Commerce sur marché - entraide familiale oui

CAA de NANCY

N° 18NC00731-18NC00737

Inédit au recueil Lebon

3ème chambre

M. WURTZ, président

M. Eric MEISSE, rapporteur

Mme SEIBT, rapporteur public

SCHEGIN, avocat(s)

lecture du mardi 3 mars 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code du travail ;

 le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. B...,

 et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 18NC00731 et 18NC00737 concernent la situation d’un même employeur. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Ressortissant équatorien né le 16 décembre 1980 et entré en France le 28 mars 2003, M. A... G... est titulaire d’une carte de résident depuis le 25 juin 2006. Autorisé à travailler sur le territoire français, il exerce, depuis le 1er octobre 2009, une activité de commerce ambulant sur les foires et les marchés, spécialisée dans la vente de vêtements et de produits artisanaux en provenance d’Amérique latine. Le 4 juillet 2015, les services de l’inspection du travail ont procédé, à Sarrebourg, lors de la braderie annuelle, au contrôle de son stand. Ils ont constaté la présence en situation de travail de Mme E... F..., ressortissante équatorienne née le 10 octobre 1982. Non déclarée auprès des organismes sociaux compétents, cette dernière, qui est l’épouse du requérant, ne justifie d’aucun document l’autorisant à travailler et à séjourner en France. En application des dispositions du second alinéa de l’article L. 8271-17 du code du travail, le procès-verbal de constatation des infractions été transmis à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui, par un courrier du 18 août 2015, a informé le requérant que l’emploi d’un étranger sans titre de travail et de séjour était susceptible de donner lieu au versement, à son profit, de la contribution spéciale, prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, instituée à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’intéressé ayant présenté ses observations écrites le 27 août 2015, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, par une décision du 15 octobre 2015, a mis à la charge de M. G... les sommes de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale et de 3 266 euros au titre de la contribution forfaitaire de réacheminement. Le 23 octobre 2015, deux titres de perception ont été émis en vue du recouvrement des sommes en cause. Le requérant a saisi les tribunaux administratifs de Châlons-en-Champagne et de Strasbourg de demandes tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision du 15 octobre 2015, à celle des titres de perception émis le 23 octobre 2015 et à la décharge du paiement des sommes en cause, à titre subsidiaire, à ce que le montant de la contribution spéciale mis à sa charge soit réduit à 2 000 fois le taux horaire minimum garanti. Par un jugement n° 1502408 et 1502723 du 11 janvier 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, auquel la présidente du tribunal administratif de Strasbourg avait transmis la demande adressée à cette juridiction, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande concernant la somme mise à la charge de l’intéressé au titre de la contribution spéciale, en tant qu’elle excède le montant de 11 734 euros, a réduit le montant de la contribution spéciale à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. G... relève appel de ce jugement uniquement en tant qu’il met à sa charge un montant de contribution spéciale correspondant à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti. L’Office français de l’immigration et de l’intégration relève appel du même jugement en tant qu’il a partiellement fait droit à la demande de M. G....

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l’article R. 8253-4 du code du travail : “ A l’expiration du délai fixé, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration décide, au vu des observations éventuelles de l’employeur, de l’application de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. / La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine. “. Aux termes de l’article 118 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : “ Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer. / La réclamation doit être déposée, sous peine de nullité : / 1° En cas d’opposition à l’exécution d’un titre de perception, dans les deux mois qui suivent la notification de ce titre ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause ; / 2° En cas d’opposition à poursuites, dans les deux mois qui suivent la notification de l’acte de poursuite. / L’autorité compétente délivre un reçu de la réclamation, précisant la date de réception de cette réclamation. Elle statue dans un délai de six mois dans le cas prévu au 1° et dans un délai de deux mois dans le cas prévu au 2°. A défaut d’une décision notifiée dans ces délais, la réclamation est considérée comme rejetée. “

4. Il résulte de l’instruction que M. G... n’a formé aucune réclamation préalable à l’encontre du titre de perception en litige et a déféré directement ce titre au tribunal. Par suite, faute d’avoir été précédée de la réclamation prévue par les dispositions de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012, la demande de première instance est irrecevable en tant qu’elle est dirigée contre le titre de perception émis le 23 octobre 2015 et doit, dans cette mesure, être rejetée.

Sur le bien-fondé du jugement de première instance :

En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation de la décision du 15 octobre 2015 et à fin de décharge présentées par M. G... :

5. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. “. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. “. Aux termes de l’article R. 8253-2 du code du travail : “ I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l’infraction, du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l’un ou l’autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d’infraction ne mentionne pas d’autre infraction commise à l’occasion de l’emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l’employeur s’est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l’article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l’hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d’infraction ne mentionne l’emploi que d’un seul étranger sans titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. / IV.- Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu’une méconnaissance du premier alinéa de l’article L. 8251-1 a donné lieu à l’application de la contribution spéciale à l’encontre de l’employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l’infraction. “.

6. D’une part, l’infraction aux dispositions précitées de l’article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. D’autre part, la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l’autorité de son cocontractant, lequel dispose de la faculté de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution dudit contrat et de sanctionner les manquements de son subordonné. Dès lors, pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l’autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d’établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu’il emploie.

7. Il résulte des énonciations du procès-verbal de constatation des infractions, dressé à Sarrebourg le 4 juillet 2015 par un inspecteur du travail et un contrôleur du travail de l’Unité régionale d’appui et de contrôle chargée de la lutte contre le travail illégal au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Lorraine, dont les mentions font foi jusqu’à preuve du contraire, conformément aux dispositions du premier alinéa des articles L. 8113-7 et L. 8271-8 du code du travail, que, le jour même, à 10 heures 30 et à 15 heures 40, Mme F..., épouse de M. G..., a été aperçue derrière le stand de son mari en situation de travail, occupée à conseiller les clients, à encaisser la contrepartie monétaire de leurs achats et à disposer des vêtements achetés dans un sachet. Toutefois, ni ces énonciations, ni aucune autre pièce du dossier, ne permettent d’établir que l’intéressée, qui déclare résider habituellement en Espagne, où elle exerce la profession de femme de ménage, et être venue rendre visite à son conjoint le week-end avec leurs deux filles mineures, aurait effectué le travail litigieux en échange d’une rémunération, que lui aurait versée M. G..., ni qu’elle aurait été placée dans un lien de subordination hiérarchique à l’égard de ce dernier, dont elle aurait reçu des ordres et des directives. Si le procès-verbal fait également état de ce que le requérant a déjà été sanctionné à Lunéville, le 20 février 2012, pour des faits similaires impliquant son épouse et de ce que celle-ci a admis avoir pour habitude d’aider l’intéressé dans ces conditions quand elle le rejoint en France, de telles circonstances ne suffisent pas à démontrer l’existence d’une relation de travail, qui excèderait le cadre de la simple entraide familiale. Au surplus, il est constant que M. G... a été relaxé, le 6 décembre 2016, par le tribunal correctionnel de Chaumont pour les faits de travail dissimulé et d’emploi irrégulier d’un étranger, pour lesquels il était poursuivi pénalement, et que, en conséquence de ce jugement de relaxe, la commission de recours amiable de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocations familiales de Champagne-Ardenne a, le 19 mai 2017, annulé la mise en demeure, qui lui avait été adressée le 28 février 2017, de régler une somme globale de 5 379 euros au titre des cotisations patronales dues pour l’embauche dissimulée de son épouse.

8. Il résulte de ce qui précède que M. G... est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a laissé à sa charge un montant de contribution spéciale correspondant à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti. Par suite, il est également fondé à demander l’annulation de la décision du 15 octobre 2015 en tant qu’elle met à sa charge un montant de contribution spéciale correspondant à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti et à être intégralement déchargé du paiement de la somme en cause.

En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation présentées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration :

9. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration tendant à l’annulation du jugement de première instance en tant qu’il a réduit le montant de la contribution spéciale mise à la charge de M. G... de 5 000 à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais de justice :

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de M. G..., qui n’est pas la partie perdante, la somme réclamée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration le versement à M. G... de la somme totale de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 15 octobre 2015 est annulée en tant qu’elle met à la charge de M. G... un montant de contribution spéciale correspondant à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti.

Article 2 : M. G... est déchargé du paiement de la somme correspondante.

Article 3 : Le jugement n° 1502408, 1502723 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 janvier 2018 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L’Office français de l’immigration et de l’intégration versera à M. G... la somme totale de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. G... est rejeté.

Article 6 : La requête de l’Office français de l’immigration et de l’intégration est rejetée.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G... et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.