Salarié club sportif non UE - compétence juge français oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 5 décembre 2018

N° de pourvoi : 17-19935

ECLI:FR:CCASS:2018:SO01787

Publié au bulletin

Rejet

M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Spinosi et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 mai 2017), que M. Y... a été engagé par la société de droit monégasque AS Monaco football club SA entre le 15 janvier 2007 et le 30 juin 2014 ; qu’il a saisi le conseil de prud’hommes de Nice, le 7 janvier 2016, de diverses demandes ;

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de constater la compétence du conseil de prud’hommes de Nice pour connaître de l’ensemble de ces demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d’une juridiction étrangère, incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté au moins pour partie dans un établissement situé en dehors de l’Union européenne est valide ; qu’en effet, ce n’est que si le contrat s’exécute totalement dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d’ordre public de l’article R. 1412-1 du code du travail font échec à l’application d’une telle clause ; qu’en l’espèce, dès lors qu’elle constatait que M. Y... exerçait au moins pour partie ses fonctions sur le territoire monégasque au cours des matchs disputés par l’équipe de football monégasque dans son stade, la cour d’appel ne pouvait refuser de donner force obligatoire à l’engagement contractuel des parties désignant la juridiction étrangère comme compétente ; que ce faisant, elle a violé par fausse application les dispositions de l’article R. 1412-1 du code du travail ;

2°/ qu’une clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté dans un établissement situé en dehors de l’Union européenne et désignant expressément la juridiction étrangère est valide ; qu’en effet, ce n’est que si le contrat est exécuté dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d’ordre public de l’article R. 1412-1 font échec à l’application d’une telle clause ; qu’en cas de contestation, il appartient au juge de vérifier si la prestation de travail accomplie en France avait lieu dans un établissement au sens de ce texte, notamment en termes d’autonomie, de présence sur place d’un représentant de l’employeur et d’un personnel fixe ; qu’en refusant d’appliquer la clause contractuelle, au motif que le travail s’effectuait essentiellement dans un centre de formation situé en France, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée, si celui-ci pouvait être qualifié d’établissement au sens de l’article R. 1412-1 du code du travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

3°/ que l’article R. 1412-1 du code du travail qui ne prévoit que des règles de compétence territoriale internes, n’a nullement pour objet d’instaurer la suprématie des juridictions françaises sur les juridictions étrangères et ne s’oppose nullement à la présence dans un contrat de travail international conclu entre un salarié français et une société étrangère d’une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d’une juridiction étrangère ayant un lien sérieux avec le litige ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a, par fausse application, violé les dispositions des articles R. 1412-1 du code du travail et 14 et 15 du code civil ;

Mais attendu que, selon l’article 21, § 2, du règlement (UE) n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable à partir du 10 janvier 2015, un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, dans un État membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ;

Attendu que l’arrêt relève que M. Y... a saisi le conseil de prud’hommes de Nice de diverses demandes ayant trait à sa relation de travail avec la société le 7 janvier 2016, qu’il exerçait ses fonctions de masseur-kinésithérapeute, essentiellement lors d’entraînements, au centre de formation du club, auquel il était contractuellement rattaché, qui se trouvait sur le territoire français, dans la commune de la Turbie, laquelle est située dans le ressort de cette dernière juridiction, qu’un nombre important de rencontres sportives auxquelles M. Y... a pu participer se déroulaient sur le territoire français, que la circonstance que des matchs requérant la présence de M. Y... se sont déroulés au stade Louis II, à Monaco, n’infirme pas la constatation selon laquelle l’essentiel de la prestation de travail a été réalisée sur le territoire français ;

Qu’il en résulte que le conseil de prud’hommes de Nice était compétent pour connaître des demandes du salarié à l’égard de la société ;

Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, les parties en ayant été avisées en application de l’article 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société AS Monaco football club aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société As Monaco football club et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société AS Monaco football club.

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir constaté la compétence du Conseil de prud’hommes de Nice pour connaître de l’ensemble des demandes de M. A... Y... à l’encontre de la société AS Monaco football club SA ;

AUX MOTIFS QUE M. A... Y... a exercé les fonctions de masseur-kinésithérapeute sur la période du 15 janvier 2007 au 30 juin 2014 pour le compte de la société de droit monégasque AS Monaco football club SA dans le cadre contractuel suivant :

 période du 15 janvier au 30 juin 2007 : aucun contrat n’est versé aux débats, mais l’existence d’un contrat à durée déterminée couvrant cette période est évoquée par le contrat suivant à durée indéterminée daté du 13 juin 2007,

 période du 1er juillet 2007 jusqu’au 1er août 2009 : contrat à durée indéterminée conclu à Monaco le 13 juin 2007 comportant une clause attributive de compétence en faveur du tribunal du travail de la principauté de Monaco (article 8) et auquel il a été mis un terme par lettre de licenciement datée du 23 juillet 2009 et à effet au 27 juillet 2009,

 période du 1er août 2009 au 1er juillet 2012 : absence de contrat de travail produit mais il est invoqué par M. A... Y... des rémunérations servies en contrepartie de prestations de travail ;

 période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 : contrat à durée déterminée conclu à Monaco le 2 juillet 2012 stipulant en son article 8 dénommé « juridiction compétente en cas de litige » la clause suivante : « afin d’exercer la liberté de choix que lui confère l’article 3 de la convention de Rome du 19 juin 1980, le salarié reconnaît que l’activité découlant du présent contrat s’exerce en exécution des instructions émanant des organes dirigeants installés sur le territoire de la principauté de Monaco, dans l’établissement qui constitue le siège de la société ou s’accomplit habituellement le travail »

 période postérieure au 30 juin 2013 : avenant n°1 au contrat du 2 juillet 2012 conclu à Monaco le 14 juin 2013 et à échéance au 30 juin 2014, comportant les clauses suivantes :

• article 2 intitulé « juridiction compétente en cas de litige » : « en parfaite connaissance des droits que lui attribue l’article 14 du Code civil aux termes duquel l’étranger, même non résident en France, pourra être cité devant les tribunaux français pour l’exécution des obligations par lui contractées en France par un français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France pour les obligations par lui contractées en pays étrangers envers des français. M. A... Y... déclare expressément écarter l’application des dispositions de l’article précité et renoncer à son bénéfice et par voie de conséquence reconnaître la compétence exclusive de la juridiction monégasque du travail pour tout litige dont le présent contrat serait l’objet ou l’occasion »

• article 3 intitulé « législation applicable » : « afin d’exercer la liberté de choix que lui confère l’article 3 de la convention de Rome du 19 juin 1980, le salarié reconnaît que l’activité découlant du présent contrat s’exerce en exécution des instructions émanant des organes dirigeants installés sur le territoire de la principauté de Monaco, dans l’établissement qui constitue le siège de la société où s’accomplit habituellement le travail. En sorte que les parties choisissent communément, librement, expressément la loi monégasque pour régir l’interprétation du contrat, l’exécution des obligations qu’il engendre, les conséquences de l’inexécution totale ou partielle de ses obligations ainsi que les règles de droit en vertu desquelles le dommage sera évalué, les modes d’extinction des obligations ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l’expiration d’un délai et les conséquences de la nullité du contrat » ;

L’application de l’article 14 du Code civil français dont M. A... Y... revendique, à titre principal, le bénéfice, prévoyant qu’un étranger peut être cité devant les tribunaux français pour l’exécution des obligations contractées par lui en France ou à l’étranger avec un Français, ne peut être écartée, en l’absence de convention internationale, qu’en cas de renonciation de la partie qui en est bénéficiaire ; pour les périodes de travail invoquées du 15 janvier au 30 juin 2007 et du 1er août 2009 au 1er juillet 2012, il n’est ni démontré ni soutenu qu’une disposition contractuelle liant les parties prévoit le renoncement au privilège de juridiction prévu par l’article 14 du Code civil, dont M. Y... est fondé à se prévaloir en sa qualité de salarié français ayant contracté à l’étranger avec un employeur étranger ; ses demandes en lien avec les périodes de travail susvisées ont donc vocation à être examinées par une juridiction française ; contrairement aux deux précédentes, pour les périodes de travail suivantes :

 du 1er juillet 2007 jusqu’au 1er août 2009

 du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013

 du 30 juin 2013 au 30 juin 2014,

les contrats et avenants signés par M. A... Y... comportent des clauses attributives de compétence en faveur de la juridiction du travail de Monaco excluant le privilège de juridiction prévu par l’article 14 du Code civil ; cependant, M. Y... explique de façon convaincante qu’il exerçait ses fonctions de masseur-kinésithérapeute essentiellement lors d’entraînements au centre de formation du club, auquel il était contractuellement rattaché, se trouvant sur le territoire français, commune de La Turbie ; la société AS Monaco football club qui fait valoir que son siège social et ses dirigeants sont à Monaco et qui évoque, mais sans apporter la moindre précision quant à leur fréquence, aux équipes et tâches du salarié à ces occasions, le déroulement de matchs au stade Louis II à Monaco requérant la présence de M. Y... qui pouvait y prendre des repas avec les joueurs - étant observé que les équipes monégasques participant aux diverses compétitions françaises, un nombre important de rencontres auxquelles le salarié a pu participer devaient aussi se dérouler sur le territoire français - contredit en vain le fait que l’essentiel de la prestation de travail était réalisé en France, au centre de formation ; aucune clause attributive de compétence dans un contrat international ne peut faire échec à la compétence du conseil de prud’hommes prévue par les dispositions impératives de l’article R.1412-1 du Code du travail dont les dispositions trouvent à s’appliquer en l’espèce dès lors que le travail était essentiellement exécuté sur le territoire français ; la société AS Monaco football club SA n’est pas fondée à se prévaloir du libre choix par les parties de la loi applicable au contrat prévu par la convention de Rome de 1980 dès lors que la question de la loi régissant la relation contractuelle est indépendante de celle tenant à la détermination de la juridiction compétente ; il y a lieu, en l’état de l’ensemble de ces constatations, de retenir également, pour les demandes liées aux périodes de travail susvisées, la compétence du Conseil de prud’hommes, soit celui de Nice du fait de l’implantation du centre de formation sur la commune de La Turbie ; la détermination de la juridiction compétente n’étant pas liée à la question de la loi applicable au litige, la demande de la société Monaco football club SA tendant à ce que la loi monégasque soit reconnue comme celle applicable aux relations des parties ne saurait être tranchée par la cour statuant sur contredit en l’état ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d’une juridiction étrangère, incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté au moins pour partie dans un établissement situé en dehors de l’Union européenne est valide ; qu’en effet, ce n’est que si le contrat s’exécute totalement dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d’ordre public de l’article R.1412-1 du Code du travail font échec à l’application d’une telle clause ; qu’en l’espèce, dès lors qu’elle constatait que M. Y... exerçait au moins pour partie ses fonctions sur le territoire monégasque au cours des matchs disputés par l’équipe de football monégasque dans son stade, la Cour d’appel ne pouvait refuser de donner force obligatoire à l’engagement contractuel des parties désignant la juridiction étrangère comme compétente ; que ce faisant, elle a violé par fausse application les dispositions de l’article R.1412-1 du Code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART, QU’ une clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail conclu entre un salarié français et une société étrangère pour être exécuté dans un établissement situé en dehors de l’Union européenne et désignant expressément la juridiction étrangère est valide ; qu’en effet, ce n’est que si le contrat est exécuté dans un établissement situé en France ou en dehors de tout établissement que les dispositions d’ordre public de l’article R.1412-1 font échec à l’application d’une telle clause ; qu’en cas de contestation, il appartient au juge de vérifier si la prestation de travail accomplie en France avait lieu dans un établissement au sens de ce texte, notamment en termes d’autonomie, de présence sur place d’un représentant de l’employeur et d’un personnel fixe ;

qu’en refusant d’appliquer la clause contractuelle, au motif que le travail s’effectuait essentiellement dans un centre de formation situé en France, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée, si celui-ci pouvait être qualifié d’établissement au sens de l’article R.1412-1 du Code du travail, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

ALORS, ENFIN, QUE l’article R.1412-1 du Code du travail qui ne prévoit que des règles de compétence territoriale internes, n’a nullement pour objet d’instaurer la suprématie des juridictions françaises sur les juridictions étrangères et ne s’oppose nullement à la présence dans un contrat de travail international conclu entre un salarié français et une société étrangère d’une clause attributive de juridiction prévoyant la compétence d’une juridiction étrangère ayant un lien sérieux avec le litige ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a, par fausse application, violé les dispositions des articles R.1412-1 du Code du travail et 14 et 15 du Code civil. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 18 mai 2017