CJUE Navimer - critères de détermination de la loi applicable

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 décembre 2011 (*)

« Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles – Contrat de travail – Choix des parties – Dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix – Détermination de cette loi – Travailleur accomplissant son travail dans plus d’un État contractant »

Dans l’affaire C‑384/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre du premier protocole du 19 décembre 1988 concernant l’interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 7 juin 2010, parvenue à la Cour le 29 juillet 2010, dans la procédure

Jan Voogsgeerd

contre

Navimer SA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen et Mme C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général : Mme V. Trstenjak,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour M. Voogsgeerd, par Me W. van Eeckhoutte, advocaat,

– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1, ci-après la « convention de Rome »), lequel concerne les contrats individuels de travail.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Voogsgeerd, demeurant à Zandvoort (Pays-Bas), à Navimer SA (ci-après « Navimer »), entreprise établie à Mertert (Luxembourg), au sujet du paiement d’une indemnité de licenciement à M. Voogsgeerd pour rupture du contrat de travail qu’il avait conclu avec cette entreprise.

Le cadre juridique

Les règles sur la loi applicable aux obligations contractuelles

3 L’article 1er de la convention de Rome prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les dispositions de la présente convention sont applicables, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles. »

4 L’article 3, paragraphe 1, de la convention de Rome énonce :

« Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat. »

5 L’article 4, paragraphe 1, de cette convention dispose :

« Dans la mesure où la loi applicable au contrat n’a pas été choisie conformément aux dispositions de l’article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. […] »

6 L’article 6 de la convention de Rome prévoit :

« 1. Nonobstant les dispositions de l’article 3, dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article.

2. Nonobstant les dispositions de l’article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, le contrat de travail est régi :

a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, ou

b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur,

à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable. »

Les droits nationaux

7 L’article 80, paragraphe 2, de la loi luxembourgeoise du 9 novembre 1990, ayant pour objet la création d’un registre public maritime luxembourgeois (Mémorial A 1990, p. 808), prévoit :

« La résiliation du contrat de travail maritime ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts.

Est abusif et constitue un acte socialement et économiquement anormal le licenciement qui est contraire à la loi et/ou qui n’est pas fondé sur des motifs réels et sérieux.

L’action judiciaire en réparation de la résiliation abusive du contrat de travail maritime doit être introduite auprès de la juridiction du travail, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à partir de la notification du licenciement ou de sa motivation.

Ce délai est valablement interrompu en cas de réclamation écrite introduite auprès de l’employeur par le marin, son mandataire ou son organisation syndicale. »

8 L’article 39 de la loi belge du 3 juillet 1978, sur les contrats de travail (Belgisch Staasblad, 22 août 1978), énonce :

« Si le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, la partie qui résilie le contrat sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis fixé aux articles 59, 82, 83, 84 et 115 est tenue de payer à l’autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Le 7 août 2001, M. Voogsgeerd a conclu, auprès du siège de Naviglobe NV (ci-après « Naviglobe »), entreprise établie à Anvers (Belgique), un contrat de travail à durée indéterminée avec Navimer. Les parties ont choisi le droit luxembourgeois en tant que loi applicable à ce contrat.

10 Au cours de la période allant du mois d’août de l’année 2001 au mois d’avril de l’année 2002, M. Voogsgeerd a servi en tant que chef mécanicien à bord des navires MS Regina et Prince Henri, qui appartenaient à Navimer, et dont la zone de navigation s’étendait à la mer du Nord.

11 Par lettre du 8 avril 2002, cette entreprise a signifié son licenciement à M. Voogsgeerd. Celui-ci a assigné, le 4 avril 2003, Naviglobe et Navimer devant l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers), en demandant que ces entreprises soient solidairement condamnées à lui verser une indemnité de licenciement conformément à la loi belge du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, augmentée des intérêts et des dépens.

12 À l’appui de son recours, M. Voogsgeerd a soutenu que, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de Rome, les règles impératives de la loi belge en matière de travail seraient applicables, et ce quel que soit le choix des parties quant au droit applicable. À cet égard, il a fait valoir qu’il était lié, par son contrat de travail, à l’entreprise belge Naviglobe, et non pas à l’entreprise luxembourgeoise Navimer, et qu’il avait accompli son travail principalement en Belgique où il recevait les instructions par Naviglobe et où il retournait après chaque voyage.

13 Par jugement du 12 novembre 2004, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen s’est déclaré territorialement incompétent pour statuer sur l’action contre Navimer. En revanche, l’action engagée contre Naviglobe a été déclarée recevable, mais infondée.

14 M. Voogsgeerd a interjeté l’appel de ce jugement devant l’arbeidshof te Antwerpen (cour du travail d’Anvers). Après s’être déclarée territorialement compétente, cette juridiction a, d’une part, rejeté sur le fond les demandes formées contre Naviglobe, au motif que le requérant au principal n’avait pas apporté la preuve qu’il avait été mis à la disposition de cette société.

15 D’autre part, en ce qui concerne la relation de travail avec Navimer, l’arbeidshof te Antwerpen a jugé que, eu égard à l’ensemble des circonstances en cause, M. Voogsgeerd n’avait pas accompli son travail habituellement dans un seul État membre, en l’occurrence la Belgique, et que, partant, l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome n’était pas applicable. À cet égard, il a constaté, d’une part, que le requérant au principal n’avait pas de contrat de travail avec Naviglobe, que son salaire lui était versé par Navimer et qu’il était affilié à une caisse de maladie luxembourgeoise et, d’autre part, qu’il n’avait pas prouvé avoir travaillé principalement dans les eaux territoriales belges. Dès lors, l’arbeidshof te Antwerpen a jugé que, puisque Navimer était l’établissement qui a embauché M. Voogsgeerd, les dispositions impératives du droit luxembourgeois s’appliquaient au contrat de travail, conformément à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome.

16 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’arbeidshof te Antwerpen a considéré comme prouvés les éléments rapportés par M. Voogsgeerd au soutien de son appel, visant à considérer Anvers comme le lieu où il procédait toujours à l’embarquement et d’où il recevait les instructions pour chacune de ses missions.

17 Il a toutefois jugé que seul le droit luxembourgeois était applicable au contrat de travail, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, et qu’il y avait lieu de rejeter l’action en dommages et intérêts pour résiliation abusive de ce contrat en ce qu’elle avait été introduite après l’expiration du délai de prescription de trois mois prévu à l’article 80 de la loi luxembourgeoise du 9 novembre 1990, ayant pour objet la création d’un registre public maritime.

18 M. Voogsgeerd a formé un pourvoi en cassation contre la partie de l’arrêt concernant Navimer, qui reste ainsi la seule défenderesse au principal. Le moyen de cassation invoqué était tiré de l’erreur de droit de l’arbeidshof te Antwerpen quant à la détermination de la loi applicable au contrat de travail.

19 Au soutien de son pourvoi, le requérant au principal a fait valoir que l’arbeidshof te Antwerpen avait enfreint les articles 1er, 3, 4 et 6 de la convention de Rome en jugeant que les éléments qu’il a avancés pour prouver l’accomplissement habituel de son travail en Belgique sous l’autorité de Naviglobe étaient sans incidence sur la question de l’application des dispositions de cette convention, et notamment de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de celle-ci.

20 La juridiction de renvoi observe que, dans la mesure où ces éléments sont exacts, Naviglobe, qui est établie à Anvers, pourrait être considérée comme étant l’établissement avec lequel M. Voogsgeerd est lié pour son occupation effective, au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome.

21 Compte tenu de ces considérations, le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la [convention de Rome] doit-il s’entendre comme le pays où se trouve l’établissement de l’employeur qui, selon le contrat de travail, a embauché le travailleur, ou bien comme le pays où se trouve l’établissement de l’employeur, auquel le travailleur est lié pour son occupation effective, même s’il n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays ?

2) Le lieu où le travailleur, qui n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, doit se présenter et reçoit les instructions administratives ainsi que les instructions nécessaires à l’exécution de son travail doit-il être considéré comme le lieu d’occupation effective au sens de la première question ?

3) L’établissement de l’employeur avec lequel le travailleur est lié pour son occupation effective au sens de la première question doit-il répondre à certaines exigences formelles, comme par exemple la possession de la personnalité juridique, ou suffit-il qu’il s’agisse d’un établissement de fait ?

4) L’établissement d’une autre société, avec laquelle la société-employeur a des liens, peut-il servir d’établissement au sens de la troisième question, même si l’autorité de l’employeur n’a pas été transférée à cette autre société ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

22 La Cour est compétente pour se prononcer sur la présente demande de décision préjudicielle qui a été introduite par une des deux juridictions belges auxquelles est reconnue une telle faculté au sens de l’article 2, sous a), du premier protocole concernant l’interprétation par la Cour de justice de la convention de Rome (JO 1998, C 27, p. 47), entré en vigueur le 1er août 2004.

23 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des éléments tels que le lieu de l’occupation effective du travailleur, le lieu où ce dernier doit se présenter et reçoit les instructions administratives nécessaires à l’exécution de son travail, l’établissement de fait de l’employeur ont une incidence pour la détermination de la loi applicable au contrat de travail au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome.

24 Il convient de rappeler que l’article 6 de la convention de Rome édicte des règles de conflit spéciales relatives au contrat individuel de travail qui dérogent aux règles générales contenues aux articles 3 et 4 de cette convention, portant respectivement sur la liberté de choix de la loi applicable et sur les critères de détermination de celle-ci en l’absence d’un tel choix.

25 Ainsi, l’article 6 de la convention de Rome prévoit, à son paragraphe 1, que le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail ne peut pas conduire à priver le travailleur des garanties prévues par les dispositions impératives de la loi qui serait applicable au contrat en l’absence d’un tel choix. Le paragraphe 2 dudit article énonce les critères de rattachement du contrat de travail sur la base desquels doit être déterminée la lex contractus, à défaut de choix des parties.

26 Ces critères sont, en premier lieu, celui du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail » [article 6, paragraphe 2, sous a)], et, à titre subsidiaire, en l’absence d’un tel lieu, celui du siège de « l’établissement qui a embauché le travailleur » [article 6, paragraphe 2, sous b)].

27 En outre, selon la dernière phrase de ce paragraphe 2, ces deux critères de rattachement ne sont pas applicables lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.

28 Dans l’affaire au principal, il est constant que les parties au contrat ont choisi la loi luxembourgeoise en tant que lex contractus. En revanche, quel que soit ce choix, demeure la question de savoir quelle est la loi applicable au contrat, dès lors que le requérant au principal invoque des dispositions impératives de droit belge comme fondement de son droit à l’indemnité de licenciement. Ainsi qu’il ressort du point 19 du présent arrêt, M. Voogsgeerd soutient que la juridiction d’appel, qui a considéré applicable au contrat en cause le droit luxembourgeois, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, a enfreint plusieurs dispositions de cette convention, et notamment l’article 6 de celle-ci. À cet égard, il fait valoir que, dans le cadre de l’accomplissement de son travail, il n’avait aucun contact avec Navimer, mais qu’il était tenu de se présenter pour l’embarquement à Anvers auprès de Naviglobe qui lui donnait des instructions.

29 Par ses questions, le Hof van Cassatie demande, en substance, à la Cour d’interpréter l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome, et, en particulier, le critère de rattachement du pays où est situé l’établissement qui a embauché le travailleur, figurant au point b) de cette disposition.

30 Il convient toutefois de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle, s’il revient à la juridiction de renvoi d’appliquer la règle de droit de l’Union au litige pendant devant elle et, ainsi, de qualifier une disposition de droit national au regard de cette règle, il incombe à la Cour, pour fournir à cette juridiction les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2003, Anomar e.a., C‑6/01, Rec. p. I‑8621, point 37 et jurisprudence citée), d’extraire de l’ensemble des données fournies par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la demande de décision préjudicielle, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation, compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 1987, Gauchard, 20/87, Rec. p. 4879, point 7).

31 En l’occurrence, bien que les questions posées concernent l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, il y a lieu de constater, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 60 de ses conclusions et ainsi que l’ont fait observer le gouvernement belge et la Commission européenne, que les éléments caractérisant la relation de travail en cause au principal, qui ont été mis en exergue par la juridiction de renvoi pour motiver l’introduction de la demande de décision préjudicielle, semblent davantage correspondre aux critères posés au point a) de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome qu’à ceux prévus au point b) de cette disposition.

32 En outre, il convient de relever que, aux fins de déterminer le droit applicable, le critère du rattachement du contrat de travail en cause au principal au lieu où le travailleur accomplit habituellement ses fonctions doit être pris en considération de façon prioritaire et son application exclut la prise en considération du critère subsidiaire du lieu du siège de l’établissement qui a embauché le travailleur.

33 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour, dans l’arrêt du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, non encore publié au Recueil), a interprété l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome en ce sens qu’il convient d’examiner tout d’abord, sur le fondement d’éléments tels que ceux avancés par M. Voogsgeerd, si le travailleur accomplit principalement son travail dans un seul et même pays.

34 En effet, il découle du libellé de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome que l’intention du législateur était d’établir une hiérarchie entre les critères à prendre en compte pour la détermination de la loi applicable au contrat de travail.

35 Cette interprétation est confortée également par l’analyse de l’objectif poursuivi par l’article 6 de la convention de Rome, qui est d’assurer une protection adéquate au travailleur. Ainsi, comme la Cour l’a déjà constaté, le critère du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail », édicté au paragraphe 2, sous a), de l’article 6 de cette convention, doit être interprété de façon large, alors que le critère du siège de « l’établissement qui a embauché le travailleur », prévu au paragraphe 2, sous b), du même article, ne peut s’appliquer que si le juge saisi n’est pas en mesure de déterminer le pays d’accomplissement habituel du travail (voir arrêt Koelzsch, précité, point 43).

36 Ainsi, dans une hypothèse telle que celle en cause au principal, qui concerne un travailleur exerçant ses activités dans plus d’un État contractant, le critère contenu à l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome a tout de même vocation à s’appliquer lorsqu’il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif (voir arrêt Koelzsch, précité, point 44).

37 Dans un tel cas, le critère du pays de l’accomplissement habituel du travail doit être entendu comme se référant au lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles et, en l’absence de centre d’affaires, au lieu où celui-ci accomplit la majeure partie de ses activités (voir arrêt Koelzsch, précité, point 45).

38 Dès lors, en considération de la nature du travail dans le secteur maritime, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, la juridiction saisie doit tenir compte de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur et, notamment, établir dans quel État est situé le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent ses outils de travail (voir arrêt Koelzsch, précité, points 48 et 49).

39 S’il ressort de ces constatations que le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport et reçoit également les instructions pour ses missions est toujours le même, ce lieu doit être considéré comme étant celui où il accomplit habituellement son travail, au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous a). En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, le critère du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail s’applique en priorité.

40 Dès lors, les éléments caractérisant la relation de travail, tels qu’ils figurent dans la décision de renvoi, à savoir le lieu de l’occupation effective, le lieu où le travailleur reçoit les instructions ou celui où il doit se présenter avant d’accomplir ses missions, ont une incidence pour la détermination de la loi applicable à cette relation de travail en ce sens que, lorsque ces lieux sont situés dans le même pays, le juge saisi peut considérer que la situation relève de l’hypothèse prévue à l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome.

41 Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale saisie doit tout d’abord établir si le travailleur, dans l’exécution du contrat, accomplit habituellement son travail dans un même pays, qui est celui dans lequel ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

42 Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait qu’elle ne peut statuer sur le litige qui lui est soumis au regard de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de ladite convention, il s’avère nécessaire de répondre aux questions telles qu’elles figurent dans la demande de décision préjudicielle.

Sur les première et deuxième questions

43 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion d’« établissement qui a embauché le travailleur », au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, doit être entendue comme se référant à l’établissement qui a conclu le contrat de travail ou à l’établissement de l’entreprise à laquelle le travailleur est lié dans son occupation effective et, dans cette dernière hypothèse, si ce lien peut ressortir de la circonstance que le travailleur doit se présenter régulièrement et doit recevoir des instructions auprès de cette dernière entreprise.

44 Ainsi qu’il ressort des points 39 et 40 du présent arrêt, lorsque la juridiction saisie constate que le travailleur doit toujours se présenter au même endroit où il reçoit les instructions, celle-ci doit considérer que le travailleur accomplit son travail habituellement dans ce lieu, au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome. Ces éléments, qui caractérisent l’occupation effective, concernent tous la détermination de la loi applicable au contrat de travail sur la base de ce dernier critère de rattachement et ils ne peuvent pas avoir une incidence également sur l’application de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome.

45 Comme l’a indiqué Mme l’avocat général aux points 65 à 68 de ses conclusions, interpréter cette dernière disposition pour déterminer l’entreprise qui a embauché le travailleur en prenant en considération des éléments qui ne portent pas sur la seule conclusion du contrat de travail serait contraire à la lettre et à la finalité de cette disposition.

46 En effet, l’utilisation du terme « embauché » à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, vise manifestement la seule conclusion de ce contrat ou, en cas de relation de travail de fait, la naissance de la relation de travail et non pas les modalités de l’occupation effective du travailleur.

47 En outre, l’analyse systématique de cet article 6, paragraphe 2, sous b), impose que le critère visé à cette disposition, ayant un caractère subsidiaire, soit appliqué lorsqu’il est impossible de localiser la relation de travail dans un État membre. Dès lors, seule une interprétation stricte du critère résiduel peut assurer la pleine prévisibilité quant à la loi qui est applicable au contrat de travail.

48 Dès lors que le critère du lieu d’établissement de l’entreprise qui emploie le travailleur est étranger aux conditions dans lesquelles le travail est accompli, la circonstance que cette entreprise soit établie à un endroit ou à un autre est sans incidence sur la détermination de ce lieu d’établissement.

49 Ce n’est que dans l’hypothèse dans laquelle des éléments portant sur la procédure d’embauche permettraient de constater que l’entreprise qui a conclu le contrat de travail a en réalité agi au nom et pour le compte d’une autre entreprise que la juridiction de renvoi pourrait considérer que le critère de rattachement contenu dans l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome renvoie à la loi du pays où l’établissement de cette dernière entreprise est situé.

50 Par conséquent, aux fins de cette appréciation, la juridiction de renvoi devrait prendre en considération non pas les éléments relatifs à l’accomplissement du travail, mais uniquement ceux relatifs à la procédure de conclusion du contrat, tels que l’établissement qui a publié l’avis de recrutement et celui qui a mené l’entretien d’embauche et elle doit s’attacher à déterminer la localisation réelle de cet établissement.

51 En tout état de cause, ainsi que l’a souligné Mme l’avocat général au point 73 de ses conclusions, au sens de l’article 6, paragraphe 2, dernier alinéa, de la convention de Rome, la juridiction de renvoi peut prendre en considération d’autres éléments de la relation de travail, lorsqu’il apparaît que ceux portant sur les deux critères de rattachement édictés à cet article, et relatifs, respectivement, au lieu d’accomplissement du travail et au lieu de l’établissement de l’entreprise qui emploie le travailleur, conduisent à considérer que le contrat présente des liens plus étroits avec un État différent de ceux indiqués par ces critères.

52 Il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions posées que la notion d’« établissement de l’employeur qui a embauché le travailleur », au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, doit être entendue en ce sens qu’elle se réfère exclusivement à l’établissement qui a procédé à l’embauche du travailleur et non pas à celui avec lequel il est lié par son occupation effective.

Sur la troisième question

53 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, aux fins de l’application du critère de rattachement édicté par l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, l’établissement doit répondre à des exigences formelles, telles que la possession de la personnalité juridique.

54 À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée qu’il ressort clairement de la lettre de cette disposition qu’elle ne concerne pas uniquement les unités d’activité de l’entreprise ayant une personnalité juridique, le terme « établissement » visant toute structure stable d’une entreprise. Par conséquent, non seulement les filiales et les succursales, mais également d’autres unités, telles que les bureaux d’une entreprise, pourraient constituer des établissements au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, alors même qu’ils ne seraient pas dotés de la personnalité juridique.

55 Cependant, ainsi que l’a mis en exergue la Commission et l’a indiqué Mme l’avocat général au point 81 de ses conclusions, cette disposition impose la stabilité de l’établissement. En effet, une présence purement passagère dans un État d’un agent d’une entreprise provenant d’un autre État aux fins de l’embauche de travailleurs ne pourrait être considérée comme constituant un établissement qui rattache le contrat à cet État. Ceci serait contraire au critère de rattachement prévu à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome qui n’est pas le lieu de conclusion du contrat.

56 En revanche, si ce même agent se rend dans un pays où l’employeur entretient une représentation permanente de son entreprise, il serait tout à fait concevable d’admettre que ladite représentation constitue un « établissement », au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome.

57 En outre, il faut en principe que l’établissement qui est pris en considération pour l’application du critère de rattachement appartienne à l’entreprise qui embauche le travailleur, c’est-à-dire fasse partie intégrante de sa structure.

58 Sur la base de ces considérations, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que la possession de la personnalité juridique ne constitue pas une exigence à laquelle l’établissement de l’employeur au sens de cette disposition doit répondre.

Sur la quatrième question

59 Par sa quatrième et dernière question, la juridiction de renvoi demande si, aux fins de l’application du critère de rattachement prévu à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome, l’établissement d’une entreprise autre que celle qui figure comme employeur peut être considéré comme agissant en cette qualité alors même que le pouvoir de direction de celle-ci ne lui a pas été transféré.

60 À cet égard, il semble ressortir de la décision de renvoi que cette question se pose parce que le requérant soutient avoir toujours reçu les instructions de Naviglobe et que, pour la période prise en considération, le directeur de cette entreprise était également le directeur de Navimer, l’entreprise qui a formellement embauché le requérant au principal.

61 En ce qui concerne le premier élément, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 39 et 40 du présent arrêt, une telle circonstance doit être prise en considération dans la détermination du lieu d’accomplissement habituel du travail, aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la convention de Rome dès lors qu’il concerne l’exécution du travail.

62 En ce qui concerne l’allégation du requérant au principal portant sur la circonstance que la même personne était le directeur de Naviglobe et de Navimer, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier quelle est la réelle relation entre les deux sociétés pour établir si, effectivement, Naviglobe a la qualité d’employeur du personnel qui a été embauché par Navimer. La juridiction saisie doit notamment prendre en considération tous les éléments objectifs permettant d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, Rec. p. I‑3813, point 37).

63 Dans cette appréciation, la circonstance évoquée par Navimer, à savoir l’absence d’un transfert du pouvoir de direction à Naviglobe, constitue l’un des éléments à prendre en considération, mais n’est pas, à elle seule, décisive pour considérer que le travailleur a été en réalité embauché par une société différente de celle qui figure comme employeur.

64 Ce n’est que dans l’hypothèse où l’une des deux sociétés a agi pour le compte de l’autre que l’établissement de la première pourrait être considéré comme appartenant à la seconde, aux fins de l’application du critère de rattachement prévu à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome.

65 Sur la base de ces considérations, il y a lieu de répondre à la quatrième question posée que l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que l’établissement d’une entreprise autre que celle qui figure formellement comme employeur, avec laquelle celle-ci a des liens, peut être qualifié d’« établissement » si des éléments objectifs permettent d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat, et cela alors même que le pouvoir de direction n’a pas été formellement transféré à cette autre entreprise.

Sur les dépens

66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1) L’article 6, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale saisie doit tout d’abord établir si le travailleur, dans l’exécution du contrat, accomplit habituellement son travail dans un même pays, qui est celui dans lequel ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

2) Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait qu’elle ne peut statuer sur le litige qui lui est soumis au regard de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de cette convention, l’article 6, paragraphe 2, sous b), de ladite convention doit être interprété comme suit :

– la notion d’« établissement de l’employeur qui a embauché le travailleur » doit être entendue en ce sens qu’elle se réfère exclusivement à l’établissement qui a procédé à l’embauche du travailleur et non pas à celui avec lequel il est lié par son occupation effective ;

– la possession de la personnalité juridique ne constitue pas une exigence à laquelle l’établissement de l’employeur au sens de cette disposition doit répondre ;

– l’établissement d’une entreprise autre que celle qui figure formellement comme employeur, avec laquelle celle-ci a des liens, peut être qualifié d’« établissement » au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de ladite convention, si des éléments objectifs permettent d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat, et cela alors même que le pouvoir de direction n’a pas été formellement transféré à cette autre entreprise.

Signatures