Prescription trentenaire

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON

N° 08LY01727

Inédit au recueil Lebon

2ème chambre - formation à 3

Mme SERRE, président

M. Juan SEGADO, rapporteur

M. GIMENEZ, commissaire du gouvernement

RONCOLATO, avocat(s)

lecture du jeudi 14 mai 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2008, présentée pour la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE, dont le siège est avenue Michel Bertrand, Le Mont Dore (63240) ;

La SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0701365 en date du 15 mai 2008, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la notification qui lui a été faite le 19 février 2007 d’avoir à régler la contribution spéciale d’un montant de 15 000 euros prévue à l’article L. 341-7 du code du travail et à ce qu’à titre subsidiaire lui soit accordée la remise de l’application du montant mis en recouvrement à son encontre ;

2°) d’annuler ladite notification d’avoir à régler cette contribution et, par impossible, de lui accorder sa demande subsidiaire tendant à la remise de ce montant ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ,

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 avril 2009 :

 le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

 les observations de Me Roncolato, avocat de la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE ;

 et les conclusions de M. Gimenez, rapporteur public ;

La parole ayant été de nouveau donnée aux parties présentes ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE qui a été regardée comme tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 19 février 2007 par le directeur de l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations mettant à sa charge la contribution spéciale pour l’emploi de travailleurs en situation irrégulière, ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur sa demande d’annulation de ce titre et, à titre subsidiaire, de remise de la somme mise en recouvrement ;

Sur les conclusions relatives à la contribution spéciale :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail alors en vigueur : Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 dudit code alors en vigueur dont il convient de faire application dès lors que les dispositions aujourd’hui applicables prévoient des sanctions qui ne sont pas moins sévères : Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8 ;

En ce qui concerne la prescription :

Considérant que si, selon les dispositions combinées des articles L.364-3 du code du travail et des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, le délit que constitue sur le plan pénal l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre de travail est effectivement prescrit à défaut d’acte d’instruction ou de poursuite à l’issue d’un délai de trois ans, la contribution spéciale qui, aux termes des articles L.341-6, 1er alinéa et L.341-7 du code du travail alors en vigueur, sanctionne les mêmes agissements, est pour sa part indépendante de toute poursuite pénale et reste constitutive d’une amende en matière administrative pour laquelle la prescription pénale de trois ans dont se prévaut la requérante ne trouve pas à s’appliquer ; qu’à défaut de dispositions particulières prévoyant une prescription plus courte, les créances des collectivités publiques, et notamment des établissements publics nationaux, sont soumises aux règles de prescription du droit commun telles que définies à l’article 2262 du code civil alors en vigueur ; qu’ainsi, en l’espèce, en l’absence de dispositions particulières prévoyant une prescription abrégée, la contribution spéciale résultant de l’application de l’article L.341-7 du code du travail précité prévue au bénéfice de l’ agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations est soumise à la prescription trentenaire ; qu’il s’ensuit que la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE n’est pas fondée à soutenir qu’à la date de l’émission de l’état exécutoire contesté, la créance de l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations était prescrite au motif que le procès verbal constatant la violation des dispositions de l’article L.341-6 du code du travail précité avait été établi près de quatre années avant ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

Considérant, en premier lieu, que la requérante fait état des délais mis par l’administration pour décider d’engager les poursuites administratives et mettre à sa charge cette contribution spéciale, soit respectivement dix-huit mois et trois ans et demi par rapport à la date d’établissement du procès verbal et de constatation des faits en cause ; que toutefois, ces délais ne suffisaient pas, à eux seuls, à faire obstacle à l’engagement de ces poursuites et à l’émission d’un état exécutoire prévus par les dispositions précitées du code du travail et soumis, comme il a été dit ci-dessus, à la prescription trentenaire ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L. 611-10 du code du travail : Les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve contraire. Ces procès-verbaux sont dressés en double exemplaire dont l’un est envoyé au préfet du département et l’autre est déposé au parquet. En cas d’infraction aux dispositions relatives à la durée du travail, un troisième exemplaire est établi et est remis au contrevenant ; que, si la SARL LE BOEUF DANS L’ASSIETTE fait valoir que l’administration ne lui a pas communiqué le procès-verbal établissant les faits reprochés sur lequel elle s’est fondée pour lui infliger la contribution spéciale fixée par l’article L. 341-7 du code du travail, les dispositions susmentionnées de l’article L. 611-10 du code du travail ne font obligation de transmission à l’employeur des procès-verbaux dressés en application de cet article que dans le cas de la violation de la législation sur la durée du travail, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’un exemplaire du procès-verbal aurait dû lui être transmis ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction que, conformément aux dispositions de l’article R. 341-33 du code du travail alors applicable, le procès verbal du 12 août 2003 par lequel l’inspecteur du travail a constaté l’emploi de cinq ressortissants étrangers n’étant pas en possession d’un titre les autorisant à travailler en France, a été transmis au directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ; que ce dernier a ensuite indiqué à la société requérante, par un courrier en date du 11 février 2005, les infractions qu’elle avait commises, qu’un procès-verbal avait été établi à ce sujet, qu’elle devait s’acquitter de la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 du code du travail, dont le montant lui était précisé, en raison de ces infractions indépendamment des poursuites pénales engagées et qu’elle avait quinze jours pour présenter ses observations ; que ces formalités constituent la stricte application des dispositions réglementaires dont peut se prévaloir la société à l’encontre de la contribution spéciale qui lui a été infligée ; que la requérante ne peut utilement invoquer la circonstance que l’administration n’établit pas que le procès-verbal aurait été communiqué au parquet, ni celle, tirée de l’absence de poursuites pénales engagée à son encontre, dès lors qu’elles ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que les faits incriminés puissent servir de fondement, dans la mesure où ils sont établis, à la mise en oeuvre de la contribution spéciale prévue par les articles L. 341-6 et L. 341-7 du code du travail dont la mise en oeuvre échappe aux autorités judiciaires ;

En ce qui concerne le bien fondé de la contribution :

Considérant, que les faits constatés par procès-verbal du 12 août 2003, signé le 5 septembre 2003, et qui fait foi jusqu’à preuve du contraire, constituaient des infractions à l’article L. 341-6 précité du code du travail ; qu’il appartenait à la société requérante de vérifier la régularité de la situation des employés dont il s’agit au regard de la réglementation en vigueur en matière d’emploi de salariés étrangers sur le territoire français ; que la circonstance qu’à la suite de ce contrôle, elle aurait procédé à la régularisation de ces salariés étrangers, est sans incidence sur le bien-fondé de la contribution spéciale visée à l’article L. 341-7 du code du travail ; qu’enfin, si la requérante fait valoir que, par un jugement en date du même jour, le Tribunal avait constaté que l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations a annulé un état exécutoire émis à l’encontre d’une autre requérante et a condamné l’Agence à lui verser une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, cette circonstance est sans incidence sur le bien fondé et la régularité de l’état exécutoire contesté qui porte sur un litige distinct de celui dont a eu ainsi à connaître le Tribunal ; que, par suite, les infractions aux dispositions de l’article L. 341-6 du code du travail étant établies, elles justifiaient l’application, à l’encontre de la société requérante, de la contribution spéciale visée à l’article L. 341-7 ;

En ce qui concerne le montant de la contribution :

Considérant, que la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE demande à titre subsidiaire la remise de l’application du montant de la contribution spéciale qu’elle considère comme exorbitant ; que toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que, compte tenu de l’emploi de cinq salariés en méconnaissance des dispositions précitées du premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail, le montant de la contribution, qui a été fixée à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti en application des dispositions de l’article L. 341-7 dudit code, soit deux fois le taux minimum applicable, revêtirait un caractère exagéré, alors même que ces salariés n’auraient subi aucun préjudice ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions subsidiaires relatives à la remise de la majoration de 10 % de la contribution spéciale mise à la charge de la société par un titre exécutoire en date du 11 mai 2007 :

Considérant, que la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE ne présente aucun moyen spécifique à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à la remise de cette majoration d’un montant de 1 500 euros qui lui a été infligée sur le fondement des dispositions de l’article R. 341-29 du code du travail alors en vigueur et reprises actuellement à l’article R. 8253-14 pour ne pas s’être acquittée de la contribution spéciale dans les deux mois suivant la date de notification du titre de recouvrement ; que, par suite et alors que le titre exécutoire émis le 19 février 2007 n’a pas été annulé, ses conclusions tendant à la remise de cette majoration de 10 %, outre les majorations et les intérêts, doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de statuer sur leur recevabilité ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE doivent dès lors être rejetées ;

Considérant, d’autre part, qu’il y a lieu de mettre à la charge de la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, devenue l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dans l’instance et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE LE BOEUF DANS L’ASSIETTE versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.