette prescription, la cour d’appel a derechef violé l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale ;

ALORS DE TROISIEME PART QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé d’office le moyen pris de l’existence d’une décision de reconnaissance du caractère professionnel résultant du silence gardé par la CPCAM des Bouches du Rhône après réception du courrier du conseil de l’assuré, M. P..., en date du 13 octobre 2015 ; qu’en relevant d’office ce moyen sans avoir au préalable invité les parties à s’en expliquer , le Tribunal a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

ALORS DE QUATRIEME ET DERNIERE PART QU’il résulte de l’article R. 441-10 du code de la sécurité sociale que le délai de trente jours imparti à la caisse pour statuer sur le caractère professionnel d’un accident ne commence à courir qu’à compter de la réception de la déclaration d’accident et du certificat médical ; qu’en retenant, pour condamner la CPCAM des Bouches du Rhône à prendre en charge l’accident litigieux à titre professionnel, d’une part, l’absence de réponse ou de réaction de la CPCAM dans le délai de trente jours ayant suivi la réception de la lettre par laquelle, le 13 octobre 2015, l’avocat de l’assuré, M. P..., avait demandé la prise en charge de l’accident à titre professionnel et, d’autre part que la CPCAM : « disposait déjà du certificat médical initial en arrêt maladie », la cour d’appel a violé l’article R. 441-10 du code de la sécurité sociale.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 21 juin 2017