Détermination de la prescription pertinente : triennale ou quinquennale

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 18 février 2021, 19-14.476, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2

N° de pourvoi : 19-14.476
ECLI:FR:CCASS:2021:C200124
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 18 février 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Besançon, du 29 janvier 2019

Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION


Audience publique du 18 février 2021

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 124 FS

Pourvoi n° C 19-14.476

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 FÉVRIER 2021

La caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) de Franche-Comté, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° C 19-14.476 contre l’arrêt n° RG : 17/02169 rendu le 29 janvier 2019 par la cour d’appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l’opposant à M. A... P..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Gauthier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la caisse de mutualité sociale agricole de Franche-Comté, et l’avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l’audience publique du 13 janvier 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Gauthier, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Taillandier-Thomas, Coutou, Renault-Malignac, M. Rovinski, Mmes Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Le Fischer, Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Besançon, 29 janvier 2019, RG n° 17/02169), M. P... (le cotisant) ayant omis de déclarer au centre de formalités des entreprises de la chambre d’agriculture une activité de vente de sapins de Noël, la caisse de mutualité sociale agricole de Franche-Comté (la caisse) a procédé à un contrôle ayant conduit à l’établissement, le 19 janvier 2016, d’un procès-verbal de travail dissimulé par dissimulation d’activité. Après lui avoir adressé deux lettres d’observations, les 30 novembre 2015 et 15 janvier 2016, elle a mis en demeure le cotisant, le 21 mars 2016, de régler les cotisations sociales dues au titre des années 2005 à 2014.

2. Le cotisant a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l’arrêt d’infirmer la décision de la commission de recours amiable du 15 septembre 2016 et de limiter à une certaine somme le montant des cotisations dues par le cotisant pour la période de 2011 à 2014, alors « que sauf le cas de fraude ou de fausse déclaration, les cotisations dues au titre des régimes de protection sociale agricole, et les pénalités de retard y afférentes, se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues ; que les cas de fraude ou de fausse déclaration ont expressément été exclus par le législateur du champ de la prescription triennale, sans renvoi vers les dispositions du code de la sécurité sociale ; qu’ainsi, en cas de fraude ou de fausse déclaration, il y a lieu d’appliquer la prescription civile de droit commun pour le recouvrement des cotisations sociales agricoles ; que pour déclarer l’action de la CMSA de Franche-Comté prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2011, la cour d’appel a jugé qu’à défaut de dispositions spéciales qui prévoiraient un autre délai de prescription en cas de fraude pour les cotisations de nature agricole, la caisse ne pouvait procéder au redressement que des cotisations exigibles au cours des cinq années civiles précédant l’année du redressement ainsi que les cotisations exigibles au cours de l’année de ce dernier conformément à l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale ; que l’application de la prescription civile de droit commun permettait pourtant à la caisse de recouvrer les cotisations dues, dans la limite de vingt ans à compter de la naissance du droit ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé ce texte et les articles L. 725-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version en vigueur au moment du litige, 2224 et 2232 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Selon l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, applicable au litige, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

5. En application de l’article L. 725-7, I, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, applicable au litige, sauf le cas de fraude ou de fausse déclaration, les cotisations dues au titre des régimes de protection sociale agricole et les pénalités de retard y afférentes se prescrivent par trois ans à compter de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues.

6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les cotisations dues au titre des régimes agricoles se prescrivent, en cas de fraude ou de fausse déclaration, par cinq ans à compter de l’expiration de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues.

7. L’arrêt constate que la mise en demeure a été adressée le 21 mars 2016.

8. Il s’ensuit que, par application de la prescription quinquennale, les cotisations antérieures au 1er janvier 2011 étaient prescrites.

9. Par ce seul motif, substitué d’office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée du chef attaqué.

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. La caisse fait le même grief à l’arrêt, alors « que toute décision doit être motivée à peine de nullité ; que la CMSA de Franche-Comté sollicitait la validation des mises en demeure des 19 août 2016, 3 novembre 2017 et 23 février 2018, pour un montant total de 19 510,11 euros correspondant aux majorations de retard et supplémentaires ; qu’en n’accueillant pas cette demande, qu’elle avait pourtant expressément rappelée, sans aucun motif, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. En application de l’article 616 du code de procédure civile, lorsque le jugement peut être rectifié en vertu de l’article 463 du même code, le pourvoi n’est ouvert qu’à l’encontre du jugement statuant sur la rectification.

12. Il ressort du dispositif de l’arrêt attaqué que la cour d’appel n’a pas statué sur la demande de la caisse tendant à la validation des mises en demeure des 19 août 2016, 3 novembre 2017 et 23 février 2018, correspondant aux majorations de retard et supplémentaires.

13. L’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse de mutualité sociale agricole de Franche-Comté aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la caisse de mutualité sociale agricole de Franche-Comté

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé la décision de la commission de recours amiable du 15 septembre 2016 en ce qu’elle avait maintenu l’intégralité du redressement opéré à l’encontre de M. A... P... et d’avoir condamné M. A... P... à ne payer à la CMSA de Franche-Comté que la somme de 5.039 euros au titre des cotisations dues entre 2011 et 2014 ;

AUX MOTIFS QUE sur la prescription, sur les conséquences de la fraude, il résulte de l’application combinée des article L. 725-5 du code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale que les actions résultant du recouvrement de cotisations dues suite à un cas de fraude ou de fausses déclarations se prescrivent par cinq ans à compter de la mise en demeure ; qu’il est de jurisprudence constante que le délai de prescription court à compter du jour où l’organisme social a eu connaissance du travail dissimulé ; que contrairement à ce que prétend la mutualité sociale agricole de Franche-Comté, celle-ci ne peut, dès lors qu’elle n’a eu connaissance de la fraude reprochée à M. A... P... que par procès-verbal de ses agents du 19 janvier 2016 et à défaut de dispositions spéciales qui prévoiraient un autre délai de prescription en cas de fraude pour les cotisations de nature agricole, procéder au redressement des cotisations exigibles qu’au cours des cinq années civiles précédant l’année du redressement ainsi que des cotisations exigibles au cours de l’année de ce dernier conformément à l’article L. 244-3 susvisé ; qu’il convient en conséquence de déclarer l’action de la mutualité sociale agricole de Franche-Comté prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2011 et de dire que l’action n’est recevable que pour les cotisations exigibles depuis l’année 2011 ; que sur le montant du redressement, il y a lieu de rappeler que seul le principe du redressement ainsi que le délai de prescription étaient contestés par les parties, mais pas le mode de calcul des cotisations litigieuses ; qu’au regard des observations ci-dessus, l’organisme social est ainsi en droit de recouvrer au titre du redressement litigieux les cotisations suivantes, année 2011 : 1.146 euros, année 2012 : 1.255 euros, année 2013 : 1.298 euros, année 2014 : 1.340 euros, total : 5.039 euros ; qu’il convient en conséquence d’infirmer en ce sens le jugement déféré et de condamner M. A... P... à payer à la CMSA de Franche-Comté la somme de 17.950 euros au titre des cotisations dues entre 2011 et 2014 ;

1°) ALORS QUE sauf le cas de fraude ou de fausse déclaration, les cotisations dues au titre des régimes de protection sociale agricole, et les pénalités de retard y afférentes, se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues ; que les cas de fraude ou de fausse déclaration ont expressément été exclus par le législateur du champ de la prescription triennale, sans renvoi vers les dispositions du code de la sécurité sociale ; qu’ainsi, en cas de fraude ou de fausse déclaration, il y a lieu d’appliquer la prescription civile de droit commun pour le recouvrement des cotisations sociales agricoles ; que pour déclarer l’action de la CMSA de Franche-Comté prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2011, la cour d’appel a jugé qu’à défaut de dispositions spéciales qui prévoiraient un autre délai de prescription en cas de fraude pour les cotisations de nature agricole, la caisse ne pouvait procéder au redressement que des cotisations exigibles au cours des cinq années civiles précédant l’année du redressement ainsi que les cotisations exigibles au cours de l’année de ce dernier conformément à l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale ; que l’application de la prescription civile de droit commun permettait pourtant à la caisse de recouvrer les cotisations dues, dans la limite de vingt ans à compter de la naissance du droit ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé ce texte et les articles L. 725-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version en vigueur au moment du litige, 2224 et 2232 du code civil ;

2°) ALORS QUE toute décision doit être motivée à peine de nullité ; que la CMSA de Franche-Comté sollicitait la validation des mises en demeure des 19 août 2016, 3 novembre 2017 et 23 février 2018, pour un montant total de 19.510,11 euros correspondant aux majorations de retard et supplémentaires ; qu’en n’accueillant pas cette demande, qu’elle avait pourtant expressément rappelée (arrêt, p. 3 § 9), sans aucun motif, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:C200124