Charge de la preuve des heures de travail accomplies

Le : 27/01/2014

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 15 janvier 2014

N° de pourvoi : 12-19585

ECLI:FR:CCASS:2014:SO00081

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Blatman (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Yves et Blaise Capron, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 13 juillet 2009 par la société Mesnard et associés en qualité de chauffeur ambulancier ; que deux avertissements lui ont été notifiés en septembre 2009 et août 2010 ; que le 16 août 2010, elle a adressé à son employeur une lettre de rupture pour convenance personnelle ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ;

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche et sur le quatrième moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que la salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes tendant notamment au paiement de rappels de salaires, alors, selon le moyen, qu’elle poursuivait la confirmation du jugement ayant fait droit à sa demande au motif que le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salariés est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations ; qu’en se bornant à dire que les temps de pause ne doivent pas être comptabilisés dans le temps de travail sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les temps qualifiés de pause par l’employeur n’étaient pas en réalité des temps de travail effectif, la cour d’appel a encore méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la salariée, qui avait indiqué dans ses conclusions que munie d’un téléphone portable elle pouvait quitter l’entreprise à charge de la rejoindre en moins de dix minutes, n’ayant pas soutenu qu’elle ne pouvait vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, n’encourt pas le grief du moyen ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1315 du code civil ;

Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes tendant au paiement de rappels de salaires, de repos compensateurs et de dommages-intérêts et d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient qu’il n’est pas démontré que les dépassements d’horaires n’ont pas été réglés ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartient à l’employeur de justifier du paiement du travail accompli, la cour d’appel qui a retenu l’existence de dépassement d’horaire, a violé le texte susvisé ;

Sur le deuxième moyen :

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que la cour d’appel qui, après avoir dit dans les motifs de sa décision qu’il serait fait droit à la demande de la salariée du chef de la majoration de salaire prévue pour le transport des personnes à mobilité réduite, a débouté dans son dispositif l’intéressée de cette même demande, s’est contredite ;

Sur le troisième moyen :

Vu l’ article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que pour refuser d’accorder à la salariée une indemnité de repas, l’arrêt retient qu’en application de l’article 3-5 de l’accord de modulation, il est prévu que les repas pris à l’extérieur seront remboursés sur présentation de fiche ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la salariée demandait par application de l’article 12 de l’avenant n° 53 de la convention collective nationale du transport, l’indemnité de repas prévue lorsque le salarié ne dispose pas d’une coupure entre 11h00 et 14h30 et entre 18h30 et 22h, la cour d’appel a modifié les termes du litige et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute Mme X... de ses demandes tendant au paiement de rappels de salaires, de repos compensateurs et de dommages-intérêts et d’une indemnité pour travail dissimulé, d’indemnité de repas au titre de l’article 12 de l’avenant n° 53 de la convention collective nationale du transport et de prime de transport de personnes à mobilité réduite, l’arrêt rendu le 21 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bourges ;

Condamne la société Mesnard et associés aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Mesnard et associés à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour Mme X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame Lucie X... de ses demandes tendant au paiement de rappels de salaires, de congés payés y afférents, de repos compensateurs et de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier et d’une indemnité pour travail dissimulé.

AUX MOTIFS QUE suivant l’accord de modulation signé le 16 décembre 2009 qui n’a pas été dénoncé et qui est seul applicable en la cause, la durée du travail annuelle est de 1600 heures pour les salariés travaillant à temps plein avec une répartition en semaines hautes et basses variant de 28 à 46 heures et de 5 à 6 jours par semaine ; que l’article 3.1 de l’accord prévoit que le temps de travail est comptabilisé chaque jour dans un compteur d’heures tenu par le régulateur lequel enregistre chaque période de travail sur la feuille de route hebdomadaire ; que chaque salarié dispose d’un délai de deux mois pour faire part de remarques ou d’erreurs ; qu’en l’espèce, la société Mesnard et associés produit aux débats en original l’intégralité des feuilles de route hebdomadaires signées par Mme Lucie X... et les récapitulatifs hebdomadaires signés par les deux parties sur la base desquelles elle a été rémunérée dont il n’y a pas lieu de mettre en cause la valeur probante étant précisé qu’elle n’ a contesté, dans les délais, qu’une seule feuille de route ; que les tableaux établis unilatéralement par Mme Lucie X... pour les contredire sont dénués de toute valeur probante ; qu’il n’est pas démontré que les dépassements d’horaires n’ont pas été réglés, étant rappelé que les temps de pause ne doivent pas être comptabilisés dans le temps de travail effectif des salariés même si l’éloignement de leur logement les empêche de quitter l’établissement pendant ces temps de pause contrairement à ce que soutient Mme Lucie X... ; que Mme Lucie X... sera donc déboutée de ses demandes au titre des heures supplémentaires ainsi qu’au titre du repos compensateur et du travail dissimulé qui en sont la conséquence ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ces chefs de demande.

ALORS QUE celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ; qu’en reprochant à la salariée de ne pas démontrer que les dépassements d’horaires n’ont pas été réglés, la Cour d’appel a violé l’article 1315 du Code civil.

ET ALORS QUE Madame Lucie X... poursuivait encore le paiement d’heures de nuit, exposant à ce titre que son employeur ne rémunérait pas ces heures au taux contractuel ; qu’en laissant sans réponse ce chef déterminant des écritures d’appel de la salariée, la Cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.

ALORS enfin QUE Madame Lucie X... poursuivait la confirmation du jugement ayant fait droit à sa demande au motif que le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salariés est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations ; qu’en se bornant à dire que les temps de pause ne doivent pas être comptabilisés dans le temps de travail sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les temps qualifiés de pause par l’employeur n’étaient pas en réalité des temps de travail effectif, la Cour d’appel a encore méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame Lucie X... de sa demande tendant au paiement de la somme de 256,32 euros au titre de la majoration de salaire pour le transport de personnes à mobilité réduite.

AUX MOTIFS QU’il y a lieu d’annuler le jugement rectificatif frappé d’appel rendu le 13 octobre 2011 par le conseil de Prud’hommes de Rochefort-sur-Mer qui a statué en application de l’article 462 du code de procédure civile alors que la requête avait été déposée après que la cour de céans ait été saisie du litige par l’acte d’appel du 21 juillet 2011 de telle sorte que celle-ci avait seule compétence pour statuer ; que l’accord de modulation produit aux débats invoqué par l’employeur pour soutenir que Mme Lucie X... n’ouvre pas droit à la majoration réservée aux salariés rémunérés au minimum légal ne le mentionne pas ; qu’il y sera fait droit pour la somme de 256,32 ¿ brut.

ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut au défaut de motifs ; qu’en énonçant dans les motifs de l’arrêt qu’il sera fait droit à la demande de la salariée pour la somme de 256,32 euros brut puis en la déboutant de ce chef de demande dans le dispositif de l’arrêt, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.

ET ALORS QU’en fondant sa décision sur le motif selon lequel « l’accord de modulation produit aux débats invoqué par l’employeur pour soutenir que Mme Lucie X... n’ouvre pas droit à la majoration réservée aux salariés rémunérés au minimum légal ne le mentionne pas », la Cour d’appel a statué par un motif inintelligible en violation de l’article 455 du Code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame Lucie X... de sa demande tendant au paiement d’un rappel d’indemnité de repas unique.

AUX MOTIFS QU’en application de l’article 3-5 de l’accord de modulation, il est prévu que les repas pris à l’extérieur seront remboursés sur présentation de fiches ; que l’usage au sein de la société Mesnard et associés était de donner a salariés lors de leur départ une somme d’argent couvrant leurs frais de repas le salarié devant reverser le trop versé à son employeur ; qu’à défaut, le, salarié était remboursé de ses frais de repas à l’extérieur sur justificatifs ; que ce remboursement sur frais réels exclut le versement de l’indemnité sollicitée par Mme Lucie X..., qui n’est pas prévue par l’accord de modulation et qui constituerait une double indemnisation. Mme Lucie X... sera donc déboutée de sa demande de ce chef.

ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE Mademoiselle X... Lucie demande l’application de l’avenant 53 article 12 de la convention collective ; que le Conseil, au regard des pièces produites qu’il trouve non probantes, ne fait pas droit à cette demande.

ALORS QUE Madame Lucie X... poursuivait le paiement de l’indemnité de repas unique prévue par l’avenant n° 53 à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport ; qu’en examinant sa demande au seul regard des dispositions de l’article 3-5 de l’accord de modulation relatives au remboursement des frais de repas, la Cour d’appel a méconnu l’objet du litige en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile.

ET ALORS QU’en adoptant éventuellement le motif des premiers juges selon lequel « le Conseil, au regard des pièces produites qu’il trouve non probantes, ne fait pas droit à cette demande », la Cour d’appel a privé sa décision de motif en violation de l’article 455 du Code de procédure civile.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame Lucie X... de ses demandes tendant au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité pour non respect de la procédure et de dommages-intérêts pour rupture abusive.

AUX MOTIFS QUE Mme Lucie X... a adressé le 16 août 2010 à son employeur une lettre rédigée en ces termes : “Pour des convenances personnelles, je vous fais savoir qu’à partir du mardi 24 août 2010, je ne travaillerais plus dans votre entreprise” ; que cette lettre, qui n’articule aucun grief à rencontre de l’employeur, caractérise par les termes employés une volonté claire et non équivoque de Mme Lucie X... de démissionner ; qu’il n’est rapporté la preuve d’aucune pression qui aurait été exercée sur la salariée pour la pousser à donner sa démission de nature à vicier son consentement ni de quelconques agissements répétés de harcèlement moral de la part de l’employeur, même si la lettre de démission s’inscrit dans le contexte d’une ambiance délétère entre les membres du personnel au sein de l’entreprise et d’un conflit entre Mme Lucie X... et son employeur qui lui avait notifié des avertissements que la salariée avait contestés ; que Mme Lucie X... sera donc déboutée de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.

ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE la lettre de démission de Melle X... Lucie est ainsi rédigée : « Pour des convenances personnelles, je vous fais savoir qu’à partir du mardi 24 août 2010, je ne travaillerais plus dans votre entreprise » ; qu’en l’espèce, le courrier ne lie pas la démission à un manquement de l’employeur ; qu’en conséquence le Conseil ne requalifie pas la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ne fait pas droit aux autres demandes qui y sont attachée.

ALORS QUE la lettre de démission ne fixe pas les termes du litige et n’empêche pas le salarié de faire état devant les juges de griefs à l’égard de son employeur ; qu’en retenant, pour exclure la requalification de la rupture en licenciement, « qu’en l’espèce, le courrier ne lie pas la démission à un manquement de l’employeur », la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil et les articles L.1231-1 et L.1232-1 du Code du travail.

ALORS encore QU’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la salariée s’était vu infliger des avertissements qu’elle avait contestés ; qu’en s’abstenant de rechercher si ces avertissements n’étaient pas abusifs et ne justifiaient pas dès lors la requalification de la démission en un licenciement, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 du Code civil et les articles L.1231-1 et L.1232-1 du Code du travail.

ALORS enfin QUE la cassation à intervenir sur les précédents moyens de cassation, relatifs à divers manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles, emportera la cassation par voie de conséquence du chef du dispositif critiqué par le présent moyen en application des dispositions de l’article 624 du Code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Poitiers , du 21 mars 2012