Cause exonératoire non

Conseil d’État

N° 416855

ECLI:FR:CECHS:2018:416855.20181128

Inédit au recueil Lebon

1ère chambre

M. Jean-Luc Nevache, rapporteur

M. Charles Touboul, rapporteur public

HAAS ; SCP LEVIS, avocat(s)

lecture du mercredi 28 novembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L’Entreprise agricole à responsabilité limitée Soleil des neiges - Bouchet G a demandé au tribunal administratif de Marseille :

 d’annuler la décision du 24 avril 2014 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge la contribution spéciale due en raison de l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger, pour un montant de 6 980 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement du ressortissant étranger dans son pays d’origine, d’un montant de 2 553 euros, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 16 juin 2014 ;

 de la décharger de l’obligation de payer les sommes en cause ;

 d’ordonner la restitution des sommes versées.

Par un jugement n° 1407120 du 22 décembre 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16MA00822 du 27 octobre 2017, la cour administrative d’appel de Marseille a, après avoir annulé ce jugement, rejeté la demande présentée par l’EARL Soleil des neiges - Bouchet G devant le tribunal administratif de Marseille.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2017 et 27 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’EARL Soleil des neiges - Bouchet G demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code du travail ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d’Etat,

 les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de l’EARL Soleil des neiges - Bouchet G et à la SCP Lévis, avocat de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 25 septembre 2012, lors d’un contrôle inopiné de police sur une exploitation arboricole, a été constaté l’emploi par la société Soleil des neiges - Bouchet G d’un ressortissant étranger connu des services de police pour infraction aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, visé par un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français et muni d’une photocopie de demande de titre de séjour établie au nom d’un tiers. Par une décision du 24 avril 2014, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à la charge de la société Soleil des neiges - Bouchet G la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 6 980 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour un montant de 2 553 euros. La société Soleil des neiges - Bouchet G se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 27 octobre 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2015, a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision et à la décharge des sommes ainsi réclamées.

2. Le premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail dispose que : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “. L’article L. 5221-8 du même code dispose que : “ L’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 “. Aux termes de l’article L. 8253-1 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date du manquement relevé à l’encontre de la société requérante : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 (...). / L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...) “. Le même manquement est sanctionné, en vertu des dispositions combinées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision des juges du fond, dont ceux-ci ont fait à bon droit application eu égard à leur caractère de loi nouvelle plus douce, d’une contribution spéciale dont le montant est égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 de ce code, réduit à 2 000 fois ce même taux en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger et à 1 000 fois ce taux en cas de paiement spontané de ces salaires et indemnités, si le procès-verbal d’infraction ne mentionne l’emploi que d’un seul étranger sans titre. Enfin, aux termes de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine (...) “.

3. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que les contributions qu’ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d’emploi d’un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, sans qu’un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d’une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française ou la nationalité d’un Etat pour lequel une autorisation de travail n’est pas exigée, il s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’article L. 5221-8 du code du travail et, d’autre part, il n’était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d’une usurpation d’identité.

4. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société requérante ne pouvait utilement invoquer ni l’absence d’élément intentionnel du manquement qui lui était reproché, ni soutenir, dès lors qu’elle ne démontrait pas avoir respecté les obligations découlant de l’article L. 5221-8, que l’usurpation frauduleuse d’identité du salarié constituait un cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

5. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société requérante la somme demandée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :


Article 1er : Le pourvoi de l’EARL Soleil des neiges - Bouchet G est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’EARL Soleil des neiges - Bouchet G et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.