Contribution spéciale oui

Cour administrative d’appel de Paris

N° 02PA01607

Inédit au recueil Lebon

3EME CHAMBRE - FORMATION A

Mme CARTAL, président

M. Christian BOULANGER, rapporteur

Mme FOLSCHEID, commissaire du gouvernement

CANCIANI, avocat(s)

lecture du mercredi 22 février 2006

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 6 mai 2002 et complétée le 26 juillet 2002, présentée pour la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE, représentée par son gérant demeurant 27 rue du Buisson Saint Louis à Paris (75010), par Me Canciani ; la société demande à la cour d’annuler le jugement en date du 20 février 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’état exécutoire émis à son encontre par l’Office des migrations internationales (OMI) le 30 août 1996 pour le versement de la contribution spéciale prévue par l’article L. 341-7 du code du travail ainsi que de l’état exécutoire émis le 29 novembre 1996 portant majoration de 10 % de la somme due pour non paiement dans le délai de deux mois ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 1er février 2006 :

"-" le rapport de M. Boulanger, rapporteur,

"-" les observations de Me Canciani pour la société CHINA TOWN BELLEVILLE,

"-" et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail, nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code, dans sa rédaction alors applicable : « Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Office des migrations internationales. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8 (…) » ; que selon l’article R. 341-33 dudit code : « Un exemplaire des procès-verbaux établis par les fonctionnaires chargés du contrôle de l’application du droit du travail ou par les officiers et agents de police judiciaire et constatant les infractions aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 341-6 du présent code est transmis au directeur du travail et de la main-d’oeuvre du département dans lequel l’infraction a été constatée ou au fonctionnaire qui en assume les attributions en raison de la nature de l’activité exercée par l’employeur. Le directeur du travail et de la main-d’oeuvre ou le fonctionnaire compétent indique à l’employeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, que les dispositions de l’article L. 341-7 lui sont applicables et qu’il peut lui présenter ses observations dans un délai de quinze jours (...) » ; qu’aux termes de l’article R. 341-34 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : « Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l’article R. 341-33, le directeur de l’Office des migrations internationales décide de l’application de la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 et notifie sa décision à l’employeur ainsi que le titre de recouvrement (...) » ; qu’aux termes, enfin, du dernier alinéa de l’article R. 341-35 du code du travail : « Une majoration de 10 p. 100 est ajoutée au montant de la contribution spéciale due par l’employeur, lorsque celui-ci n’aura pas acquitté cette contribution dans les deux mois suivant la date de la notification du titre de recouvrement » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’un contrôle effectué par l’inspection du travail le 18 mai 1995 dans les locaux de la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE, qui exploite un restaurant à Paris, a permis de constater que cette société employait trois ressortissants étrangers, M. X, M. et Mme , dépourvus d’autorisation de travail ; que le directeur de l’Office des migrations internationales (OMI) a décidé d’appliquer à la société la contribution spéciale prévue par les dispositions des articles précitées et, à cette fin, a mis en recouvrement par un titre en date du 30 août 1996, une somme de 7 971, 50 euros (52 290 F) ; qu’après avoir rejeté le recours gracieux formé par la société et constaté que la contribution due n’avait pas été acquittée dans le délai de deux mois suivant la notification du titre de recouvrement, il a émis le 29 novembre 1996 un nouveau titre portant majoration de 10 % de la somme due en application de l’article R. 341-35 du code du travail ; que, saisi d’une opposition formée par la société, le Tribunal administratif de Paris, par un jugement en date du 20 février 2002, a estimé que l’Office des migrations internationales avait pu à bon droit appliquer la contribution spéciale et la majoration de retard et a rejeté, par conséquent, la demande de la société ; que la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE relève appel de ce jugement tandis que l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), qui vient aux droits de l’OMI, conclut au rejet de la requête ;

Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non recevoir soulevée par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations ;

Considérant, en premier lieu, qu’en application des dispositions de l’article R. 341-33 du code du travail, la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE a été informée par un courrier de la direction départementale du travail et de l’emploi du 22 novembre 1995, reçu le 4 février 1996, de la mise en oeuvre à son encontre des dispositions sus-reproduites de l’article L. 341-7 du code du travail, pour l’emploi des trois travailleurs étrangers en situation irrégulière susvisés ; que si la société fait valoir qu’elle a présenté des observations le 8 février 1996 qui n’auraient pas été prises en compte par l’OMI, il résulte de l’instruction, contrairement à ce que soutient la société en appel, que le dossier des trois étrangers en cause n’a été transmis à l’OMI, en application de l’article R. 341-34 du code du travail, que le 27 février 1996 et non le 25 janvier 1996 comme l’indique par erreur le jugement entrepris et que ce dossier était accompagné des observations susmentionnées de la société ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles R. 341-33 et R. 341-34 du code du travail auraient été méconnues, en raison de l’absence de prise en compte des observations de la société formulées le 8 février 1996, ne peut qu’être écarté ; que si la société appelante fait en outre valoir que la direction départementale du travail et de l’emploi, après l’avoir informée dès le 19 juin 1995 qu’elle était susceptible de transmettre à l’OMI le dossier de l’un des étrangers incriminés, M. X, n’aurait finalement pas donné de suite à cette procédure, cette circonstance, à la supposer même établie, est sans incidence sur la légalité des états exécutoires émis à son encontre ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; qu’il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative ;

Considérant que si la société requérante soutient que l’administration a violé l’autorité de la chose jugée au pénal qui s’attache au jugement en date du 27 septembre 1995 par lequel le Tribunal de grande instance de Paris statuant en matière correctionnelle a relaxé M. , gérant de la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE, du chef d’exécution d’un travail clandestin pour deux des étrangers incriminés, Mme et M. , après que M. ait démontré avoir satisfait aux obligations légales mises à sa charge au regard de la législation du travail en produisant aux débats, notamment, le registre unique du personnel tenu à jour, faisant ressortir que, lors de leur embauche, Mme était titulaire d’une autorisation de travail et M. d’une carte de résident, il résulte des énonciations du jugement, que son gérant n’était pas poursuivi du chef d’emploi de travailleurs étrangers non munis d’un titre les autorisant à exercer en France une activité salariée pour les deux personnes dont s’agit et que, d’autre part, sa culpabilité a été admise au titre du délit dont s’agit s’agissant de l’emploi de M. X ; qu’il résulte par ailleurs de l’instruction que lesdits salariés n’étaient pas, au moment du contrôle susmentionné, munis de titres les autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’ainsi, les faits retenus par le directeur de l’Office des migrations internationales à l’égard de la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE ne sont pas en contradiction avec ceux constatés par le juge répressif ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que l’autorité administrative aurait méconnu l’autorité de la chose jugée au pénal doit être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu de l’article L. 611-10 du code, les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire ; que selon les énonciations du procès-verbal d’infraction susvisé du 18 mai 1995, M. X effectuait le service dans le restaurant au moment du contrôle, ce que ce dernier a d’ailleurs reconnu dans le cours de la procédure ; que les allégations de la société selon lesquelles l’intéressé n’aurait jamais effectivement travaillé dans le restaurant et se serait trouvé sur les lieux pour demander à être embauché en qualité de commis de salle, ne sont pas corroborées par les pièces du dossier et, notamment, par les attestations produites par la société requérante et émanant de deux de ses salariés, qui ne sont pas, à elles seules, de nature à établir l’inexactitude des faits énoncés par le procès-verbal ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’il appartenait à la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE de vérifier la régularité de la situation de ses employés au regard de la réglementation en vigueur ; que le fait que la société aurait cru de bonne foi que Mme , qui a présenté une copie de récépissé de l’Office français pour les réfugiés et les apatrides et M. qui a présenté une carte de résident qui s’est révélée être un faux, auraient été en situation régulière au regard de la législation du travail, n’est pas de nature à contredire la réalité des infractions constatées par l’inspecteur du travail dans le procès-verbal susvisé établi

le 18 mai 1995 ; que compte tenu de ces constatations, l’infraction aux dispositions de l’article L. 341-6 du code du travail est établie et justifiait ainsi, à la supposer même dépourvue de caractère intentionnel, l’application, à l’encontre de la société requérante, de la contribution spéciale visée à l’article L. 341-7 ;

Considérant enfin, que le moyen tiré de ce que les deux salariés dont s’agit étaient inscrits sur le livre de paie et sur le registre unique du personnel et recevaient des bulletins de salaires est sans influence sur la légalité de la décision attaquée qui a été prise en application de l’article L. 341-7 du code du travail interdisant l’emploi des étrangers en situation irrégulière et non de l’article L. 324-9 du même code relatif au travail clandestin ;

Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement

du 20 février 2002, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de l’état exécutoire émis à son encontre par l’Office des migrations internationales le 30 août 1996 et de l’état exécutoire émis le 29 novembre 1996 portant majoration de 10 % de la somme due, pour non paiement dans le délai de deux mois ; qu’il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE, le paiement à l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations de la somme de 1 500 euros au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL CHINA TOWN BELLEVILLE est rejetée.

Article 2 : La SARL CHINA TOWN BELLEVILLE versera à l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 02PA01607