Absence de dpae pour masquer recours illicite CDD répétés

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 17 juin 2014

N° de pourvoi : 13-81116

ECLI:FR:CCASS:2014:CR02704

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Laugier et Caston, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Gérard X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 26 décembre 2012, qui, pour travail dissimulé et infractions à la réglementation relative au contrat de travail à durée déterminée, l’a condamné à 20 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 6 mai 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Beauvais, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire MAZIAU, les observations de la société civile professionnelle LAUGIER et CASTON, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON et de la société civile professionnelle HÉMERY et THOMAS-RAQUIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle des chefs susvisés pour avoir, en sa qualité d’employeur, omis intentionnellement de procéder aux déclarations nominatives d’embauche de plusieurs enseignants et d’avoir employé ces salariés par contrats à durée déterminée hors les cas prévus par la loi ; que le tribunal ayant dit la prévention établie, le prévenu, le ministère public et les parties civiles ont relevé appel du jugement ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 1221-1, L. 1221-10, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, 1°, L. 8224-1 du code du travail, 1832, 1873 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé pour avoir omis intentionnellement de procéder à des déclarations nominatives préalables à l’embauche, l’a condamné au paiement d’une amende 20 000 euros et a ordonné le renvoi sur les intérêts civils ;

”aux motifs que, sur la qualité d’employeur de M. X..., la cour rappelle que la qualité d’employeur d’une personne ne saurait résulter uniquement de sa capacité à signer un contrat de travail ; qu’elle implique la démonstration de direction, d’un contrôle et d’une sanction du travail des personnes salariées ; qu’en la présente espèce, la cour relève que : -les déclarations concordantes des salariés mettent en évidence que le prévenu signait les chèques en paiement des cours qu’ils avaient donnés et les leur remettait, outre qu’il remplissait les bulletins de paie, -le prévenu et Mme Y... ont répondu conjointement sur la demande des salariés relatifs à leur statut au regard des organismes de sécurité sociale et de retraite, la cour se rapportant expressément aux déclarations précises de M. Z... et de M. A... à ce sujet, -lorsqu’il s’agissait de discussions administratives, Mme Y... différait systématiquement sa réponse indiquant qu’elle allait parler à M. X..., -la plupart des salariés interrogés mentionnaient que la véritable gestion administrative de l’établissement relevait de M. X..., -ce dernier s’est présenté spontanément lors de l’enquête en qualité de directeur associé de l’établissement, ce qui démontre une application de fait dans la gestion effective du cours et de son personnel, -le prévenu a admis que les règles d’embauche des salariés avaient été définies en commun avec son associée ; qu’elle souligne en outre que cette responsabilité est conforme à l’existence d’une société créée de fait dans laquelle chaque associé est à l’égard des tiers considéré comme gérant les intérêts sociaux et engage sa responsabilité personnelle en l’absence de personne morale ; que, nonobstant les termes du contrat fixant à 5 heures par semaine la gestion administrative confiée au prévenu, la cour relève son rôle déterminant dans l’animation administrative du cours, puisque les décisions importantes lui revenaient, Mme Y... indiquant devoir le consulter pour celles-ci, assurant la gestion des paies et la gestion des questions administratives liées au statut des salariés ; qu’il exerçait donc un pouvoir réel de direction des salariés et de contrôle par la gestion des paies ; que la lettre par laquelle Mme Y... fait part de la cessation d’activité du cours est écrite au nom des deux associés ; qu’elle implique donc que le prévenu exerçait aussi un pouvoir effectif sur la vie des contrats ; qu’il s’en déduit que M. X... présente les qualités d’employeur des salariés de la société créée de fait ;

”alors que le contrat de travail suppose un lien de subordination qui se caractérise par l’existence d’un travail sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements du subordonné ; qu’en se bornant à affirmer, pour en déduire que M. X... avait la qualité d’employeur, qu’il exerçait un réel pouvoir de direction des salariés et de contrôle de la gestion des paies, sans constater ni caractériser l’existence d’un lien de subordination entre l’intéressé, qui soulignait qu’il n’avait eu qu’un rôle consultatif dans la gestion administrative de l’établissement, et les enseignants, se traduisant par le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

”et aux motifs que, sur la non-déclaration des salariés à l’URSSAF, l’élément matériel du délit n’est pas contesté, M. X... indiquant qu’il s’agit d’une contravention de l’article R. 1227-1 du Code du travail ; que la cour relève que dès lors qu’une contravention existe sanctionnant le seul fait de ne pas déclarer un salarié à l’URSSAF, l’élément moral exigé du délit ne saurait résulter de la simple omission et du fait que nul n’est censé ignorer la loi, mais doit être prouvé par la violation en pleine connaissance de cause des obligations légales ; que la cour relève à cet égard que : -aucun des salariés de la société créée de fait, ce y compris les salariés en contrat à durée indéterminée, n’ont été déclarés préalablement à leur embauche, comme il résulte de la correspondance du 2 février 2006 signée par le directeur de l’URSSAF de la Marne, -le prévenu ne peut dès lors s’abriter derrière le fait que le statut particulier de ses enseignants qui étaient par ailleurs salariés d’autres entreprises ou de l’Etat lui avait fait perdre de vue cette nécessité en raison du fait qu’ils avaient demandé au rectorat l’autorisation de cumul d’emploi, dès lors que les salariés en contrat à durée indéterminée n’étaient pas des enseignants et n’avaient que lui et son associé comme employeur, -s’agissant des enseignants, l’absence de déclaration d’embauche successive à chaque renouvellement de contrat permettait d’éluder le fait que certains exerçaient une activité permanente dans l’établissement et masquait l’usage illicite de contrats de travail à durée déterminée, et au regard du nombre d’enseignants relevés, cette dissimulation constituait une politique délibérée des associés de la société créée de fait agissant en qualité d’employeur, -cette dissimulation était donc totalement volontaire et masquait ainsi à l’URSSAF et aux autres organismes sociaux la réalité des emplois occupés, ce qui a pu générer par la suite des redressements, admis par le prévenu ; que le délit est donc constitué ;

”alors qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche ; qu’en se bornant également à affirmer que M. X... avait mené une politique délibérée de dissimulation dans le but de masquer à l’URSSAF la réalité des emplois occupés, sans dire en quoi M. X... avait pu chercher à dissimuler l’emploi des salariés à l’URSSAF, quand cette dernière connaissait parfaitement la situation des enseignants pour avoir effectué divers contrôles au sein de l’établissement, ce qui excluait toute volonté délibérée de dissimulation, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé la qualité de gérant de fait du prévenu, ainsi qu’en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de travail dissimulé dont elle l’a déclaré coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’ appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 du code pénal, L. 1242-2, 3°, L. 1248-2, D. 1242-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de conclusion de contrats de travail à durée déterminée hors des cas autorisés, l’a condamné au paiement d’une amende 20 000 euros et a ordonné le renvoi sur les intérêts civils ;

”aux motifs que, sur le recours irrégulier à des contrats à durée déterminée, la cour relève que pour bénéficier de contrats à durée déterminée, l’employeur doit démontrer l’existence d’un usage particulier de la profession autre que celui décrit dans la circulaire DRT n° 18-90 du 30 octobre 1990 ; que sont ainsi autorisés les contrats à durée déterminée pour des emplois non permanents dans un établissement ou pour des emplois qui correspondent à un enseignement limité à une fraction d’année scolaire ; que le texte institue donc une condition alternative ; qu’il est précisé que les enseignants qui sont recrutés pour toute la durée de l’année scolaire et pour dispenser un enseignement entrant chaque année dans le programme de l’établissement doivent l’être par contrat de travail à durée indéterminée ; que la cour relève à cet égard que : -l’objet social était normalement l’exercice d’activités d’enseignement secondaire, -le témoignage des enseignants démontre le suivi de classes, la tenue de conseils de classe avec des élèves qui ont suivi un cursus scolaire normal dans l’établissement, souligne à cet égard que le prévenu n’a pas formellement contesté ce point et relève ainsi dans le corps des contrats de travail conclus pour la période à peine inférieure à la durée légale de l’année scolaire, les clauses suivantes : « cette charge inclut la conception, l’animation des enseignements ci-dessus évoqués, l’évaluation des élèves et, de manière générale, tous les travaux s’inscrivant dans le cadre pédagogique en vigueur. De plus, l’enseignant participera aux conseils de classe sur convocation de Mme la directrice au cours Jean-Jacques Rousseau. Il s’engage, en outre, à respecter le calendrier pédagogique ainsi que les emplois du temps établis par les directions des programmes dans lesquels il intervient, et s’oblige à fournir les sujets des épreuves de contrôle, ainsi qu’à remettre les copies et notes des épreuves qu’il a corrigées dans les délais fixés par l’administration », -il s’en déduit que l’enseignant est engagé pour une année scolaire dans le cadre de la définition d’un programme pédagogique qui lui est imposé avec tenue de conseils de classe, ce qui induit l’existence d’un cycle secondaire complet et exclut un enseignement ponctuel sur une fraction de l’année scolaire, -la permanence de nombreux enseignants sur plusieurs années attestée par la succession des contrats de travail relevée par l’enquête démontre la pérennité des cours sur plusieurs années instituant ainsi un enseignement permanent dans le cadre d’uns scolarité secondaire complète ; qu’elle en conclut que la société de fait gérait une activité d’enseignement secondaire et supérieur régulière dans le cadre de cycles d’études excluant que les emplois ne soient pas permanents ; qu’il importe dès lors peu que le rythme scolaire, courant sur une période inférieure à l’année scolaire telle que définie par l’Etat, ait été interrompu par les congés d’été et que les délais de carence entre des contrats aient été respectés ; que la cour ajoutera que la limitation de la durée d’enseignement constitue une apparence formelle de respect des conditions de la convention collective dès lors que l’enseignement délivré correspond à un cycle scolaire normal sur une année scolaire ; qu’en conséquence, le recours à des contrats à durée déterminée successifs constitue une violation de la loi et est sanctionnée par le code du travail ; qu’en sa qualité d’employeur, M. X... doit être déclaré responsable de ce délit ;

”1°) alors que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera celle du chef ayant déclaré M. X... coupable de conclusion de contrats de travail à durée déterminée hors des cas autorisés, et ce par voie de conséquence, la culpabilité de l’intéressé étant encore déduite de ce qu’il aurait dirigé une société créée de fait dans le cadre de laquelle il aurait eu la qualité d’employeur ;

”2°) alors que nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement ; qu’au demeurant, en retenant que le recours par M. X... à des contrats à durée déterminée successifs constituait une violation de la loi et était sanctionnée par le code du travail, pour en déduire qu’il était coupable de conclusion de contrats de travail à durée déterminée hors des cas autorisés, en se référant ce faisant, pour les éléments constitutifs de l’infraction, à la circulaire DRT n° 18-90 du 30 octobre 1990, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”3°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu’en retenant en outre, ce faisant encore, pour déclarer M. X... coupable de conclusion de contrats de travail à durée déterminée hors des cas autorisés, que la société de fait gérait une activité d’enseignement secondaire et supérieur dans le cadre de cycles d’études excluant que les emplois ne soient pas permanents, sans répondre aux conclusions faisant état de ce que les enseignements dispensés par les professeurs avaient un caractère temporaire pour ne porter que sur certaines heures, les tâches étant effectuées de façon ponctuelle, en fonction des effectifs, des disciplines et de la demande des élèves, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”4°) alors que des emplois peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que le recours à l’utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ; qu’au demeurant encore, pour finir, en considérant que la société de fait gérait une activité d’enseignement secondaire et supérieur dans le cadre de cycles d’études excluant que les emplois ne soient pas permanents, sans dire, d’une part, en quoi il n’était pas d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée et, d’autre part, en quoi le recours à l’utilisation de contrats successifs n’était pas justifié par des raisons objectives, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés” ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d’infractions à la réglementation relative au contrat de travail à durée déterminée, la cour d’appel prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, et dès lors que, même lorsqu’il est conclu dans l’un des secteurs d’activité visés par les articles L. 1242-2, 3°, et R. 1242-1 du code du travail, au nombre desquels figure l’enseignement, le contrat à durée déterminée ne peut avoir d’autre objet que de pourvoir un emploi présentant par nature un caractère temporaire, la cour d’appel a justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. X... devra payer à M. Jean-François C..., partie civile, au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. X... devra payer à Mme Annick D..., au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept juin deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Reims , du 26 décembre 2012