Conseil d’Etat - transmission QPC Conseil constitutionnel

Conseil d’État

N° 404240

ECLI:FR:CECHR:2016:404240.20161228

Inédit au recueil Lebon

1ère - 6ème chambres réunies

M. Frédéric Pacoud, rapporteur

M. Jean Lessi, rapporteur public

lecture du mercredi 28 décembre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Clos Teddi, à l’appui de sa demande tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision du 23 septembre 2015 par laquelle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge les sommes de 7 040 euros au titre de la contribution spéciale et de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 23 septembre 2015 et, à titre subsidiaire, à la minoration du montant de la contribution spéciale, a produit un mémoire, enregistré le 23 juin 2016 au greffe du tribunal administratif de Bastia, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

L’EARL Cave Lazzarini, à l’appui de sa demande tendant à l’annulation de la décision du 22 septembre 2015 par laquelle l’OFII a mis à sa charge les sommes de 34 900 euros au titre de la contribution spéciale et de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, ainsi que de la décision du 1er décembre 2015 rejetant son recours gracieux, a produit un mémoire, enregistré le 14 juin 2016 au greffe du tribunal administratif de Bastia, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n°s 1501210, 1501213 du 4 octobre 2016, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 10 octobre 2016, le tribunal administratif de Bastia, après avoir joint les deux requêtes et avant de statuer sur les demandes de l’EARL Clos Teddi et de l’EARL Cave Lazzarini, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 8253-1 du code du travail.

Dans les questions prioritaires de constitutionnalité transmises et dans un mémoire, enregistré le 22 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’EARL Clos Teddi et l’EARL Cave Lazzarini soutiennent que le cumul des sanctions prévues par les articles L. 8253-1 et L. 8256-2 du code du travail et par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile méconnaît les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

 l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

 le code du travail, notamment son article L. 8253-1 ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

 les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “. L’article L. 8253-1 du même code dispose, dans sa rédaction applicable aux litiges dont le tribunal administratif de Bastia est saisi, que : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / (...) / Les sommes recouvrées par l’Etat pour le compte de l’Office français de l’immigration et de l’intégration lui sont reversées dans la limite du plafond fixé au I de l’article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 (...) “. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8256-2 du même code : “ Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d’embaucher, de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1, est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 15 000 euros “.

3. Si les sociétés requérantes soutenaient, dans les mémoires distincts qu’elles ont produits devant le tribunal administratif de Bastia, que le cumul des sanctions prévues par les articles L. 8253-1 et L. 8256-2 du code du travail et par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile méconnaissait les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le tribunal a jugé que les articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile étaient applicables aux litiges mais que ces griefs étaient dénués de caractère sérieux en tant qu’ils étaient dirigés contre l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettant le cumul de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine, qu’il institue, avec la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et la sanction pénale instaurée par l’article L. 8256-2 du même code. Par suite, le Conseil d’Etat n’est saisi des questions prioritaires de constitutionnalité transmises qu’en tant qu’elles portent sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 8253-1 du code du travail permettant le cumul entre la contribution spéciale qu’il prévoit et la sanction pénale instaurée par l’article L. 8256-2 du même code.

4. L’article L. 8253-1 du code du travail est applicable aux litiges dont est saisi le tribunal administratif de Bastia. Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de nécessité des délits et des peines, en ce qu’elle permet le cumul de la contribution spéciale qu’elle institue avec la sanction pénale prévue à l’article L. 8256-2, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :


Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’EARL Clos Teddi, à l’EARL Cave Lazzarini, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, à la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Bastia.