Quantification a priori - pas d’infraction de travail dissimulé

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 16 avril 2013

N° de pourvoi : 12-81767

ECLI:FR:CCASS:2013:CR01677

Publié au bulletin

Cassation sans renvoi

M. Louvel (président), président

SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" M. Frédéric X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 16 février 2012, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à 30 000 euros d’amende, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 19 mars 2013 où étaient présents : M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, Mme Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Monfort, Buisson, Laborde conseillers de la chambre, Mme Divialle, M. Talabardon conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Liberge ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBERGE ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail, L. 3243-2 du même code, D. 3171-9 du même code dans sa rédaction issue du décret n° 2007-12 du 4 janvier 2007, 2.2 du chapitre IV de la convention collective nationale des entreprises de la distribution directe, en date du 9 février 2004, 111-4 et 121-3 du code pénal, 388 du code de procédure pénale, 591 et 593 du même code, défaut de motifs, défaut de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de travail dissimulé par mention d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement pratiqué, l’a condamné en répression à une peine d’amende de 30 000 euros ainsi qu’à la publication de la décision, outre à verser diverses sommes aux parties civiles ;

”aux motifs que le jugement déféré relève que les preuves réunies sont insuffisantes, un seul contrôle par distributeur, celui-ci se sachant surveillé, sans que soit établi de manière certaine que d’une façon générale, le nombre d’heures réellement effectuées soit supérieur au nombre d’heures figurant sur le bulletin de salaire et au temps rémunéré ; que le caractère intentionnel de l’infraction n’est pas certain, le prévenu étant tenu d’appliquer la convention collective, laquelle repose sur des critères objectifs ; que le prévenu conclut à la confirmation du jugement, au bénéfice des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail et de la convention collective nationale, et de l’accord d’entreprise du mai 2005, soulignant que ces règles dérogatoires ont été consacrées par le décret du 4 janvier 2007, lui-même remplacé, après son annulation, par un décret du 8 juillet 2010 ; que le ministère public requiert l’infirmation de la décision ; que la convention collective nationale de la distribution et le décret du 4 janvier 2007 prévoient certes une dérogation aux règles du contrôle du temps de travail : le système de précomptage n’est pas discuté ; que la loi et la convention prévoient cependant un rattrapage ; que la plus récente jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, en pareille hypothèse décide que s’agissant de démontrer les heures de travail réellement accomplies, la quantification préalable est un élément parmi d’autres lequel ne suffit pas à lui seul à attester de la durée du travail réellement effectué ; qu’en l’espèce, la cour relève, en fait, la disproportion notable, significative, parfois très importante, entre les heures préalablement décomptées et les heures effectuées, au travers tant des constatations de l’Inspection du travail, à l’encontre desquelles aucune preuve contraire n’est apportée, que des déclarations des salariés, soit devant ce service, soit devant les services de police judiciaire ; que les contrôleurs du travail, dans des constatations lesquelles valent jusqu’à preuve du contraire, ont constaté sur neuf tournées de distribution différentes, à des dates distinctes, lors d’opérations menées par des distributeurs et des fonctionnaires qui ne pas les mêmes, des distorsions allant de 1h30 à 4h, supérieures à 2 h pour six tournées (il s’agit de tournées hebdomadaires confiées à des salariés à temps partiel), constatations corroborées par les auditions recueillies par l’inspection du travail auprès des dix-huit autres distributeurs, et treize autres entendus par les services de police ; que sans qu’il soit nécessaire de récapituler les très nombreuses dénonciations des mêmes faits, à l’encontre de la même entreprise dans plusieurs autres régions de France, parfois par des délégués du personnel, il est vrai au travers de documents stéréotypés parvenus au parquet de Mont-de-Marsan et joints au dossier ; que devant la cour, les distributeurs, notamment M. Y..., également contrôleur, sont venus confirmer ces dépassements ; que, du reste, des distorsions entre l’horaire prédéfini et l’horaire réel sont-elles admises par le prévenu et le responsable du personnel de la société, qui revendiquent l’application de la convention collective et font état, le premier de corrections le second de l’annualisation du temps de travail, et d’ajustement des classifications de secteur ; qu’aucune régularisation n’est cependant intervenue, en tout cas pour les victimes répertoriées dans la citation ; que le prévenu reconnaît que le lissage des rémunérations, il est vrai facultatif, n’est pas pratiqué ; qu’il ne justifie nullement à propos des ces victimes, non plus que d’autres salariés de la procédure de révision, spécialement prévue par la Convention collective pour les distributeurs à temps partiel modulé (art. 2-2-3) ; que la cour tient donc pour acquis le fait que la société Adrexo, dirigée par le prévenu, a rémunéré les vingt-deux salariés désignés dans la citation pour les seules heures préalablement décomptées, inférieures au temps de travail effectif ; qu’en droit, aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : 2°/ soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre 1er de la 3ème partie ; que l’exception prévue par le 2° de l’article L. 8221-5 du code du travail, lequel édicte des présomptions de travail dissimulé, n’exclut pas la commission du délit, par violation de l’interdiction générale du travail dissimulé, formulé par l’article L. 8221-1 1° ; que la société du prévenu, dont l’activité, la distribution de publicités et imprimés divers dans les boîtes aux lettres est spécifique, et permet sinon commande l’autonomie horaire des salariés, est susceptible de bénéficier de la dérogation instaurée par ce texte, dérogation dont le support est la convention collective et qui suppose donc que celle-ci soit totalement appliquée, sans quoi l’exception au principe fondamental que tout travail doit être correctement et exactement rémunéré et donc décompté, n’est plus admissible ; qu’en l’occurrence, l’entreprise dirigée par le prévenu ne respecte pas la convention collective, en ce qu’aucun correctif n’est effectivement apporté à de réelles et notables distorsions entre les horaires préalablement (et conventionnellement) établis et ceux réellement effectués, ni le lissage des rémunérations, facultatif, et que ne pratique pas l’entreprise, ni la modulation, pourtant stipulée comme obligatoire et annuelle ne sont établis par le prévenu, en tout cas pour les salariés concernés ; que le prévenu n’apporte pas la preuve de corrections ou ajustements mensuels ou annuels ; qu’aucune régulation n’est intervenue en faveur des salariés, ainsi qu’ils l’ont encore précisé devant la cour ; que les contrôles de neuf secteurs par centre et par an, soit environ 2 360 sur les 59 000 revendiqués par le prévenu, soit 4% ou un contrôle tout les vingt-cinq ans, ni sauraient en tenir lieu ; que s’en tenir à la convention collective et ne pas rémunérer les heures réellement effectuées, mais seulement les heures préalablement déterminées constitue donc bien un fait de travail dissimulé ; que du reste est-il maintenant décidé que l’employeur a obligation de rémunérer les heures réellement effectuées, l’horaire préalablement défini pour les distributeurs ne constituait qu’un des éléments à retenir pour décompter la durée du travail ; que le prévenu ne saurait s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant les décisions de jurisprudence ayant rejeté la notion de travail dissimulé ; qu’il ressort en effet de l’ensemble des décisions qu’il produit, conseil des prud’hommes, cour d’appel, et même le plus récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation (11 septembre 2011), que les demandes de salariés ont été rejetées non pas sur le principe, mais parce que la preuve de l’horaire effectif, notamment par les décomptes établis personnellement par ces salariés, était insuffisante ; qu’en l’espèce, la preuve est formellement établie par les constatations objectives, non contredites, des fonctionnaires assermentés de l’inspection du travail, constatations plurielles qui confirment les éléments de fait établis à partir des déclarations recueillies par la police judiciaire pour d’autres salariés ; que quant à l’élément intentionnel, la généralisation d’une pratique irrégulière, en dépit de multiples réclamations, de très nombreux contentieux prud’homaux ou pénaux, et en l’espèce la résistance aux avertissements de l’inspection du travail, de la part du prévenu et de son entreprise, arc-boutés sur les dispositions d’une convention collective, scrupuleusement appliquées lorsqu’à leur avantage mais négligées quant aux contreparties utiles aux salariés, il apparaît tout à fait établi ; que le prévenu ne justifie d’aucune délégation de pouvoir qu’il aurait concédée ; que le jugement déféré sera donc infirmé et la condamnation de M. X... prononcée du chef de travail dissimulé par la mention sur le bulletin de paie de vingt-deux salariés d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ;

”1°) alors que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que l’article L. 8221-1, 1°, du code du travail dispose qu’est interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; que l’article L. 8221-5 répute travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, notamment, de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; qu’une condamnation pour travail dissimulé, sous l’angle des bulletins de paie, sur le fondement de l’article L. 8221-1, 1°, du code du travail, ne peut donc intervenir qu’en combinaison avec l’article L. 8221-5 du même code, et suppose que les conditions prévues par ce dernier texte soient remplies ; qu’au cas d’espèce, en considérant au contraire que le caractère non punissable de la mention sur un bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, dès lors que cette mention résulte d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail, prévu par le 2° de l’article L. 8221-5 du code du travail, n’était qu’une exception qui n’excluait pas que le délit fût constitué par la simple méconnaissance de l’article L. 8221-1, 1°, considéré isolément, qui punirait la violation de l’interdiction générale du travail dissimulé, les juges du second degré ont violé les textes susvisés ;

”2°) alors que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le délit pour lequel le prévenu était recherché, au titre d’un travail dissimulé, consistait à avoir mentionné sur des bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; que les textes d’incrimination ne visent en aucune manière le fait que les salariés auraient été rémunérés à un niveau inférieur à celui auquel ils auraient eu droit pour avoir accompli davantage d’heures de travail que celles retenues ; qu’au cas d’espèce, la cour d’appel ne pouvait donc pour entrer en voie de condamnation à l’égard du prévenu, sans violer les textes visés au moyen, lui imputer à faute à plusieurs reprises le fait de ne pas avoir rémunéré les heures réellement effectuées par les salariés, circonstance n’entrant pas dans la prévention fondant les poursuites ;

”3°) alors que, de la même manière, l’article L. 8221-5, 2°, du code du travail prévoit que la mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli n’est pas punissable quand cette mention résulte d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie du même code ; qu’il suffit donc que la convention collective ou l’accord visé aux textes prévoie une telle mention, différente des heures réellement travaillées, sans qu’il soit nécessaire par ailleurs que les autres dispositions de la convention ou de l’accord soient respectées ; qu’au cas d’espèce, en retenant au contraire qu’il fallait que la convention collective soit totalement appliquée pour que le délit ne soit pas constitué, et en imputant au prévenu la faute de ne pas avoir procédé aux corrections ainsi qu’au lissage des rémunérations, facultatif, prévus par la convention collective, pour entrer en voie de condamnation à son encontre, les juges du second degré ont de nouveau violé les textes susvisés ;

”4°) alors qu’il n’y a point de délit sans intention de le commettre ; que si la simple violation de prescriptions légales ou réglementaires en connaissance de cause peut, dans certains cas, caractériser l’intention délictueuse, au cas d’espèce, il résulte des propres constatations des juges du second degré que le prévenu avait appliqué les dispositions de la convention collective en ce qui concerne le calcul des heures de travail, de sorte que, peu important que d’autres dispositions de la convention n’aient le cas échéant pas été respectées en ce qui concerne les rémunérations, il était exclu qu’il soit retenu que le prévenu avait violé en connaissance de cause des prescriptions légales ou réglementaires, puisqu’il était en droit de se fier à l’application de la convention collective au regard de l’article L. 8221-5, 2°, du code du travail ; qu’en retenant dans ces circonstances un élément intentionnel, les juges du second degré ont violé les textes susvisés ;

”5°) alors qu’il n’y a point de délit sans intention de le commettre ; que la cour d’appel a constaté que le nombre d’heures de travail portée sur les bulletins de paie correspondait à l’application régulière de la préquantification résultant de la convention collective de la distribution directe ; que la cour d’appel ne pouvait dès lors, sauf à priver sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen, imputer au prévenu une intention de commettre le délit consistant en l’indication dans le bulletin de paie d’une durée de travail inférieure à la durée réelle, sans même faire ressortir la connaissance qu’il aurait eu de manière certaine et contemporaine à l’édiction des bulletins de paie, s’agissant des salariés concernés, de ce que leur durée réelle de travail excédait celle déterminée par la convention collective ;

”6°) alors que le prévenu était recherché en sa qualité de dirigeant de la société Adrexo Sud-Ouest et pour les seuls bulletins de paie visés à la prévention ; qu’en déduisant encore l’élément intentionnel de ce que de nombreux contentieux et de nombreuses plaintes seraient intervenus en différents points du territoire national, quand ces éléments étaient impropres à caractériser l’intention dans le chef du prévenu au strict regard de la prévention limitée à certains salariés de la société Adrexo Sud-Ouest, les juges du second degré ont à cet égard encore violé les textes sus visés” ;

Vu l’article L. 8221-5 du code du travail ;

Attendu qu’il résulte de ce texte qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, sauf si cette mention résulte d’une convention collective ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie dudit code ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du procès-verbal de l’inspection du travail, base de la poursuite, que M. X..., dirigeant de la société Adrexo Sud-Ouest, entreprise spécialisée dans la distribution de prospectus publicitaires, a été poursuivi du chef de travail dissimulé pour avoir mentionné sur les bulletins de paie de vingt-deux salariés un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; que, pour infirmer le jugement ayant relaxé le prévenu, les juges du second degré relèvent, notamment, que celui-ci ne peut se prévaloir de la convention collective nationale étendue de la distribution directe du 9 juillet 2004, dès lors qu’aucun correctif n’a été apporté aux distorsions entre les horaires conventionnellement établis et ceux réellement effectués et que n’ont pas été rémunérées les heures effectivement accomplies, mais seulement les heures préalablement quantifiées en application de cette convention ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli n’est pas punissable quand cette mention résulte, comme en l’espèce, d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Pau, en date du 16 février 2012 ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize avril deux mille treize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Pau , du 16 février 2012