Contribution spéciale - relaxe non opposable

Conseil d’État

N° 85627
ECLI:FR:CESJS:1989:85627.19891106
Inédit au recueil Lebon
1 SS
Faure, rapporteur
Mme de Clausade, commissaire du gouvernement

Lecture du 6 novembre 1989
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 9 mars 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la société anonyme CARREFOUR, agissant par sa succursale d’Ivry-Bord-de-Seine dont le siège est ... représentée par ses mandataires sociaux domiciliés audit siège, et tendant à ce que le Conseil d’Etat :
1° annule le jugement en date du 9 décembre 1986 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation du rejet implicite du recours gracieux qu’elle avait formé le 16 juillet 1985 contre l’état exécutoire émis à son encontre le 17 mai 1985 par le directeur de l’office national d’immigration pour le paiement de la contribution spéciale prévue par l’article L.341-7 du code du travail, ensemble cette décision ;
2° annule pour excès de pouvoir ces deux décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
 le rapport de M. Faure, Maître des requêtes,
 les observations de Me Luc-Thaler, avocat de la société anonyme CARREFOUR et de la SCP Defrénois, Lévis, avocat de l’office des migrations internationales,
 les conclusions de Mme de Clausade, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L.341-6 du code du travail : "Il est interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France lorsque la possession de ce titre est exigée en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux" ; que le même code dispose, en son article L.341-7, que : "Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L.341-6, 1er alinéa sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’office national de l’immigration" ; que, selon l’article R.341-33 du code : "Un exemplaire des procès-verbaux établis par les fonctionnaires chargés du contrôle de l’application du droit du travail ou par les officiers et agents de police judiciaire et constatant les infractions aux dispositions du premier alinéa de l’article L.341-6 du présent code est transmis au directeur du travail et de la main-d’oeuvre du département dans lequel l’infraction a été constatée ou au fonctionnaire qui en assume les attributions en raison de la nature de l’activité exercée par l’employeur. Le directeur du travail et de la main-d’oeuvre ou le fonctionnaire compétent indique à l’employeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, que les dispositions de l’article L.341-7 lui sont applicables et qu’il peut lui présenter ses observations dans un délai de quinze jours ..." ;
Considérant, en premier lieu, que l’état exécutoire émis à l’encontre de la société anonyme CARREFOUR lui a été notifié par une lettre du 7 mai 1985 qui faisait référence à une précédente lettre du 19 décembre 1984 informant le directeur de l’hypermarché "Carrefour" d’Ivry-sur-Seine de ce que : "Lors d’un contrôle effectué le 5 septembre 1984 dans votre entreprise, a été relevée par un procès-verbal en date du 30 octobre 1984 la présence des ressortissants étrangers dont les noms suivent : M. Said Hachim B... Mohamed, Mme Ramiandrisoa C... épouse Z..., Mme Dahmane X..., M. Rjah A..., M. Said Ahmed Y... Salik, employés en infractions aux dispositions de l’article L.341-6, premier alinéa, du code du travail qui fait interdiction à tout employeur d’occuper à son service un étranger dépourvu de titre l’autorisant à travailler. Un procès-verbal a donc été établi et transmis à M. le Procureur de la République aux fins de poursuites" ; que la notification du 7 mai 1985 énonçait ensuite : "Conformément aux dispositions des articles R.341-34 et R.341-35 du code du travail, au vu des procès-verbaux établissant les infractions qui m’ont été transmis, j’ai décidé de vous appliquer les contributions spéciales correspondantes" ; qu’ainsi le directeur de l’office national d’immigration doit être regardé comme ayant satisfait aux obligations de la loi du 11 juillet 1979 relatives à la motivation des actes administratifs ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L.611-10 du même code : "Les inspecteurs du travail et de la main-d’oeuvre et les ingénieurs des mines constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Ces procès-verbaux sont dressés en double exemplaire dont l’un est envoyé au préfet du département et l’autre est déposé au Parquet. En cas d’infraction aux dispositions relatives à la durée du travail, un troisième exemplaire est établi et est remis au contrevenant." ; que si la société CARREFOUR soutient que le procès-verbal dressé le 30 octobre 1984 aurait dû lui être adressé à peine d’entacher la procédure de nullité, il résulte des dispositions précitées de l’article L.611-10 du code du travail que les procès-verbaux constatant les infractions à la législation du travail autres que les dispositions relatives à la durée du travail sont seulement dressés en double exemplaire pour être envoyés au préfet du département et au Parquet ; qu’ainsi la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’un exemplaire du procès-verbal établi le 30 octobre 1984 aurait dû lui être transmis ; qu’en outre, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la lettre du directeur départemental du travail et de l’emploi en date du 19 décembre 1984 par laquelle, conformément aux dispositions de l’article R.341-33 du code du travail, il indiquait à la société CARREFOUR que les dispositions de l’article L.341-7 lui étaient applicables et qu’elle pouvait lui présenter ses observations dans un délai de quinze jours contenait l’exposé des faits constitutifs de l’infraction reprochée à la société ;

Considérant, en troisième lieu, que si la société anonyme CARREFOUR fait valoir que les salariés en cause n’étaient pas des travailleurs clandestins, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision attaquée qui a été prise en application de l’article L.341-7 du code du travail interdisant l’emploi des étrangers en situation irrégulière et non de l’article L.324-9 du même code relatif au travail clandestin ;
Considérant, en quatrième lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction ou d’une amende administrative ; que si, par un arrêt du 28 octobre 1986, la Cour d’appel de Paris, après avoir prononcé à l’encontre du directeur de l’hypermarché précité une amende de 5000 F pour l’emploi de deux des cinq salariés étrangers en violation de l’article L.341-6 du code du travail, a relaxé ce directeur pour l’emploi des trois autres salariés au motif qu’il y avait un doute sur les éléments de l’infraction, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que la contribution spéciale instituée par l’article L.341-7 fût mise à la charge de la société pour l’emploi des trois salariés concernés dès lors qu’il résulte de l’instruction que lesdits salariés n’étaient pas, au moment du contrôle susmentionné, munis de titres les autorisant à exercer une activité salariée en France ;

Considérant, enfin, que si la société anonyme CARREFOUR se prévaut d’une circulaire du 11 juillet 1977 par laquelle le ministre du travail avait institué en faveur des ressortissants comoriens un régime d’autorisation de travail plus favorable que le régime de droit commun applicable aux étrangers pour tenir compte de la possibilité offerte aux intéressés d’opter dans un certain délai pour la nationalité française, il est constant qu’à la date de la décision attaquée, ce délai était expiré et que les deux salariés comoriens en cause n’avaient pas opté pour la nationalité française ; que, par suite, la société requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer la circulaire susmentionnée pour soutenir que les dispositions des articles L.341-6 et L.341-7 du code du travail n’étaient pas applicables à ces deux salariés ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société anonyme CARREFOUR n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’état exécutoire émis le 17 mai 1985 par l’agent comptable de l’office national d’immigration au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L.341-7 du code du travail pour l’emploi irrégulier de cinq travailleurs étrangers ;
Article 1er : La requête de la société anonyme CARREFOUR est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme CARREFOUR, à l’office des migrations internationales et au ministre du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.