L’opposabilité du certificat de détachement frauduleux confirmé interdit la reconnaissance de droits sociaux au prétendu salarié détaché - arrêt

Arrêt n°428 du 31 mars 2021 (16-16.713) - Cour de cassation - Chambre sociale
 ECLI:FR:CCAS:2021:SO00428
Union européenne
Cassation partielle

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Sommaire

D’une part, par arrêt du 14 mai 2020 (Bouygues travaux publics e.a., C-17/19), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit qu’un certificat E 101, délivré par l’institution compétente d’un État membre, au titre de l’article 14, point 1, sous a), ou de l’article 14, point 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d’un autre État membre, et un certificat A 1, délivré par cette institution, au titre de l’article 12, paragraphe 1, ou de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004, à de tels travailleurs, s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.

Il en résulte que le maintien d’un certificat E101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’Etat membre d’accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à la relation de travail en cause et sanctionne la violation par l’employeur d’obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.

D’autre part, par arrêt du 2 avril 2020 (CRPNPAC et Vueling Airlines, C-370/17 et C-37/18), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que :

1°. l’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 doit être interprété en ce sens que les juridictions d’un État membre, saisies dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E 101 délivrés au titre de l’article 14, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71, à l’égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées, d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

2°. l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour condamner un employeur à payer diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d’activité pour défaut de déclaration aux organismes de sécurité sociale et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, se fonde, en présence d’un certificat E 101 dont la validité a été confirmée par l’autorité émettrice, sur l’autorité de la chose jugée revêtue par une condamnation pénale reposant sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne (sur le modèle de Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-20.319).

Demandeur : société Vueling Airlines, société de droit étranger ayant un établissement en France

Défendeur : M. A... X...

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2016), la société Vueling Airlines est une société commerciale de droit espagnol créée en 2004 dont le siège social est situé à Barcelone. Elle exerce une activité de transport aérien international de passagers. Le 21 mai 2007, cette compagnie a commencé à opérer des vols vers plusieurs destinations espagnoles depuis l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. À ce titre, elle a fait inscrire au registre du commerce et des sociétés de Bobigny, le 31 mai 2007, la création d’un fonds de commerce de « transport aérien et auto assistance en escale », implanté dans cet aéroport.

2. M. X... a été engagé par la société Vueling Airlines en qualité de copilote à compter du 21 avril 2007 par contrat rédigé en langue anglaise et de droit espagnol. Par un avenant du 14 juin 2007, il a été détaché à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle.

3. Un certificat E 101 a été délivré par l’institution compétente espagnole qui, après avoir été annulé par une décision de cette institution à la demande de l’Urssaf, a été maintenu à la suite d’un recours hiérarchique formé contre cette décision par la société Vueling Airlines.

4. Par lettre du 30 mai 2008, le salarié a démissionné en invoquant notamment l’illégalité de sa situation contractuelle, puis s’est rétracté par un message électronique du 2 juin 2008. Il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 juin 2008.

5. Par arrêt du 31 janvier 2012, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris, après avoir retenu que la preuve était rapportée que la société Vueling Airlines était établie en France, a déclaré cette dernière coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité pour avoir omis de déclarer aux organismes de protection sociale ses salariés travaillant dans son établissement en France, faits prévus à l’article L. 8221-3, 2°, du code du travail. Elle a également condamné la société Vueling Airlines à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l’infraction retenue à onze salariés parmi lesquels M. X..., ainsi qu’à l’Urssaf.

6. Par un arrêt du 11 mars 2014 (Crim., 11 mars 2014, n° 12-81.461, Bull. crim. 2014, n° 75), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, sans poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi formé contre l’arrêt du 31 janvier 2012 par la société Vueling Airlines.

7. Par un arrêt du 4 mars 2016, la chambre sociale de la cour d’appel de Paris a condamné la société à payer à M. X... diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de rappels de salaire, de droits à congés payés, de prime de précarité et de dommages-intérêts pour absence de cotisations à la caisse de retraite complémentaire du personnel navigant. Elle a, par ailleurs, dit que la rupture du contrat de travail produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement de diverses sommes à ce titre.

8. Un pourvoi a été formé contre cet arrêt. Par arrêt du 10 janvier 2018 (Soc., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-16.713, Bull. 2018, V, n° 1), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles portant sur le deuxième moyen de ce pourvoi.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société Vueling Airlines fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevables ses demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, alors :

« 1°/ que l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif ; que seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité à l’égard de tous ; que pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle formulées par la société Vueling Airlines, la cour d’appel s’est fondée sur l’autorité de la chose jugée qui serait résultée de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 (n° T 12-81.461) par lequel cette dernière avait refusé de transmettre à la Cour de justice de l’Union Européenne une question préjudicielle similaire ; qu’en statuant ainsi, cependant que le refus de transmission d’une question préjudicielle par la chambre criminelle de la Cour de cassation n’avait pas autorité de la chose jugée à l’égard du juge civil, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile ;

2°/ que l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil n’est attachée qu’à ce qui a été jugé au pénal stricto sensu, à l’exclusion des décisions du juge répressif à caractère civil ; qu’en matière civile, pour que l’autorité de la chose jugée puisse être opposée, il faut que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu’aussi en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l’autorité de la chose jugée qui serait résultée de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 qui a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, cependant que cette décision de la Cour de cassation ne portait pas sur les mêmes demandes et n’avait pas le même objet, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile ;

3°/ que seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité à l’égard de tous ; que le juge ne statue pas au fond lorsqu’il refuse de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne ; que dès lors en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 2014 par lequel la Cour de cassation a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, la cour d’appel a derechef violé l’article 1351 du code civil et l’article 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Par l’arrêt précité du 10 janvier 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation a posé des questions préjudicielles et sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

11. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur le moyen devenu sans objet.

Sur le deuxième moyen, en ce qu’il fait grief à l’arrêt de condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes au titre de la régularisation de ses salaires d’avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés afférents, et des dommages-intérêts pour compenser les congés payés

Enoncé du moyen

12. La société Vueling Airlines fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de la régularisation de ses salaires d’avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés afférents, des dommages-intérêts pour compenser les congés payés, alors :

« 1°/ que le délit de travail dissimulé n’est constitué que si l’entreprise ou l’entrepreneur n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; qu’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d’affiliation ; que le juge français, saisi d’une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l’affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d’un autre Etat, qui a délivré à l’entreprise ou l’entrepreneur un tel certificat ; que l’autorité de la chose jugée d’une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu’en l’espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l’administration espagnole pour M. X... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d’activité en raison d’un défaut d’affiliation en France ; qu’elle a soutenu en conséquence que le principe de l’autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu’en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2° / qu’en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l’administration espagnole à M. X... d’un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n’excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

3° / que la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu’en l’espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d’appel de Paris s’est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu’une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d’apprécier la portée de la délivrance par l’autorité espagnole de sécurité sociale à M. X... d’un certificat E 101, et en conséquence de la faculté d’écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »

Réponse de la Cour

13. Selon une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, la délivrance d’un certificat E 101 par l’organisme de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne ne saurait faire échec à la compétence du juge prud’homal français déterminée, en application de l’article 19 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, par les conditions d’accomplissement du travail et le choix des parties (Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-27.799, Bull. 2015, V, n° 123) et n’a d’effet qu’à l’égard des régimes de sécurité sociale, en application de l’article 1er du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 631/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 (le règlement n° 1408/71) (Soc., 29 septembre 2014, pourvoi n° 13-15.802, Bull. 2014, V, n° 216).

14. Saisie par la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une question préjudicielle (Crim. 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553), la Cour de justice de l’Union européenne, par arrêt du 14 mai 2020 (Bouygues travaux publics e.a., C-17/19) a dit pour droit qu’un certificat E 101, délivré par l’institution compétente d’un État membre, au titre de l’article 14, point 1, sous a), ou de l’article 14, point 2, sous b), du règlement n° 1408/71, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d’un autre État membre, et un certificat A1, délivré par cette institution, au titre de l’article 12, paragraphe 1, ou de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, à de tels travailleurs, s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.

15. La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi précisé au point 48 de cet arrêt que ces certificats ne produisent pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers.

16. Il en résulte que le maintien d’un certificat E 101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’Etat membre d’accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à cette relation de travail et sanctionne ainsi la violation par l’employeur d’obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.

17. La cour d’appel a relevé que le salarié peut prétendre à la régularisation de ses salaires pendant le temps qu’a duré son contrat de travail, de mai 2007 à mai 2008 inclus. Elle a retenu ensuite que le droit espagnol en matière de congés payés est moins favorable que le droit français en vertu duquel le salarié pouvait prétendre bénéficier de cinq jours supplémentaires de congé payé pour une année de travail, que celui-ci n’a pas été rempli de ses droits à congés payés, rien ne permettant de retenir que les 118 « day off » invoqués par l’employeur doivent s’analyser en congés payés, contrairement à ce qui est mentionné dans les bulletins de salaire, de sorte que le salarié, qui a travaillé sans congés payés de mai 2007 à mai 2008 inclus, est fondé à réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’impossibilité de bénéficier de jours de congés pendant toute la période pendant laquelle il a travaillé pour la société Vueling Airlines.

18. Dès lors que le certificat E 101 s’impose aux juridictions de l’État membre d’accueil uniquement en matière de sécurité sociale, le moyen est inopérant.

Mais sur le deuxième moyen, en ce qu’il fait grief à l’arrêt de condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France

Enoncé du moyen

19. La société Vueling Airlines fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, alors :

« 1°/ que le délit de travail dissimulé n’est constitué que si l’entreprise ou l’entrepreneur n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; qu’en vertu du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l’article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu’elle est soumise à sa législation ; qu’aussi longtemps que le certificat E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d’affiliation ; que le juge français, saisi d’une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l’affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d’un autre Etat, qui a délivré à l’entreprise ou l’entrepreneur un tel certificat ; que l’autorité de la chose jugée d’une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu’en l’espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l’administration espagnole pour M. X... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d’activité en raison d’un défaut d’affiliation en France ; qu’elle a soutenu en conséquence que le principe de l’autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu’en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2° / qu’en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l’administration espagnole à M. X... d’un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n’excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l’article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

3° / que la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu’en l’espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d’appel de Paris s’est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu’une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d’apprécier la portée de la délivrance par l’autorité espagnole de sécurité sociale à M. X... d’un certificat E 101, et en conséquence de la faculté d’écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 13 et 14 du règlement n° 1408/71, les articles 11 et 12 bis du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (le règlement n° 574/72) :

20. Saisie par la Cour de cassation dans le présent pourvoi de questions préjudicielles, la Cour de justice de l’Union européenne, par arrêt du 2 avril 2020 (CJUE, CRPNPAC et Vueling Airlines, C-370/17 et C-37/18), a d’abord dit pour droit que l’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 doit être interprété en ce sens que les juridictions d’un État membre, saisies dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E 101 délivrés au titre de l’article 14, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71, à l’égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées, d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

21. La Cour de justice a ensuite dit pour droit que l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.

22. Pour condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d’appel a retenu que la société a été condamnée par une décision ayant force de chose jugée pour travail dissimulé pour des faits relatifs notamment à l’emploi du salarié, que l’arrêt de condamnation du 31 janvier 2012 de la cour d’appel de Paris est devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation formé contre elle par arrêt du 11 mars 2014 et que les moyens contraires de la société sont mal fondés. Puis, pour condamner la société Vueling Airlines en paiement de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, la cour d’appel a retenu que pendant toute la période de détachement en France, de juin 2007 à mai 2008, les cotisations sociales ont été versées en Espagne alors que le salarié aurait dû bénéficier du droit français, qu’il n’a donc pas cotisé à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (CRPNPAC), et que cette absence de cotisations le prive d’une majoration de sa pension de retraite de 300 euros par mois, soit 3 600 euros pour la période de 12 mois de la durée d’exécution en France de son contrat de travail.

23. En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie de la question de la validité d’un certificat E 101 produit par la société Vueling Airlines pour contester la poursuite engagée à son encontre en application des dispositions de l’article L. 8221-3, 2° du code du travail et que la société faisait valoir, sans être contredite sur ce point, que la Direction départementale de gestion décentralisée de la Direction départementale de la Trésorerie générale de la Sécurité sociale de Barcelone avait, le 15 décembre 2014, confirmé la validité des formulaires E 101 litigieux, de sorte que la condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne ne pouvait s’imposer à la juridiction prud’homale saisie d’une demande au titre du travail dissimulé et du défaut d’affiliation à la sécurité sociale française, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

24. La société Vueling Airlines fait grief à l’arrêt de dire que la rupture du contrat de travail du salarié lui était imputable et qu’elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité de licenciement, et de la débouter de sa demande de condamnation du salarié à lui verser des dommages-intérêts pour non-exécution du préavis, alors « que la cassation entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que par application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant la société exposante pour travail dissimulé et considérant que le salarié avait été rattaché de manière illégale à la législation espagnole entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif qui, pour ce motif, a jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a accordé à ce titre au salarié des rappels de salaire, des indemnités de rupture, ainsi que des dommages-intérêts, et a débouté la société de sa demande de dommages-intérêts pour non-exécution du préavis. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 624 du code de procédure civile :

25. La cassation prononcée des dispositions de l’arrêt sur le deuxième moyen du pourvoi entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

26. La cassation des chefs de dispositif condamnant l’employeur à verser au salarié diverses sommes au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France n’emporte pas cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant l’employeur aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à l’encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Vueling Airlines à payer à M. X... les sommes de 26 422 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et 3 600 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, dit que la rupture du contrat de travail est imputable à l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamne la société Vueling Airlines à payer à M. X... les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 13 210,77 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 321 euros au titre de congés payés afférents, 5 019 euros au titre de l’indemnité de licenciement, et déboute la société Vueling Airlines de sa demande de condamnation de M. X... à lui verser la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-exécution du préavis, l’arrêt rendu le 4 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Président : M. Cathala
Rapporteurs : Mme Prache - M. Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, assistés de Mme Safatian, auditeur au SDER
Avocat général : Mme Berriat
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer - SCP Lyon-Caen et Thiriez