Mise en demeure

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 10 mars 2009

N° de pourvoi : 07-43985

Publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Collomp, président

M. Gosselin, conseiller apporteur

M. Aldigé, avocat général

Me Luc-Thaler, SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé à compter du 19 juillet 2000 par l’APEI de Sèvres en qualité de veilleur de nuit à raison d’un horaire de 29 heures hebdomadaires, qu’ayant été licencié pour faute grave le 30 novembre 2004 en raison d’un cumul d’emploi dépassant la durée maximale du travail, il a saisi la juridiction prud’homale afin de faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir notamment un rappel de congés payés supplémentaires ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de règlement de congés payés supplémentaires, alors, selon le moyen, que l’annexe 5 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées concerne le personnel des services généraux, défini par opposition premièrement au personnel de direction, d’administration et de gestion, deuxièmement au personnel éducatif, pédagogique et social et troisièmement au personnel psychologique et paramédical, comme celui chargé de tous travaux nécessaires au bon fonctionnement des services matériels (entretien et réparation des locaux, des cours et jardins, de la cuisine, de la lingerie, des ateliers, etc.) ; que la classification des emplois du personnel des services généraux qui y est annexée vise expressément l’emploi de surveillant de nuit chargé de la surveillance de nuit des personnes inadaptées et handicapées dans les établissements avec hébergement ; que l’article 9 de ladite annexe est également consacré à la définition notamment de l’emploi de surveillant de nuit ; qu’en refusant à M. X..., surveillant de nuit, le bénéfice des congés supplémentaires octroyés par l’article 8 de cette annexe au motif que son emploi ne rentrerait pas dans le cadre de ce texte, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil et l’annexe 5 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées par refus d’application ;

Mais attendu que par l’avenant n 145 relatif à l’application de l’annexe n 10 à la convention collective des établissements et services pour les personnes inadaptées et handicapées, dont relève le salarié en application de son contrat de travail, les parties signataires sont convenues d’accorder aux personnels des établissements visés par cette annexe des jours de congés supplémentaires ; qu’en prévoyant de tels congés par un accord distinct, peu important que ledit accord n’ait pu prendre effet en raison du défaut d’agrément ministériel, ces parties ont entendu par là-même écarter les intéressés du bénéfice des dispositions relatives aux congés prévus par d’autres annexes à ladite convention ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident de l’employeur :

Vu les articles L. 324-2 et L. 324-3 devenus L. 8261-1 et L. 8261-2 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

Attendu, d’abord, qu’aucun salarié ne peut accomplir des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail telle qu’elle ressort des dispositions légales de sa profession ; ensuite, qu’un employeur ne peut conserver à son service un salarié qui méconnaît cette interdiction ; enfin, qu’en cas de cumul par le salarié de deux contrats de travail entraînant un tel dépassement, l’employeur, auquel le salarié demande de réduire son temps de travail, n’est pas tenu d’accepter cette modification du contrat de travail ;

Attendu que pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le salarié reconnaît avoir exécuté deux contrats de travail dont l’un à temps complet (pour l’APAJH) et l’autre à hauteur de 29 heures par semaine (pour l’APEI) ; que l’attestation de la conseillère du salarié lors de l’entretien préalable au licenciement établit que celui-ci a proposé de régulariser sa situation en réduisant le nombre d’heures effectuées ; que ce désir de régularisation avait été clairement émis par le salarié dans ses lettres antérieures des 29 octobre et 5 novembre précédents ; que l’association n’a pas répondu à ces propositions réitérées ; que la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige ne mentionne ni la proposition du salarié ni les raisons pour lesquelles elle n’aurait pu la retenir ;

Qu’en statuant comme elle a fait, en reprochant à l’employeur de ne pas avoir répondu à la demande du salarié de réduire son temps de travail et de ne pas avoir mentionné dans la lettre de licenciement les raisons pour lesquelles il n’avait pas retenu cette proposition, la cour d’appel, à qui il appartenait de s’assurer que l’employeur avait mis en demeure le salarié de choisir l’emploi qu’il souhaitait conserver, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt rendu le 7 juin 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par Me Luc-Thaler, avocat aux Conseils pour M. X..., demandeur au pourvoi principal

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Monsieur Patrick X... de sa demande de règlement de congés payés supplémentaires,

AUX MOTIFS QUE Monsieur X... demande à bénéficier des dispositions de l’article 8 de l’annexe 5 de la convention collective applicable ; que celle-ci est cependant destinée –aux termes de son article 1– aux personnels chargés de tous travaux d’entretien et réparations, services de cuisine, de lingerie et des ateliers ; que Monsieur X..., surveillant de nuit, ne peut bénéficier des avantages liés prévus par ce texte,

ALORS QUE l’annexe 5 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées concerne le personnel des services généraux, défini par opposition premièrement au personnel de direction, d’administration et de gestion, deuxièmement au personnel éducatif, pédagogique et social et troisièmement au personnel psychologique et paramédical, comme celui chargé de tous travaux nécessaires au bon fonctionnement des services matériels (entretien et réparation des locaux, des cours et jardins, de la cuisine, de la lingerie, des ateliers, etc.) ; que la classification des emplois du personnel des services généraux qui y est annexée vise expressément l’emploi de surveillant de nuit chargé de la surveillance de nuit des personnes inadaptées et handicapées dans les établissements avec hébergement ; que l’article 9 de ladite annexe est également consacré à la définition notamment de l’emploi de surveillant de nuit ; qu’en refusant à Monsieur X..., surveillant de nuit, le bénéfice des congés supplémentaires octroyés par l’article 8 de cette annexe au motif que son emploi ne rentrerait pas dans le cadre de ce texte, la Cour d’appel a violé l’article 1134 du Code Civil et l’annexe 5 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées par refus d’application.

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour l’association APEI de Sèvres-Chaville-Ville d’Avray, demanderesse au pourvoi incident

II est fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, d’AVOIR condamné l’association APEI de SEVRES–CHAVILLE–VILLE D’AVRAY à payer à Monsieur X... les sommes de 13.000 à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.916,34 et 391,63 à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, et 5.221,78 à titre d’indemnité de licenciement ;

AUX MOTIFS QUE « l’employeur doit mettre en place une procédure de licenciement dès lors que le salarié refuse de régulariser sa situation ; qu’en l’espèce, Monsieur X... reconnaît avoir exécuté deux contrats de travail dont l’un à temps complet (pour l’APAJH) et l’autre à hauteur de 29 heures par semaine (pour l’APEI) d’ailleurs produit aux débats ; que l’attestation de la conseillère du salarié lors de l’entretien préalable établit que celui-ci a proposé de régulariser sa situation en réduisant le nombre d’heures effectuées ; que ce désir de régularisation avait été clairement émis par Monsieur X... dans ses lettres antérieures des 29 octobre et 5 novembre précédents (« n’était-il pas envisageable que je garde chez vous un contrat diminué en heures qui tiendrait compte de la durée maximale du travail ? ... vous devez me permettre de régulariser ma situation ... je souhaite régulariser ma situation et vous le savez ! ») ; que l’association n’a pas répondu à ces propositions réitérées ; que la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige ne mentionne ni la proposition du salarié ni les raisons pour lesquelles elle n’aurait pu la retenir ; que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que la décision des premiers juges doit être infirmé de ce chef ; que Monsieur X... avait une ancienneté supérieure à deux années dans une entreprise de plus de dix salariés et doit être indemnisé à hauteur minimal des six derniers mois de salaire en application de l’article L.122-14-4 du Code du Travail ; qu’en l’absence de production d’éléments autres que deux attestations ASSEDIC des deux mois consécutifs du licenciement, l’association sera condamnée à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 13.000 ; que Monsieur X... devra être payé du salaire correspondant à la période de préavis ; qu’au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement l’association devra lui payer la somme de 5.221,78 »

ALORS, D’UNE PART, QU’ en cas de cumul entre deux contrats de travail entraînant un dépassement de la durée légale maximale du travail, c’est au salarié informé du caractère illicite de ce dépassement qu’il appartient de choisir l’emploi qu’il souhaite conserver, et ce dernier commet une faute en laissant délibérément perdurer cette situation irrégulière ; que dès lors viole les articles L.120-4, L.122-6, L.122-9, L.122-14-3, L.212-7, L.324-2 et L.324-3 du Code du Travail, la cour d’appel qui, ayant constaté que Monsieur X... avait été parfaitement informé de l’irrégularité du cumul d’emploi dont il était l’auteur comme il le reconnaissait lui-même dans sa lettre du 25 octobre 2004, décide cependant que le fait de laisser délibérément perdurer cette situation ne constituerait pas une faute de nature à justifier son licenciement ;

QU’il en va d’autant plus ainsi que les infractions sur la durée hebdomadaire du travail sont passibles de sanctions pénales et que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé des travailleurs ; qu’après avoir invité à de multiples reprises Monsieur X... à régulariser sa situation, l’APEI de SEVRES ne pouvait prendre le risque de laisser plus longtemps Monsieur X... occuper un emploi de nuit après que celui-ci ait travaillé toute la journée au profit d’un autre employeur, dépassant ainsi largement l’amplitude journalière légalement acceptée ; qu’en jugeant que le fait pour Monsieur X... de laisser délibérément perdurer cette situation illicite et pouvant constituer un risque pour la santé ne constituait pas une faute de nature à justifier son licenciement, la cour d’appel a violé les articles L.122-6, L.122-9, L.122-14-3, L.212-7, L.220-1, L.230-2, L.324-3 et R. 362-4 du Code du Travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE l’employeur n’est pas tenu d’accepter une réduction substantielle de la durée du travail par un salarié qui a décidé de son propre fait de cumuler deux emplois auprès de deux employeurs distincts ; que dès lors viole les articles L.121-1, L.122-6, L.122-9, L.122-14-2, L.122-14-3 et L.212-1 du Code du Travail ensemble le principe constitutionnel de la Liberté d’entreprendre, la cour d’appel qui, pour juger que le licenciement de Monsieur X... ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, fait reproche à l’APEI de SEVRES de ne pas avoir permis à Monsieur X... de régulariser sa situation en acceptant une réduction de son temps de travail, et de ne pas avoir mentionné dans la lettre de licenciement les raisons pour lesquelles cette solution n’aurait pu être retenue.
Publication : Bulletin 2009, V, n° 70

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles du 7 juin 2007

Titrages et résumés : TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Durée maximale - Dépassement - Cumul d’emplois - Portée

Selon les articles L. 324-2 et L. 324-3 devenus L. 8261-1 et L. 8261-2 du code du travail, aucun salarié ne peut accomplir des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail telle qu’elle ressort des dispositions légales de sa profession et un employeur ne peut conserver à son service un salarié qui méconnaît cette interdiction.

Il résulte de ces textes qu’en cas de cumul par le salarié de deux contrats de travail entraînant un tel dépassement, l’employeur, auquel le salarié demande de réduire son temps de travail, n’est pas tenu d’accepter cette modification du contrat de travail.

Encourt dès lors la cassation l’arrêt qui, pour dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié cumulant de façon illicite deux emplois, reproche à l’employeur de ne pas avoir répondu à la demande du salarié de réduire son temps de travail et de ne pas avoir mentionné dans la lettre de licenciement les raisons pour lesquelles il n’avait pas retenu cette proposition

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Cause - Cause réelle et sérieuse - Applications diverses - Cumul d’emplois dépassant la durée maximale du travail - Refus par l’employeur d’accéder à la demande du salarié de réduire son temps de travail

Textes appliqués :
* articles L. 324-2 et L. 324-3 devenus L. 8261-1 et L. 8261-2 du code du travail